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A une cinquantaine de kilomètres au nord-ouest de Kiev, la vie des habitants de cette petite ville tranquille d’environ 30 000 habitants, occupée par l’armée russe pendant plusieurs semaines, s’est transformée en enfer. Des cas de viol, de torture et de pillage systématique ont rythmé le quotidien des habitants restés dans la ville ainsi que dans d’autres villages alentour. Plusieurs centaines de cadavres ont été découverts à Boutcha dans des fosses communes ou dans les rues de la ville, dans les jours suivant le retrait de l’armée russe et son repli vers l’est du pays, au début du mois d’avril.
Dans l’une des rues principales, qui relie la ville d’Irpin à Boutcha, les restes d’une dizaine de tanks russes calcinés gisent au milieu d’habitations détruites, résultat d ’une contre-attaque aérienne des forces ukrainiennes au début du mois de mars. C’est ici qu’a donné rendez-vous Yevgen, 53 ans. Cet ancien soldat de l’armée soviétique dit avoir survécu grâce à sa connaissance des mœurs des soldats russes.
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Ça ne l’empêche pas d’être sidéré par l’absence de discernement des jeunes soldats avec lesquels il a brièvement échangé : « Plusieurs fois je leur ai demandé les raisons de leur venue à Boutcha. Ils m’ont répondu qu’ils voulaient nous libérer des Américains. Des Américains ? A Boutcha ?J’ai passé ma vie ici et je n’en ai jamais croisé un seul ! » , a répondu Yevgen.
Lui-même a été témoins de plusieurs assassinats : une femme abattue alors qu’elle circulait dans la ville après le couvre-feu, trois passagers d’une voiture qui avaient emprunté une rue « interdite » à la circulation.
« L’un de mes amis s’est fait tué d’une balle dans la tête, juste parce qu’il prenait une photo d’un char russe. Il a disparu le 28 février et on a retrouvé son corps un mois plus tard. », explique Yevgen. Il évoque aussi de nombreux viols perpétrés par l’armée russe. Sa femme menacée à plusieurs reprises, a réussi à s’en sortir en prétendant qu’elle est atteinte du sida et en échange de quelques cigarettes. « les cigarettes servaient à tous pendant l’occupation russe. Quand nos réserves de nourriture ont commencé à s’amoindrir et qu’il n’était plus possible de retirer de l’argent, c’est devenu notre principal moyen pour faire du troc ».
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Outre les actes de violence, l’accès à la nourriture a constitué un défi pour les habitants. D’après Yevgen, lors des deux premières semaines d’occupations, les habitants avaient des stocks suffisants, mais la situation s’est ensuite détériorée : « La troisième semaine, certains habitants ont commencé à manquer de vivre et il y a eu beaucoup d’entraide entre voisins. À la fin, plus personne n’avait de quoi se nourrir. Le dernier jour, j’ai dû manger la nourriture de mon chien », raconte Alexi qui rappelle que la plupart des supermarchés ont été pillés dès l’arrivée des soldats russes et que l’électricité et le gaz ont été coupés à la même période.
« Un jour, on nous a dit que l’un des supermarchés de la ville était ouvert donc j’y suis allé avec d’autres hommes de l’abri. On avait plus à manger. Une fois sur place, les Russes ont commencé à nous tirer dessus. J’ai juste eu le temps de m’allonger et j’ai entendu les balles siffler autour de moi », se souvient Pavlo, qui a eu 20 ans à la fin du mois de février, au début de l’occupation russe. Il a passé la journée de son anniversaire dans un abri, au sous-sol de l’école de vétérinaire dans laquelle il fait ses études, accompagné de sa petite amie et de sa mère malade.
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D’après son estimation, près de 400 personnes, dont une quarantaine d’enfants, ont trouvé refuge dans ce qui est en temps normal la salle de fitness de l’école. Quelques jours plus tard, il a fui Boutcha dans un bus bondé pour mettre à l’abri sa mère et sa copine dans la ville d’ Oujhorod, à la frontière polonaise. Aujourd’hui, de retour chez lui, il dit ressentir de la culpabilité d’avoir abandonné sa ville. Sa famille est restée à Oujhorod et il a découvert que son grand-père qui avait refusé de quitter Boutcha est mort de cause naturelle pendant son absence.
Aujourd’hui, le jeune homme cherche un cimetière pour accueillir la dépouille de son grand-père et participe en temps que bénévole à la distribution alimentaire pour les habitants de Boutcha qui vivent toujours sans gaz ni électricité. Quelques rues plus loin, autour de l’ église Saint-André, la police scientifique ukrainienne s’affaire autour d’une fosse commune. Une quinzaine de corps enveloppés dans des sacs mortuaires noirs ont été exhumés, plusieurs dizaines d’autres gisent encore dans la fosse.
Des organisations comme Human Right Watch ainsi que l’Institut de Recherches criminelles de la Gendarmerie nationale française ont depuis été dépêchés sur les lieux afin de déterminer au plus vite la date et les causes de la mort des victimes. Les autorités ukrainiennes espèrent que l’enquête en cours déterminera les responsabilités des dirigeants russes et qu’ils seront traduits devant la Cour pénale internationale. D’après le maire de Boutcha, 290 corps ont été découverts à ce jour.