.jpg)
Ce que j’ai appris en vivant avec le cancer du sein
Tout commence dans le courant du mois de juillet 2019, lorsqu’Alix Lambert-Vassal, directrice des ventes, note la présence d’une masse dans son sein gauche. S’ensuit une batterie d’examens – « la mammographie a suggéré une échographie, qui a suggéré une biopsie », énumère-t-elle – et d’opérations chirurgicales. Puis, le 2 janvier 2020, le verdict tombe : à seulement 32 ans, Alix est atteinte d’un cancer du sein hormonodépendant, c ’est-à-dire qui se nourrit de ses hormones pour proliférer.
À bras le corps
Cette nouvelle, elle l’encaisse avec un esprit méthodique. « Je n’ai pas pleuré à mon diagnostic, se souvient-elle. Je me suis vraiment dit : “OK, il y a ce problème, comment est-ce qu’on va le régler?” » Mais très vite, son sens de l’organisation se retrouve dépassé par l’avalanche d’informations et d’étapes nouvelles à franchir. Parmi elles, la ménopause forcée, pour ne plus que son cancer se nourrisse de ses œstrogènes, le prélèvement d’ovules pour sauver sa possibilité d’être un jour mère, les séances intensives de chimiothérapie et de radiothérapie, sans compter la double mammectomie avec reconstruction.
« On réalise assez rapidement qu’on a zéro contrôle, explique-t-elle. Je voulais tout préparer comme si j’avais un projet, mais ce n’est pas comme ça que ça marche en médecine. Le corps fait ce qu’il veut, et rien n’est vraiment certain jusqu’aux résultats suivants. » Cette prise de conscience la pousse à troquer son anxiété du lendemain contre une acceptation de l’instant présent et de ses impératifs à court terme. « On est fatigué : on dort. On a faim : on mange. On perd ses cheveux et ça pique : on se met de l’huile de noix de coco sur la tête », raconte-t-elle en évoquant la routine qui l’a doucement accompagnée vers la guérison.
Et après ?
Mais quand tout est fini, tout commence aussi. « Les émotions, on les ressent plutôt après. C’est là où on prend le temps de réaliser ce qui vient de nous arriver », nous confie Alix. Et cette prise de conscience à retardement se fait souvent par déclencheurs : l’anniversaire du diagnostic de cancer, celui de la fin de la chimiothérapie, le bruit des voitures roulant sur cette même neige boueuse d’hiver qui recouvrait la chaussée au moment de la biopsie.
Pour passer à travers ces traumatismes, la thérapie et les antidépresseurs continuent d’être ses précieux alliés. Grâce à eux, Alix peut désormais parler de son parcours avec une sérénité lucide. « Il y a une vie avant et une vie après le cancer, et ça prend du temps pour réaliser que la personne qu’on était avant, on ne l’est plus nécessairement après, observe-t-elle. Le cancer fait partie de notre vie, et même si ça fait deux ans que je suis en rémission, ça occupe mon existence. »
Car chaque jour, elle doit prendre une pilule pour bloquer sa production d’œstrogènes. Une fois par trimestre, une injection maintient son corps en ménopause. Tous les quatre mois, elle se rend chez son oncologue. Puis chaque semestre chez un radio-oncologue et un chirurgien. Une fois par an, elle prend rendez-vous avec un chirurgien plasticien. Sans oublier les check-ups de routine : prises de sang, gynécologue, généraliste… « Mon travail à temps plein, c’est devenu ma santé », résume Alix, qui œuvre désormais à mi-temps en tant que coordonnatrice des ventes.
Réapprendre sa vie de femme
L’après-cancer du sein, c’est aussi s’acclimater soi-même à une nouvelle forme d’intimité, les ressources en la matière étant rares. « On ne nous dit pas que notre libido va être à plat, que c’est compliqué de dater quand on a des cicatrices partout et qu’on vient de vivre un traumatisme comme un cancer, déplore Alix. Les médecins ne nous parlent pas nécessairement de santé sexuelle alors que c’est une chose hyper importante entre 20 et 39 ans. »
Et les symptômes de la ménopause apportent aussi leur propre lot de complications. Il y a les bouffées de chaleur après chaque tasse de café ou verre d’alcool, mais aussi la rigidité des articulations par manque d’œstrogènes. « Je ne suis pas censée vivre ce qu’a vécu ma mère il y a 10 ans », s’exclame Alix, qui refuse de faire une croix sur son espresso du matin. « On ne peut pas laisser cet état dicter notre vie de tous les jours. »
« Il faut être riche pour être malade »
Sur le plan financier, Alix a d’abord compté sur les 15 semaines d’arrêt payées par le gouvernement (ndlr, elle vit au Canada). « Mais quand on sait qu’une chimiothérapie prend 26 semaines et qu’une chirurgie et une radiothérapie en prennent six, on voit tout de suite que ça fait beaucoup plus que 15 semaines, souligne-t-elle. Alors à moins d’avoir des assurances collectives, c’est compliqué. Je n’ai eu aucune rentrée d’argent pendant 15 mois. »
Ses recherches de dernier recours la mènent vers la Fondation cancer du sein du Québec, seul organisme de bienfaisance québécois entièrement consacré à la lutte contre le cancer du sein, qui verse 750 $ aux patients admissibles dont le revenu annuel est inférieur à 26 000 $. Mais aussi précieuse soit cette aide, la Fondation ne peut pas tout couvrir, et cette somme ne subvient qu’aux besoins d’extrême nécessité. Pour le reste, Alix s’appuie sur sa famille et épuise ses propres fonds d’urgence. « Il faut être riche pour être malade », conclut-elle en riant jaune.
À ses yeux, la santé financière des patients devrait être d’abord la préoccupation du gouvernement. « C’est magnifique que des fondations puissent donner de l’argent à des gens qui traversent un cancer, mais ce n’est pas leur travail, estime-t-elle. Elles, leur rôle, c’est de récolter de l’argent pour faire avancer la recherche. » Cela dit, même si le gouvernement décidait de prolonger la période d’arrêt payée, des services de soutien, incluant de l’aide financière, seraient toujours offerts par la Fondation cancer du sein du Québec.
S’il y a quelque chose à retenir de la campagne Octobre rose, c’est que malgré des progrès scientifiques considérables, de nombreuses personnes, de tous les âges, reçoivent encore un diagnostic de cancer du sein, mais qu’en travaillant ensemble, on peut changer les choses.