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Capitalisme, autoritarisme : l’action directe comme nécessité politique

Aujourd’hui encore, l’action directe demeure porteuse d’espoir et nous rappelle qu’il existe toujours des moyens d’agir concrètement, même — et peut-être surtout — dans une société ultracapitaliste qui tend à se fasciser.

Par
Pacha Hadziavdic
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La meilleure façon de changer les choses, c’est déjà, dans un premier temps, d’essayer de les changer. C’est sur cette idée que repose l’action directe : le fait, pour un citoyen, d’agir par lui-même, en contournant les canaux traditionnels de la politique institutionnelle. Ces voies conventionnelles écartent le citoyen des processus politiques réels, souvent menés sans son consentement, ni même sa connaissance. L’action directe redonne à chacun le pouvoir d’exprimer et d’imposer sa volonté politique en instaurant un véritable rapport de force avec les détenteurs du pouvoir, les élites, les institutions destructrices. Issue de la mouvance anarchiste et vieille de plus d’un siècle, l’action directe continue encore aujourd’hui de démontrer son efficacité.

« Accueille le printemps, crame une Tesla »

Depuis quelques mois, la « Musk Mania » s’effrite. En ce début d’année, dans la nuit du 2 au 3 mars 2025, le collectif anarchiste « Information anti-autoritaire Toulouse et alentours» (IAATA) a répondu à l’appel « Accueille le printemps, crame une Tesla » – relayé sur plusieurs sites anarchistes – en incendiant une douzaine de voitures Tesla stationnées sur le parking d’un concessionnaire de la marque, près de Toulouse. Dans l’appel, Tesla est décrite comme une entreprise fondée sur « l’esclavagisme, l’impérialisme blanc et des valeurs patriarcales de compétition ». L’appel ne manque pas de viser Elon Musk, figure emblématique de l’entreprise, qualifié de « fasciste et néonazi » qui « encourage le masculinisme et le virilisme » et s’entoure de personnalités « transphobes, homophobes et sexistes. » Les termes sont posés.

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Une action similaire avait déjà eu lieu deux ans plus tôt, en Allemagne, à Francfort, où des militants écologistes avaient incendié une quinzaine de voitures Tesla. Le coût estimé des dégâts s’élevait alors à environ 500 000 euros. Toujours en Allemagne, en mars 2024, un groupe d’activistes pour l’environnement, le Vulkan Gruppe, a revendiqué l’incendie d’un pylône électrique situé à proximité de la Gigafactory Tesla, près de Berlin. Cette action a entraîné une coupure de courant, forçant l’usine à interrompre ses activités pendant plusieurs jours. Selon des sources proches du constructeur, cette attaque aurait causé des pertes estimées à plusieurs centaines de millions d’euros. La chaîne de production du modèle Y, qui assemble environ 1 000 véhicules par jour, a été complètement à l’arrêt, perturbant les livraisons à l’échelle européenne.

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Carrosseries rayées, pneus crevés, vitres brisées… Des actes de micro-sabotage, non revendiqués et réalisés en dehors de tout cadre organisationnel, ont également été recensés dans de nombreux pays. Début 2025, en France, les immatriculations de Tesla ont chuté de -26 % en février et -36 % en mars par rapport aux mêmes mois de l’année précédente. Dans certains pays européens, même constat, en pire. Les immatriculations ont reculé de 65,6 % au Danemark et de 61 % aux Pays-Bas. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette chute brutale : la concurrence accrue des constructeurs européens et chinois ou l’absence d’un modèle véritablement abordable dans la gamme Tesla. S’il reste difficile de quantifier précisément l’impact de chacun de ces éléments sur les résultats globaux de l’entreprise, il ne fait aucun doute que les campagnes de boycott et les actions de sabotage ont eu des conséquences notables sur les ventes et l’image de marque de Tesla. Qu’ils soient revendiquées ou non, ils nuisent à l’image de marque de l’entreprise, au point d’influencer les décisions d’achat de potentiels consommateurs. Sur le plan matériel, ces actes de sabotage perturbent la production et la livraison des véhicules, fragilisant ainsi la rentabilité de l’entreprise.

Saboter les faiseurs de guerre

Il y a ceux pour qui le sabotage constitue un mode d’action prioritaire au service de leurs objectifs politiques. C’est le cas de Palestine Action, un réseau transnational qui s’organise contre le complexe militaro-industriel qui approvisionne Israël en matériel utilisé pour perpétuer l’apartheid et la colonisation. Les groupes militants de Palestine Action s’emploient à perturber la production et la livraison d’armements à destination de l’État israélien. Ils ciblent régulièrement, par exemple, les installations d’Elbit Systems au Royaume-Uni, un fabricant israélien d’armements qui fournit drones et équipements militaires à l’armée israélienne.

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Palestine Action prône l’action, sous toutes ses formes, comme la seule réponse sérieuse face à la participation active des États et des entreprises au génocide à Gaza. Sa stratégie de harcèlement ciblé — par le blocus, l’occupation, le sabotage, la médiatisation, l’interpellation — a déjà porté ses fruits. Depuis sa création en 2020, la branche britannique de Palestine Action revendique plus d’une dizaine de victoires. Plusieurs entreprises, comme Hydrafeed, APCO Worldwide ou encore Barclays, ont mis fin à leurs collaborations avec Elbit Systems. On peut également citer la fermeture de certaines usines, notamment celle de Elite KL à Tamworth, ainsi que l’abandon du siège londonien d’Elbit en juin 2022.

