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Ce qu’on ne veut plus voir en 2025 : les scènes de relooking

En tout cas, pas comme avant.

Par
Clémentine Gallot
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C’est presque un passage obligé. Souvenez-vous : dans Clueless, Lolita malgré moi (Mean Girls en V.O), Le diable s’habille en Prada, Ugly Betty… et plus récemment dans Les chroniques de Bridgerton ou Wicked, l’héroïne considérée comme débraillée va subir une transformation radicale afin d’être acceptée par la société. Bref, elle va vivre un « makeover », un relooking et devenir belle. Belle selon quels critères et aux yeux de qui ? Et surtout, dans quel but ?

Plaisir coupable ou enfer cathodique ?

« J’adorais ces scènes quand j’étais enfant, ça me fascinait, se souvient la scénariste Géraldine Poulain. Cela rendait possible l’idée que toutes les filles peuvent rentrer dans les canons de beauté. » Elle ajoute : « Le plus satisfaisant, c’était de voir l’évolution du personnage, comme dans Clueless où l’on suivait toutes les étapes de sa transformation. » Dans ce teen-movie culte sorti en 1995, l’insupportable lycéenne campée par Alicia Silverstone entreprend en effet d’imposer à une nouvelle élève ingénue (feu Brittany Murphy) un ravalement de façade. Le relooking nous est présenté comme la somme des parties du corps « améliorées », celles-ci étant une à une méthodiquement décomposées à l’écran : la chevelure, la tenue, le maquillage et enfin l’attitude.

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« Les cheveux vont être lissés, brushés, bouclés, colorés ou coupés, détaille Hélène Breda, maîtresse de conférences en sciences de l’information à la Sorbonne Paris Nord. Dans la culture américaine, c’est un critère de soin, comme les ongles vernis. Le visage naturel doit être maquillé, mais pas trop, et les sourcils épilés. Enfin, les vêtements sont raccourcis pour révéler plus de peau. Sans oublier les talons. » Et l’indétrônable séquence « virée shopping. » Dans Clueless, choucroutée comme jamais et désormais affublée d’un crop-top, Brittany Murphy va pouvoir s’intégrer à la vie lycéenne, car, nous promet-on, changer de visage c’est aussi changer de vie.

Cendrillons modernes

Sans surprise, les personnages ayant – désespérément – besoin d’être embellis, selon ces fictions, sont dans l’immense majorité des cas, féminins. Si l’évolution fait partie de l’arc narratif de tout personnage, « elle concerne plutôt la personnalité chez les hommes et le physique chez les femmes, » estime Géraldine Poulain. Et les heureuses élues ne sont pas choisies au hasard. « Ce sont des personnages féminins intelligents, le cliché de la nerd, mais pas du tout préoccupés par leur apparence, détaille Hélène Breda. Les teen movies et les séries ados sont très codifiés, avec des groupes sociaux bien identifiés, où les personnages féminins impopulaires vont être relookés par les filles populaires. »

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L’origine de ces scènes de relooking remonterait à Disney : « Dans Cendrillon [sorti en 1950, ndr], la souillon devient princesse en un coup de baguette magique », rappelle Géraldine Poulain. Depuis, ces moments de transformation font partie de l’ADN de certaines fictions américaines bien identifiées : « C’est un lieu commun qu’on peut rattacher à un certain genre, comme la série pour ados et les films pour adultes connotés comme féminins, telles les comédies romantiques, » contextualise Hélène Breda. Maître-étalon du genre, la rom-com nineties Elle est trop bien a donné le ton pour les années à venir. Dans le film, le bellâtre du lycée se propose, pour remporter un pari, de transformer le laideron solitaire de sa classe en reine de beauté au bal de promo. La proposition est d’autant plus gênante que l’on retrouve invariablement, dans le rôle de la fille ingrate, une comédienne à la plastique conventionnelle (coucou Anne Hathaway) « enlaidie » pour les besoins du tournage, à l’aide d’une paire de lunettes ou d’une salopette baggy.

Un moment d’apothéose

Que l’on soit client·e ou pas des séquences de relooking, une chose est sûre : on ne les oublie pas. Et pour cause, les scènes de makeover sont en général des moments de bascule dans le récit, rythmés par le montage et la musique, avec leurs propres codes de mise en scène. Selon Hélène Breda, « L’apothéose du relooking se termine par le moment de la révélation, souvent filmé au ralenti, de bas en haut. » L’effet « waouh » peut aussi verser dans la comédie, comme c’est le cas dans Miss Détective : Sandra Bullock, géniale en policière grossière, doit y enfiler une robe moulante afin d’enquêter dans un concours de Miss -et finit par se tordre la cheville.

Le relooking par le « male gaze » : se conformer aux autres femmes pour mieux plaire aux hommes

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Au-delà du pur divertissement, à quoi ça sert ? Ces scènes ont plusieurs fonctions : d’abord, envoyer un signal aux hommes, puisque la séduction hétérosexuelle vient généralement récompenser le pénible embellissement de l’héroïne. C’est d’ailleurs le « life goal » de Cendrillon : séduire le prince. « On se relooke pour des regards extérieurs, souvent masculins, » résume Hélène Breda. Dans Elle est trop bien, le pari est ainsi lancé par un garçon et la validation de la métamorphose se fait sous son regard approbateur. Le corps féminin y est présenté comme une ressource pour accéder à autre chose… ou à « la chose ».

