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Calais : des habitants viennent en aide aux exilés

Portraits de cette solidarité locale.

Par
Mewen Leprêtre
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À Calais, le froid hivernal frappe depuis plusieurs semaines les camps d’exilés aux origines multiples, mais au but commun : l’Angleterre. La couverture médiatique amène à penser que les locaux vivent ce flux migratoire comme un fléau. Pourtant, de nombreux Calaisiens, dans l’ombre, se démènent pour les aider à leurs échelles et hors associations. Trois d’entre eux ont accepté de nous rencontrer et de nous emmener avec eux afin de raconter leurs actions.

Grégory, un Calaisien qui refuse de rester inactif face à la misère qui l’entoure

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Âgé de 38 ans, d’origine modeste, Grégory a grandi dans un quartier HLM, « un pur produit de Calais » comme il se définit. Ce réparateur informatique a toujours vécu à proximité des camps. Au volant de son Scénic, il ralentit et montre un grand parc : « Quand on était plus jeunes, on faisait des barbecues, les exilés venaient déjà manger avec nous. » Dans ce même lieu, les associations distribuaient des denrées alimentaires, désormais, c’est impossible. La préfecture a fait placer un enrochement pour les en empêcher.

Habitants solidaires et associations se côtoient sur le terrain, et agissent chacun à leurs échelles et avec leurs moyens. Il a peu, mais donne beaucoup, comme grand nombre de Calaisiens, mais relativise. « J’ai des conditions de vie un peu précaires, comme beaucoup de gens ici dans notre ville. Je me dis qu’on n’est pas si mal loti à côté des exilés ». Il n’a pas tort, leurs conditions de vie sont alarmantes.

À proximité d’une zone commerciale, un long chemin boueux est entouré de campements de fortunes des migrants. Grégory descend, deux sacs de courses remplis à ras bord et des packs de bouteilles d’eau à bout de bras. Aujourd’hui, il leur apporte des aliments : produits non-périssables, huile, farine, pain d’épices, chocolat, oranges… mais aussi des produits d’hygiène.

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Grégory présente la longue liste de courses qu’il a réalisées pour sa distribution alimentaire.

Sans accès à l’électricité et sans eau courante, malgré des cuves installées par les associations, difficile de cuisiner sur place. Le trentenaire essaie alors de pallier ce manque. « Avec la famille, les amis et les voisins, on récupère des poêles, des grilles de barbecue, des casseroles. C’est la seule solution pour qu’ils puissent se faire à manger. »

Grégory, chargé comme une mule, titube dans le chemin en saluant les habitants du campement. Le lieu grouille de rats qui rongent des détritus et se faufilent entre les tentes.
Un petit groupe d’une dizaine de jeunes hommes le salue, ils sont soudanais, âgés de 14 à 20 ans. Aussitôt les denrées distribuées, ils convient le trentenaire à boire un café en contrebas d’un talus, sous une bâche tendue entre un arbre et le mur des habitants voisins. Le camp est à deux pas des habitations.

Sur place, place aux rires et aux taquineries. « Le seul code qui marche, c’est le coeur », lance Greg, assis au coin du feu avec les exilés. Malgré la barrière de la langue, dans un anglais hésitant, ils se racontent leurs histoires mais surtout pourquoi ils sont partis. L’un d’entre eux nous tend son téléphone, la main tremblante, le regard froid : on y voit une famille passée à tabac par la police soudanaise. « C’est très dangereux au Soudan ».

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Grégory a été convié par les jeunes Soudanais à boire un café au coin du feu en remerciement.

Un instant de partage émouvant, d’une heure et demie. Un long moment que les habitants comme Greg peuvent se permettre, contrairement aux associations. « Elles font très bien leur boulot, et d’ailleurs autant pour les personnes exilées que pour les SDF. Elles ont des impératifs de temps, elles doivent aider sur différents lieux de vie. Nous, en tant qu’habitants, on a la possibilité d’échanger et de partager des moments privilégiés avec eux. » Le café fini, Grégory les salue : « Je reviendrai vous voir ! ». Il remonte, non sans mal, le talus détrempé. Un dernier échange de sourire et le Calaisien repart. Cette fois-ci, les mains vides.

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Sylvia, une Calaisienne qui informe, distribue et stocke le nécessaire des exilés

La nuit tombe sur Calais quand Sylvia nous accueille chez elle. Son appartement se remarque de loin en passant dans la rue. Difficile de se tromper : à son balcon, elle a accroché une banderole “Stop aux démantèlements”, traduite en anglais et en français. « C’est insoutenable de voir des enfants, des femmes, des hommes sans rien dans la rue. Ils ont froid ! ».

