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Carnaval de Marseille : de la révolte à l’indignation
Habituellement plutôt connu des Marseillais, le Carnaval indépendant de la Plaine a dépassé les frontières de Marseille pour faire la Une des médias nationaux. En effet, entre 3 000 et 6 000 personnes ont défilé dans les rues du centre-ville de Marseille en grande majorité sans masque ni respect des gestes barri ères. Et l’alcool aidant, quelques dégradations ont été commises par certains carnavaliers avant que les forces de l’ordre n’interviennent pour disperser la foule avant le début du couvre-feu.
Au final, une dizaine de personnes ont été interpelées. La préfecture a évoqué « l’irresponsabilité totale des participants » et de nombreux politiques se sont indignés en premier lieu duquel le maire de Marseille. « Je suis en colère. L’attitude égoïste de quelques irresponsables est inacceptable ! Ils devront répondre de leurs actes devant la justice », a tweeté Benoît Payan qui estime que « Marseille et les Marseillais ne méritent pas ça. » L’élu a été particulièrement choqué par la profanation du lieu de l’effondrement des immeubles de la rue d’Aubagne suite à la publication d’une image où l’on peut voir un participant du carnaval y uriner.
Voilà en résumé tout ce que vous avez pu lire, écouter ou voir du côté des médias nationaux. Maintenant, prenons un peu de recul.
Il faut savoir tout d’abord que le Carnaval de la Plaine existe depuis plus de 20 ans. C’est une institution dans le milieu militant et culturel marseillais. Les participants se déguisent, boivent, dansent sur des musiques de fanfare, mais les carnavaliers sont aussi là pour manifester et faire entendre leurs revendications. En 2019, lors du dernier carnaval, c’était justement l’habitat indigne qui était au coeur des déguisements, des affiches et des animations du carnaval suite à l’effondrement des deux immeubles de la rue d’Aubagne le 5 novembre 2018.
Lieu populaire de Marseille, le quartier de la Plaine est lui-même un sujet de lutte. Les travaux qui ont lieu place Jean Jaurès – ça ne s’invente pas – sont remis en cause par les organisateurs du Carnaval qui reprochent au pouvoir public de vouloir gentrifier l’endroit. Un projet de ZAD, en lien avec celle de Notre-Dame des Landes, était d’ailleurs un temps évoqué pour protester contre le projet de requalification. Finalement, le chantier de réhabilitation a bien eu lieu, non sans encombre. D’où des dégradations qui ont eu lieu ce dimanche sur la place où les travaux doivent être livrés.
“Le nouvel aménagement de la place Jean-Jaurès a été saccagé sous les yeux des habitants, parents et enfants, impuissants. Même l’aire de jeu destinée aux minots a été vandalisée. Le coût des dégâts est estimé à 100 000 euros. Beaucoup de familles se sont couchées avec la boule au ventre et l’envie de déménager. Cette place devrait être la plus belle de la ville”, a réagi Mathieu Grapeloup, sur sa page Marseille à la loupe, qui suit de près les travaux de la 2e ville de France.
Le Carnaval de la Plaine s’inscrit également dans la tradition du carnaval à la Provençal avec le procès du Caramentran, bouc émissaire accusé de tous les maux : de l’hiver, des maladies, de la sécheresse et des mauvaises récoltes. Jugé par un tribunal populaire, il est au final mis en feu malgré un avocat plus ou moins convainquant. Dimanche, le procès a eu lieu sur la Canebière et c’est un Caramentran à l’effigie du chantier de rénovation de la Plaine qui a été mis en feu. L’image, impressionnante, a tourné en boucle sur BFM TV mais sa symbolique n’a pas forcément été expliquée.
Toujours est-il que des milliers de personnes se sont réunies sans respect des gestes barrières, malgré un taux d’occupation des lits de réanimation proche des 100 % dans les Bouches-du-Rhône. Un choix assumé par une grande partie des carnavaliers qui ont revendiqué un « droit de faire la teuf ». D’ailleurs, on a pu croiser parmi les personnes déguisées pas mal de participants déguisés en professeur Raoult ou en médecin de peste.
« Il faut mesurer aussi, à travers cela, l’état de frustration aujourd’hui, des Françaises et des Français, en particulier des plus jeunes. Jusqu’à maintenant c’était plus ou moins caché, maintenant c’est dans la rue », a déclaré Jean-Marc Coppola, adjoint au maire de Marseille, en charge de la culture qui a tenu à condamner les dégradations qui ont été commises tout en regrettant la mise à l’arrêt du monde de la culture.
Et pour m’être promené sur la Canebière juste avant que les policiers ne dispersent la foule, il faut dire qu’il régnait sur place comme une ambiance de « Dernière fête avant la fin du monde » où tous les interdits sont levés après un an de frustration. J’ai certes vu de nombreuses personnes sans masque, mais surtout des carnavaliers heureux de danser n’importe comment et de faire la fête comme lors d’un festival pré-covid. En espérant que tout ce beau monde ne soit pas à l’origine de nouveaux cas de réanimation du côté de La Timone.