« C’est un passage obligé des teen movies qui sont des histoires d’ados ou de jeunes adultes qui se transforment pour obtenir du sexe, » avance Valentine Pétry, autrice de l’essai Make Up – Le maquillage mis à nu (2023). C’est aussi le cas dans Le diable s’habille en Prada, où une journaliste en herbe jouée par Anne Hathaway intègre la rédaction de Vogue et s’attire l’opprobre de ses congénères en raison de sa garde-robe « normcore ». « On lui reproche de ne pas être assez bien habillée dans son job mais quand elle fait son makeover, elle est surtout beaucoup plus sexy, alors qu’elle pourrait être juste plus à la mode. La question du sexe est toujours là en filigrane, même quand le film n’en parle pas, » ajoute Valentine Pétry.

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Souffrir pour être belle en 10 étapes

Ensuite, les scènes de relooking nous disent quelque chose de la féminité. Pour Hélène Breda, « On va apprendre à ces personnages à utiliser les attributs, les artifices qui codent la féminité telle qu’on la conçoit dans la société, c’est-à-dire à dompter le corps féminin.» Ces séquences marquent également une transition de l’héroïne vers l’âge adulte et signalent la fin de l’enfance en martelant la même rengaine : pour être belle, il faut souffrir. « Les séries pour ados sont des lieux d’apprentissage des normes de genre dans lesquels, à travers ces scènes, on apprend aux jeunes filles que devenir une femme (donc être plus âgée et plus féminine, ne plus être un garçon manqué ou une enfant) passe par des efforts parfois douloureux, » décrypte la chercheuse.

De manière presque pédagogique, le makeover illustre à l’écran les propos de la·le théoricien·ne du genre Judith Butler dans son essai Trouble dans le genre (1990). « Le genre n’est pas une donnée biologique mais quelque chose que l’on va performer dans la répétition, par la manière dont on s’habille, dont on bouge et dont on parle…, détaille Hélène Breda. C’est un ensemble d’apprentissages de la féminité. Car celle-ci n’est pas naturelle, c’est une construction. » Laquelle a lieu sous nos yeux dans Pretty Woman, par exemple, au travers de la mue irrésistible de Julia Roberts, travailleuse du sexe passée du côté obscur de la féminité à une féminité « respectable ».

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Makeover parodique : t’as la ref ?

Depuis leur âge d’or dans les années 1980 et 1990, les scènes de relooking ont elles aussi été repensées, pour s’ouvrir, au-delà des seules héroïnes, à des personnages masculins ou queer : c’est le cas dans la série Sex Education qui comporte plusieurs transformations physiques mettant en scène des garçons, y compris des garçons gays. Sous l’influence des réseaux sociaux, comme TikTok qui a développé le format « avant » / « après », « on montre beaucoup plus les scènes de beauté au cinéma, mais il n’y a plus l’aspect magique où l’héroïne est transformée, estime Valentine Pétry. On montre plutôt les dessous du rituel. » Des dessous parfois peu reluisants que dénonce le récent film d’horreur de Coralie Fargeat, The Substance.

Le mouvement MeToo a notamment accompagné l’élaboration de fictions portant un regard critique sur certains automatismes de mise en scène et d’écriture : selon Hélène Breda, ces scènes permettent de réfléchir à l’artificialité des normes de genre. « Les personnages qui se font relooker sont intéressants, intelligents, gentils et ça nous ramène au fait que, dans la société, on considère que la valeur première des femmes, c’est leur attrait physique. » Les makeovers ont désormais souvent lieu de manière parodique, comme récemment dans Wicked, comédie musicale prequel du Magicien d’Oz qui en reprend tous les codes pour s’en moquer.

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« La meilleure version de soi-même »

Le recours à l’artifice serait devenu une caricature, selon Géraldine Poulain : « Aujourd’hui, je trouve ça compliqué d’adhérer au message contradictoire de ces scènes : ce qui compte, c’est ce qu’il y a à l’intérieur… mais si l’emballage est beau… ». Le discours a donc sensiblement changé d’emballage : l’héroïne qui évolue doit désormais à tout prix devenir, non plus une bimbo, mais « la meilleure version de soi-même ». Une nouvelle injonction à l’authenticité digne d’un manuel de développement personnel. C’est le cas dans La Reine des neiges : « Elsa arrive dans son château et chante ‘Maintenant, je suis moi-même’. Elle se transforme, sa sœur vient la voir et le remarque. Cette scène m’a donné les larmes aux yeux, comme une scène de coming out, » se remémore Valentine Pétry.

Il y a quelques mois, la mue du personnage de Penelope dans la saison 3 des Chroniques de Bridgerton sur Netflix a fait parler de lui : la showrunneuse de la série, Jess Brownell a d’ailleurs confirmé qu’il s’agissait d’un pied de nez à Elle est trop bien. Sauf que, cette fois, le relooking a lieu à la demande du personnage qui va, à cette occasion, se découvrir et s’exprimer pleinement. Bref, devenir davantage elle-même (et pécho). En lieu d’une transformation radicale qui trahirait l’essence du personnage, celui-ci se voit administrer un « glow up », un embellissement plus discret.

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Quoi qu’il en soit, dans une offre culturelle foisonnante, les fictions réflexives de l’ère post-MeToo cohabitent désormais avec des genres considérés comme moins nobles, telle la télé-réalité, dont le relooking reste le fond de commerce -de Christina Cordula à Queer Eye. « L’air du temps n’est pas homogène et la société est ultra polarisée, rappelle Hélène Breda, il y a beaucoup de backlash (retour de bâton, ndr). Je ne serais pas surprise que, dans les années à venir, on retourne au premier degré pour réassigner les femmes à leur place de jolis objets. » Les scènes de makeover ont encore de beaux jours devant elles.