Elle est devenue calaisienne après le décès de son père. La vue des camps et des conditions de vie de ses habitants ont provoqué chez elle effroi et surprise. De nature bavarde et curieuse, elle a alors choisi de se rendre sur place pour parler aux exilés, comprendre leurs volontés, écouter leurs récits. Elle a même commencé à monter un dossier pour documenter ce qu’il se passe dans sa ville. Photos, articles de presse, avis d’expulsion, et documentation à l’attention des exilés, en anglais et en arabe. Elle le montre aux exilés pour déconstruire l’image d’eldorado de la destination tant prisée : l’Angleterre. « L’Angleterre, ce n’est pas bien ! », lance Sylvia aux exilés, en leur citant l’exemple de son ami d’origine irakienne.

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Il y a quelques mois, elle a sympathisé avec ce jeune homme, rencontré dans un lieu de vie à deux pas de chez elle. Il a désormais traversé la Manche malgré ses recommandations et pour quels résultats ? « Il touche 30 € par jour et vit dans une grande misère en Angleterre. Après avoir payé le repas, les cigarettes et un toit, il ne lui reste plus rien. Tous ces risques pour rejoindre l’Angleterre… non, il ne faut pas ».

Cette Calaisienne n’en est pas à son premier coup d’essai en matière d’aide. Au Maroc, elle avait déjà une association qui apportait des aides diverses aux nécessiteux. Depuis la pandémie de Covid-19, elle ne peut plus utiliser ces denrées et se rendre à l’étranger. Soucieuse de vouloir aider, elle ne s’est pas découragée et a commencé à aider autour de chez elle, à Calais. Pour Sylvia, il est impossible de regarder la situation les bras croisés au regard des ressources accumulées.

Sylvia nous présente sa cave où sont entreposés ses futurs dons, un “bordel” dans lequel elle s’y retrouve.
Sylvia nous présente sa cave où sont entreposés ses futurs dons, un “bordel” dans lequel elle s’y retrouve.
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En plus d’informer les exilés, Sylvia leur apporte une aide logistique précieuse. Dans sa cave, elle stocke des dizaines de cartons. Il y en a partout : dans le couloir, au sol, empiler les uns sur les autres, jusqu’au plafond : « c’est le bazar mais je m’y retrouve ».

Arrivée au centre de la pièce, après quelques grands écarts au-dessus de ce « bordel », elle nous explique sa démarche. « Je récupère des affaires que je stocke. Quand je vais voir les habitants dans les camps, ou quand je les croise dans la rue, je leur demande ce dont ils ont besoin. Je regarde alors ce qui peut leur convenir et je leur apporte. » On trouve de tout dans ses boîtes : pulls, jouets pour enfants, riz, pâtes ou encore chaussures. « Celles-ci je dois les apporter demain à un migrant », explique t-elle en extirpant une paire de chaussures rouges d’un sac. Sylvia leur propose aussi de garder leurs affaires en sécurité pour une durée indéterminée.

Lors de notre entrevue, elle avait justement prévu de distribuer quelques vêtements à des exilés qui dorment dans des tentes sous un préau du centre de Calais. « Hey Sylvia ! », lancent trois jeunes hommes qui viennent à sa rencontre. Elle ne passe pas inaperçue, loin de là. Malgré son faible niveau en anglais, cela ne la décourage d’aller à la rencontre de l’autre. Un mélange de français, d’anglais et de signes lui suffisent pour faire passer ses messages et comprendre les besoins de ses interlocuteurs. Elle prend des nouvelles de toutes les personnes présentes et s’assure que tout va bien. « Les plus jeunes pourraient être mes petits enfants… », glisse Sylvia émue.

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Lydia, venue de Cologne, lors de sa distribution hebdomadaire dans un camp de Grande-Synthe

Il est 10h. Au bout d’un chemin excentré de Grande-Synthe, à la sortie d’un grand axe routier, des dizaines de tentes sont installées sur une voie ferrée désaffectée. Plus de 400 personnes survivent dans ce camp de migrants. Tous les profils se côtoient : jeunes hommes, vieillards, femmes, pères de famille, enfants, parfois des bébés. Il fait froid. La plupart des personnes viennent à peine de s’endormir. Les températures avoisinant les 0 degrés et rendent les nuits difficiles, voire impossibles. Ils profitent alors de l’embellie matinale pour se reposer. Les nombreux feux de camp dégagent une odeur de brûlé agressive. Tout est bon pour raviver les flammes : bois, plastique, gel hydroalcoolique…

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Des exilés autour d’un feu, ravivent la flamme avec du gel hydroalcoolique à Grande-Synthe. La fumée nocive leur pique les yeux.

