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« Bones and All » : le meilleur film d’amour cannibal que nous n’avez (probablement) jamais vu
Le 10 janvier 2021, une femme nommée Efrosina Angelova publiait sur son compte Instagram une série de textos extrêmement graphiques et alarmants écrits par l’acteur américain Armie Hammer et allant de l’admission d’un viol à des confessions de désirs cannibales.
Dix-huit jours plus tard, son ami et ancien collègue Luca Guadagnino (avec qui il s’est rendu aux Oscars pour Call Me By Your Name) annonçait qu’il serait à la barre de l’adaptation du roman de Camille De Angelis publié en 2015, Bones & All. Deux nouvelles en apparence peu ou pas reliées, sauf pour ce léger détail qui porte à confusion : Bones & All raconte l’improbable histoire d’amour entre deux jeunes cannibales.
Armie Hammer n’a jamais rien eu à voir avec Bones & All, mais les coïncidences malheureuses (et un peu dérangeantes) n’existent pas sur les réseaux sociaux. Internet s’est immédiatement enflammé à l’hypothèse que Guadagnino fasse un film sur les perversions sexuelles de l’acteur, tuant du même coup le momentum du film avant même sa sortie. Il n’a passé la barre du million en profits qu’aux États-Unis et en Italie. Ouch.
Maintenant que Bones & All est disponible en vidéo sur demande, je vous annonce qu’on s’est tous laissés berner par les circonstances et que cette œuvre était bel et bien l’une des meilleures de 2022, malgré le sang, les tripes et les repas mal avisés ?
L’amour en marge de l’existence
Mettant en vedette le playboy aux allures d’adolescent, Timothée Chalamet, et une Taylor Russell à peine reconnaissable, Bones & All raconte l’histoire de Maren et Lee, deux jeunes adultes avec un besoin aussi compulsif qu’inexplicable de dévorer de la chair humaine. Ce besoin intrusif ostracise tous ceux qui en souffrent et les condamne à une existence austère et marginale.
Malgré les circonstances et le danger imminent à leur sécurité que cause cette condition, Maren et Lee trouveront suffisamment de réconfort l’un dans l’autre pour vivre comme des gens normaux ne serait-ce qu’un peu.
L’univers du film est sale, sombre et oppressif, mais il existe afin de nous faire savourer les moments de soleil dans la vie de deux personnages habitués à exister sans chaleur humaine.
Maren et Lee sont uniques et attachants parce qu’ils sont, en bonne et due forme, des monstres coincés bien malgré eux de l’autre côté de l’injonction morale, éternelle et nécessaire au bon fonctionnement des sociétés : ne pas faire du mal aux autres. Ils ne sont pas exactement cruels ou vengeurs, mais plutôt possédés par un besoin viscéral qu’ils ne s’expliquent pas. Leur existence même est un danger pour le commun des mortels et dans n’importe quel autre film ou série, Maren et Lee ne pourraient sous aucun prétexte ressembler de près ou de loin à des êtres humains complexes, mais charmants.
Cependant, Bones & All n’est pas n’importe quel film.
Au-delà de son horreur assumée, l’œuvre fonctionne comme une touchante allégorie de la marginalité. Les scènes de cannibalisme sont difficiles, inévitables et donnent à la romance entre Maren et Lee un sentiment d’urgence perpétuel, mais elles ne sont, théoriquement, qu’accessoires à la quête des deux personnages.
Car la magie de Bones & All s’exprime quand il ne se passe rien. Dans ses silences et ses moments impressionnistes où Maren et Lee communiquent sans rien dire. L’univers du film est sale, sombre et oppressif, mais il existe afin de nous faire savourer les moments de soleil dans la vie de deux personnages habitués à exister sans chaleur humaine.
Guadagnino et la beauté austère
Un autre plaisir propre aux films de Luca Guadagnino est leur caractère simple et naturaliste. C’est beau, organique et cinétique. Ils ont quelque chose de vraiment difficile à mettre en mots. C’est parfois le vent qui souffle dans les arbres et qui rappelle l’été ou la façon imprévisible dont la lumière danse sur le corps des personnages. L’attention au réalisme de ces détails fait de sa filmographie un véritable plaisir pour les yeux.
L’Amérique routière est d’ailleurs un personnage important de Bones & All, dans ses microcosmes locaux comme dans ses champs à n’en plus finir. Dans la beauté incontrôlée de ses lieux sauvages comme dans le chaos organisé de ses petites villes. On la sent bienveillante envers Maren et Lee à certains endroits et meurtrière à d’autres. Pour les personnes qui ont suivi des cours d’écriture, Bones & All est l’excellent exemple d’un récit réussissant le-lieu-comme-personnage.
Un autre plaisir propre aux films de Luca Guadagnino est leur caractère simple et naturaliste. C’est beau, organique et kinétique.
C’est vraiment malheureux que les désirs cannibales d’Armie Hammer aient fait dérailler tout intérêt pour cette réussite magistrale de Luca Guadagnino. Mais maintenant que Bones & All est disponible en location, faites-vous donc plaisir en passant deux heures dans la vie de Maren Yearly et de son copain. Vous allez peut-être vouloir manger de la salade et des pois chiches pendant deux, trois jours ensuite, mais je vous jure que ça en vaut la peine.
Si vous avez l’estomac fragile et nécessitez d’être un peu plus convaincus de regarder quelques séquences d’horreur très crues, sachez que les scènes de cannibalismes ont été conçues à l’aide des cerises maraschino et de sauce au chocolat noir. Vous pouvez vous imaginer ça quand ça saigne à l’écran ! Vous allez voir, ça aide à faire passer les scènes plus difficiles !