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Carotté : des terres agricoles de Neuville à l’Olympia de Paris
Punklore et Trashdition, c’est le nom du premier album du groupe Carotté, parut en 2015. Voilà qui décrit aussi très bien le style de musique interprété par la formation basée à Neuville dans le comté de Portneuf.
Imaginez un métissage entre d’un côté, La Bolduc et La Bottine Souriante et de l’autre, Mononc’ Serge et les Béruriers Noirs. Ça vous donne une petite idée de ce que fait Carotté avec son unique mélange de musique traditionnelle québécoise et de punk francophone. De quoi faire swinger la bacaisse dans l’fond de la boîte à bois à l’année longue.
Carotté ira représenter le folklore de la province lors d’un concert à l’Olympia de Paris le 22 février prochain, en première partie du groupe Marcel et son orchestre. Il s’agira d’un deuxième passage dans l’hexagone pour ces punks agricoles, après une tournée à l’automne dernier qui les a amenés, entre autres, à faire la première partie des légendaires Ludwig von 88 à cinq reprises.
Origines
La graine de Carotté germe en 2013 alors que Médé Langlois, guitariste et leader du groupe, fait la rencontre de trois musiciens traditionnels qui animent des marchés publics de Portneuf sous le nom de Les Quêteux. Il rassemble alors ses amis de la scène punk, le chanteur Éric Roberge et le batteur Gérald « Max » Doré, provenant tous deux du défunt groupe Eric Panic. Carotté était formé.
Influencé par des groupes comme The Pogues ou encore Les Ramoneurs de Menhirs, Carotté lance son premier album en 2015, Punklore et Trashdition, puis un second en 2018, Dansons donc un quadrille avant de passer au cash, tous deux sous l’étiquette Slam Disques. On décèle aussi rapidement l’influence de la scène rock alternative québécoise des années 90, les deux opus étant réalisés par Vincent Peake, membre de Groovy Aardvark et de Grimskunk. On peut aussi y retrouver des collaborations avec Denis « Snake » Bélanger (Voivod), Keith Kouna (Les Goules) et Marc Vaillancourt (BARF).
Si Carotté plaît autant, allant même jusqu’à remporter le prix du choix du public lors du dernier Gala alternatif de la musique indépendante du Québec (GAMIQ), c’est aussi que le groupe est véritablement l’un des premiers à mélanger les deux styles musicaux de cette façon. Du punk rock, il tire son énergie, son tempo up beat et un petit côté contestataire. Du trad, il tire son côté festif et sans prétention, son aspect rassembleur et chaleureux, ainsi que ses sonorités instrumentales marquées par la guimbarde, le banjo, le violon, l’harmonica et bien d’autres.
Habitant
S’il en est un qui incarne parfaitement ce mélange qu’on pourrait croire contre-nature, c’est bel et bien Médé Langlois, avec qui j’ai eu la chance de m’entretenir. Ce dernier provient d’une longue lignée d’agriculteurs établis à Neuville depuis 1667 et c’est lui qui tient aujourd’hui les rênes de la ferme familiale. C’est un peu lui l’âme du groupe et on le ressent bien avec des morceaux tels que Veillée chez Médé, L’agro punk ou encore Habitant. Quand Carotté traite de sujets comme l’agriculture et la ruralité, on peut souligner que la formation ne parle pas à travers son chapeau.
« Pour moi, la musique trad, c’est mon enfance, c’est les veillées à la maison qui se finissent en jouant de la musique du terroir. » soutient-il. C’est ainsi qu’il s’initie au monde de la musique avant de faire la rencontre du punk rock à l’école secondaire. « J’ai grandi en écoutant des groupes comme Crass ou encore Conflict » me confiera-t-il. En vieillissant, Médé participera à plusieurs groupes de musique dans ce style avant de fonder Les Houlala avec Gérald « Max » Doré aussi. La formation, qui livre un punk francophone très festif, débutera comme un hommage au groupe Ludwig von 88, avant de voler de ses propres ailes. Avec les nombreux concerts, ici ou en France, que Carotté a pu faire avec les Ludwig depuis leur reformation en 2016, on peut dire que la boucle est bouclée.
Culture et agriculture
En discutant avec Médé, on peut comprendre que son métier d’agriculteur et sa passion pour la musique forment réellement un tout, une philosophie qui s’applique dans son art comme dans ses récoltes. L’agriculture de proximité à la manière des ancêtres Langlois y côtoie la musique folklorique. Ce n’est pas pour rien qu’il a travaillé à la mise en place d’une Indication géographique protégée (IGP) pour le maïs de Neuville, question de protéger son caractère unique et maintenir un standard de qualité.
Le côté contestataire du punk n’est jamais bien loin cependant. Il faut entendre Médé parler de cannabis lorsque questionné sur leur tube Chant de pot : « La légalisation, ça s’est fait tout croche, pis le résultat, c’est qu’une poignée de compagnie s’enrichit avec ça, pendant qu’on empêche les agriculteurs de le cultiver dans leurs champs. » Il poursuit : « Imagine, il pourrait y avoir un terroir nouveau qui se crée avec cette plante-là, avec des spécificités régionales, des saveurs différentes, etc. » Force est d’admettre qu’il a plutôt raison…
C’est aussi pour défendre la culture et les traditions locales que l’Agro-punk s’implique dans la lutte contre la construction du pipeline Énergie Est. « Y’a déjà assez des autoroutes pis des lignes électriques qui viennent séparer nos terres. » souligne-t-il.
Il faut le souligner, créer un groupe de musique dont la principale thématique est la vie rurale était audacieux. Ça été un pari réussit pour Carotté, qui réussit à respecter à la fois l’esprit punk et celui du trad tout en réussissant à se faire le porte-voix d’une bonne quantité d’enjeux liés au monde rural. Si, comme moi, vous n’aurez pas la chance d’aller les voir à Paris, ne ratez pas leur prochain passage dans une campagne près de chez vous !