Un attroupement se forme autour d’une camionnette blanche. Des familles accourent dans sa direction. C’est probablement une distribution d’une des associations venant en aide quotidiennement aux exilés tout au long de la frontière franco-britannique. Dans l’utilitaire, ce ne sont pas des bénévoles, mais une seule femme. « Non attendez, ce n’est pas une file indienne ça, rangez-vous correctement ! », dit-elle d’un ton ferme aux individus amoncelés à l’arrière de son fourgon. Cette femme, c’est Lydia.

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Des exilés de tout âge attendent leur tour à l’arrière de la camionnette de Lydia. L’un d’entre eux a déjà récupéré une poêle.

Lydia n’est pas du coin : elle arrive tout droit de Cologne, en Allemagne. Chez elle, elle travaille dans une entreprise qui propose des services administratifs à différentes sociétés. À Calais, Lydia est une bouffée d’air frais pour plus d’une centaine de personnes. « Je suis partie à 4 heures du matin pour être ici à 9 heures ».

Tout a commencé par de simples vacances en famille à l’été 2021. Lydia prend la route direction le nord de la France. Malgré elle, elle se heurte à la dureté de la situation sur place. « En allant en vacances à Boulogne-sur-Mer, je suis passé par cette route. En voyant tous ces gens, les feux, les tentes… j’ai décidé de revenir pour aider. » Ces vacances ont été un vrai électrochoc.

Dès son retour, elle veut comprendre ce qu’il se passe à la frontière. « J’ai alors cherché sur internet en rentrant de vacances pour savoir où se trouvaient les camps ». La mère de famille n’a pas attendu pour revenir et aider à son échelle. Moins de quelques semaines passent, avant de prendre la décision de mener sa première action fin août 2021. « La première fois je suis venue avec une amie, on s’est installé et on a cuisiné […]. J’ai ensuite demandé aux gens quels étaient leurs besoins, à part manger ». Un début improvisé donc, mais des actions qui sont désormais réalisées avec une grande attention et organisation.

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Depuis, tous les samedis, Lydia remplit son utilitaire avec tout ce qu’elle peut : bottes, casseroles, vêtements, parfois des tentes quand elle arrive à en récupérer. « Vous voyez les bottes blanches qu’ils ont aux pieds ? C’est celles-là que je distribue ! ». Ce matériel est issu de récoltes de dons organisées dans la métropole allemande. Pas d’appels de grandes envergures, le bouche à oreille suffit : « J’ai un grand groupe d’amis, ce sont eux qui me donnent ce que j’apporte ».

Chaque préparation, chaque récolte et chaque déplacement sont à ses frais. Elle pourrait passer par une association, mais elle revendique une action efficace et surtout indépendante. « Je ne veux pas m’embêter avec l’administratif. Dans une association, il y a des chefs, des actions à voter en amont, c’est long et fastidieux. Seule, je peux décider du temps que j’y consacre et de la manière dont je procède. »

Sur un ton plus indigné, Lydia déclare ne pas comprendre comment la situation migratoire en est arrivée là. « Ça se passe à 400 kilomètres de chez moi. Je passe plus de temps sur la route pour aller à Berlin qu’ici. Je ne comprends pas… Une situation comme celle-ci est inacceptable en Europe […] En Allemagne, les gens ne sont pas au courant de la situation à Calais. Les médias en ont parlé uniquement parce que 27 personnes y sont mortes en novembre ».

Trois jeunes hommes. Ils passent le temps comme ils peuvent, à proximité de leur campement à Grande-Synthe.
Trois jeunes hommes. Ils passent le temps comme ils peuvent, à proximité de leur campement à Grande-Synthe.
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Le camion vidé, les exilés retournent auprès de leurs tentes. Vite, il faut partir, 4 heures de route sont nécessaires pour rentrer à Cologne. Lydia reviendra dans une semaine avec ce même véhicule, à nouveau rempli, pour une énième distribution. Une goutte d’eau de solidarité dans cet océan de misère.

Lorsque l’on interroge les exilés sur leur situation et leurs intentions, la réponse est unanime : « Je ne veux pas une vie meilleure, je veux juste une vie normale », indique un soudanais de 37 ans.

Cet ancien policier Soudanais, rencontré dans un camp auprès du feu, rapporte que tout se passe bien avec les habitants. Les exilés les considèrent comme des amis, au même titre que les associations. Ils cohabitent. À chaque rencontre, ils sont ravis de pouvoir échanger avec les Calaisiens. « Le problème ce n’est pas les habitants, au contraire, le seul problème ici, c’est la police. »