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Criminaliser la résistance

Sept militants solidaires de la Palestine seront jugés le 27 mai prochain au tribunal de Nanterre, à la suite d’une action menée par Palestine Action contre l’entreprise d’armement Thales. Le 1er février 2024, Palestine Action France a organisé une opération sur le site de Thales à Gennevilliers, pour dénoncer la participation active du groupe au génocide en cours à Gaza. Selon Palestine Action, les militants ont été violemment arrêtés, placés en garde à vue, puis visés par une plainte déposée par Thales. Dans un communiqué, l’organisation dénonce la justice française qui « poursuit celles et ceux qui dénoncent le génocide, plutôt que ceux qui senrichissent du commerce des bombes, des drones et des logiciels de surveillance. » À ce sujet, les militants concernés déclarent vouloir faire de ce procès une tribune politique, afin de visibiliser l’implication de Thales dans la colonisation et le massacre de la population palestinienne.

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Balkans : l’action directe pacifiste

Les Balkans ont récemment initié une dynamique de contestation non violente. Depuis quelques mois, les pays d’Europe du Sud-Est mènent une offensive d’une ampleur inédite contre la corruption des élites. Le 24 janvier dernier, les consommateurs croates ont répondu à un appel au « buycott » lancé par des associations locales, en réaction à l’explosion de l’inflation, la plus élevée de l’Union européenne. Des dizaines de milliers de Croates se sont ainsi mobilisés contre la vie chère en boycottant massivement, pendant 24 heures, les grandes enseignes du pays. Résultat : une chute de 50 % du chiffre d’affaires sur la journée, par rapport à la semaine précédente. La population s’est mobilisée à nouveau la semaine suivante, cette fois pour une durée prolongée. La campagne visait principalement les trois principaux groupes de grande distribution, ainsi que plusieurs banques et plateformes de livraison. Suite à la mobilisation, des grandes enseignes, ainsi que le gouvernement, ont pris des mesures pour bloquer ou diminuer les prix de nombreux produits.

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Ces actions de boycott s’inscrivent dans un contexte de contestation plus large, amorcé quelques semaines plus tôt, en novembre 2024, en Serbie, pays voisin, à la suite de l’effondrement du auvent de la gare de Novi Sad. Cet accident, qui a causé la mort de quatorze personnes, a ravivé — et considérablement amplifié — le sentiment de colère et d’injustice déjà profondément ancré dans les sociétés balkaniques. En Serbie, en Bosnie, en Croatie, les populations vivent depuis la fin de la guerre dans un climat de corruption chronique, entretenue et aggravée par des élites politiques peu soucieuses du bien public. Ces mêmes élites, accusées de négliger l’entretien des infrastructures et des services publics, se trouvent aujourd’hui désignées comme responsables d’un abandon systémique dont l’accident de Novi Sad est devenu un symbole.

Depuis, des manifestations hebdomadaires d’une ampleur inédite secouent le pays. Elles rassemblent chaque semaine et sur plusieurs mois, des dizaines de milliers de citoyens, dont une grandie partie sont étudiants. Face à la mobilisation massive et au blocus sur plusieurs jours de la télévision publique RTS, le gouvernement a, par exemple, relancé un processus de nomination pour les membres du REM (Conseil de régulation de l’audiovisuel), satisfaisant ainsi l’une des revendications des manifestants.

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@rocknrrolla

someone took 65 million, MILLION of euros for reconstruction of train station in Novi Sad, that collapsed and killed 15 people, 16 victim, boy, rumor said that is brain dead, after 3 months of fighting. We are still want responsible to pay for their crimes. We don’t want resignation, we want justice. #protest #protestserbia #serbiaprotest #serbia #serbia🇷🇸 #serbian #youarenotourpresident #nisinadležan #nisinadlezan #wewantjustice #corruption #govermentcorruption

♬ original sound – Mineral B

La violence, oui ou non ?

Les modalités d’action sont plurielles. Elles peuvent être pleinement pacifiques, comme la manifestation ou la campagne de boycott ; plus actives, comme le sabotage, l’occupation ou la grève ; voire totalement violentes, comme l’attentat ou l’assassinat, à l’image de ce qu’a accompli Luigi Mangione, tueur présumé d’un patron d’un assureur santé aux États-Unis.

La question de la violence dans la lutte divise. Dans La violence : oui ou non, publié en 1987, le philosophe allemand Günther Anders s’interroge sur l’usage légitime de la violence face à des enjeux aussi urgents que ceux liés au nucléaire et à l’énergie atomique, qui menacent l’humanité dans son ensemble. Selon lui, les formes de contestation sacrificielles — telles que la grève ou la grève de la faim — ne sont pas à la hauteur du danger réel que représentent certains enjeux politiques contemporains. Il critique également les formes de contestation « joyeuses », qu’il rapproche du théâtre. Pour Anders, ces actions s’apparentent à des happenings : elles donnent l’illusion de l’efficacité, mais peuvent être facilement ignorées ou neutralisées, sans perturber en profondeur les forces dominantes.

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