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Ce que j’ai appris en travaillant dans le porno

« Le porno est sans doute l’un des seuls domaines au monde où les femmes sont mieux rémunérées que les hommes. »

Par
Lucie Piqueur
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« Tu seras la seule fille dans l’équipe et comme aucun des gars ne veut s’en occuper, tu monteras le contenu gay… est-ce que tu à l’aise avec le hard homme/homme ? »

Ça faisait six mois que j’échouais à obtenir le moindre entretien d’embauche dans mon domaine, alors c’est de façon beaucoup trop enthousiaste que j’ai répondu : « OUI, GÉNIAL ! »

Voici donc les leçons que j’ai apprises de mon expérience comme monteuse de films pornos :

L’innocence, ça se perd! Ou l’overview effect

Quand j’ai traversé pour la première fois le grand open space pour me rendre à mon nouveau bureau, c’est le nombre de pénis dans la salle qui m’a le plus stupéfiée. Il y avait UNE autre femme dans tout l’étage. Et sur chaque écran, un autre pénis. J’ai pensé à mon père et ce que j’allais bien pouvoir lui raconter sur mon travail ici. La première semaine, j’ai rêvé tous les soirs de grosses machines industrielles qui font des va-et-vient à l’infini.

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Mais au bout d’un certain temps, j’ai eu la même sensation que ces astronautes qui ne voient plus jamais la vie sur Terre de la même façon après avoir observé notre planète depuis l’espace, ce qu’on nomme l’overview effect.

Aujourd’hui, j’ai vraiment un autre regard sur le sexe, les limites, la normalité et l’amour. Je ne suis pas devenue une pornstar, mais je suis clairement moins dédaigneuse qu’avant. Et comme une pornstar une fois rentrée chez elle, j’ai besoin de plus d’intimité pour vraiment me mettre dedans sans penser au travail. Mais le changement le plus remarquable, ça reste que tout mon « vocabulaire de chambre » est maintenant en anglais. Disons que je ne pourrais pas coucher avec un membre de l’Académie française.

Un son vaut 1000 images

Vous avez beau croire que vous consommez beaucoup de X, mais même votre oncle vicelard qui ne s’est jamais marié n’en regarde pas huit heures par jour, cinq jours par semaine, comme je l’ai fait pendant deux ans. Au travail, on partageait sur le serveur commun un dossier tristement hilarant et choquant. Ce dossier contenait tous les extraits vidéo que l’on devait couper du produit final : des moments gênants pendant lesquels des gens tombaient, des trucs était projetés, des choses restaient coincées ou bien sortaient sans prévenir. Tout ça pour dire que telle une vétérane du Vietnam de la pornographie, j’ai vu mon lot d’horreurs. Et bien contre toute attente, si j’ai entièrement fait la paix avec ce que j’ai vu… c’est ce que j’ai entendu qui hante encore mes nuits.

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J’ai un vague souvenir de l’unique cours d’éducation sexuelle que j’ai reçue au collège (2 heures d’éducation sexuelle en 18 ans d’école, bra-vo. Pas étonnant que j’aie fini dans le porno, seigneur !). Madame Barnaby, l’infirmière en charge de la formation nous avait fait noter : « Les hommes voient et les femmes entendent. » J’ai toujours cru que cette phrase était une absurdité sexiste de mon école privée catholique, mais on dirait que cette expérience sensorielle porno confirme finalement les propos de Madame Barnaby. Si mon regard est rapidement devenu aussi insensible que celui de Marine Le Pen devant un bateau transportant des réfugiés syriens; je reste par contre incapable d’entendre quelqu’un essayer d’avaler une trop grosse bouchée de steak sans déclencher mon syndrome de stress post-traumatique.

Moins sexiste qu’on pense, mais…

Je ne peux évidemment pas parler pour tout le milieu, mais ce qui m’a le plus surprise au début, c’est à quel point l’industrie des films pour adultes était moins sexiste que ce à quoi je m’attendais. Premièrement, et ce n’est pas négligeable, le porno est sans doute l’un des seuls domaines au monde où les femmes sont mieux rémunérées que les hommes (si je me fie à tous les chèques que j’ai vu passer, les actrices sont payées environ 1,5 à 4 fois plus que les acteurs). Ensuite, même s’il m’est arrivé de voir hors champ une actrice tirer une petite taffe sur un joint pour se détendre, les normes de sécurité sont strictes et le système assez élaboré pour s’assurer que les filles (et garçons) sont consentantes et cleans, puisqu’elles doivent le déclarer par écrit et en vidéo. Les pornstars, passées 25 ans, avaient plutôt l’air sympathiques et saines d’esprit, et l’ambiance était bon enfant sur les plateaux.

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Au bureau aussi, les règles concernant le harcèlement sexuel étaient particulièrement strictes (genre extrêmes, genre les hommes regardaient presque à terre quand j’étais là). En fait, ma seule mauvaise expérience liée au fait que je sois une fille a eu lieu quand une collègue a fait remarquer à tout l’étage, en rigolant, à quel point la femme, jambes écartées sur son écran d’ordinateur, me ressemblait.

En revanche, après quelques mois, je me suis surprise à utiliser des termes comme « urban », « ebony », et à mettre de la petite musique chinoise dans des scènes où une actrice japonaise se livrait à un troublant fétiche d’yeux bridés. Vraiment troublant. L’homophobie aussi reste importante dans l’industrie, reflétant les tabous encore présents dans notre société. La majorité des scénarios de vidéos homme/homme usaient de clichés et d’interdits : beaucoup de militaires, de professeurs et d’athlètes virils sur le point de se donner une tape dans le dos en criant : « No homo ! ». Ne parlons même pas des vidéos femme/femme qui sont à des millions de kilomètres de la réalité lesbienne. Les clichés qu’elles entretiennent dans l’esprit des hommes rendent parfois la vie dure aux couples lesbiens qui croisent leur chemin dans le monde réel (mais ça reste amusant de voir deux femmes hurler de plaisir en mâchonnant un gode ceinture en plastique).

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Le porno, c’est trop cool!

Ce n’est vraiment pas un secret : le sexe fait vendre. Certes, pas sur un CV, mais dans les soirées, oui…! Comme je suis de nature plutôt timide, mon travail de monteuse de films pornos a été mon meilleur moyen pour briser la glace avec les gens. Je ne sais pas si mon entourage est plus ouvert d’esprit que la moyenne, mais mon emploi a toujours été source d’enthousiasme et de curiosité, jamais de dégoût ou de commentaires déplacés. Je suis presque triste d’avoir quitté le milieu, parce qu’honnêtement, j’étais un peu la coqueluche des soirées avec mon job hors-norme.

Mais ce qui m’a le plus réjoui de mon expérience est qu’elle m’a libérée des représentations traditionnelles du corps féminin. Si je n’ai jamais vu une vergeture, un poil ou un bourrelet dans un film hollywoodien, c’est tout le contraire dans les films pour adultes ! J’ai trouvé ça rafraîchissant à quel point grosse, pas grosse, seins, pas seins, touffe, pas touffe, grosses lèvres, petites lèvres, cicatrices, tatouages… tant que les actrices avaient l’air d’aimer ça, tous les corps étaient adorés et détestés avec autant de passion dans les commentaires. Malgré un manque flagrant de diversité ethnique, mon expérience dans le monde du hard m’a redonné un peu confiance dans le fait qu’on a moins besoin de standardisation hollywoodienne qu’on ne le pense, et que chaque corps vaut d’être montré et célébré.

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