La quête de la perfection nous guide depuis notre plus jeune âge. Enfants, nous voulions tout faire pour que nos parents soient fiers de nous. À l’école, nous travaillions dur pour avoir les meilleures notes possibles. Adultes, nous cherchons ce qu’il y a de mieux dans toutes les facettes de notre vie : le meilleur job, le meilleur salaire, former le meilleur couple, avoir la meilleure vie. Et comme si ce n’était pas suffisant d’être formatés à courir après cet idéal, ce mythe de la perfection nous est rappelé partout : à la télé, dans les magazines, sur les réseaux, dans les livres, à base de conseils et de mantras pour devenir la meilleure version de soi.
Si elle nous concerne tous.tes et qu’elle influence plusieurs pans de nos vies, il serait cependant hypocrite de dire que nous sommes tous égaux face à cette quête, il faut le dire, vaine. Avouons-le, s’il y a bien un élément en particulier sur lequel la quête de la perfection fait pression, c’est bien sur le corps des femmes. Rien de nouveau sous le soleil. Mais rappelons quand même que la bataille étant loin d’être gagnée, bon nombre de femmes continuent à se battre pour une plus grande acceptation des corps, une plus grande visibilité des physiques considérés comme en dehors de la norme.
Ces dernières années, nous avons déjà fait quelques progrès. Les marques sont de moins en moins frileuses à montrer des corps non maigres. On voit de plus en plus de personnes racisées dans les médias. Pourtant, malgré cette impression d’ouverture, force est de constater que l’insatisfaction quant à son propre corps est toujours là, que l’on fasse un 36, un 44 ou un 52. Que l’on soit blanche et que l’on arbore un teint de porcelaine et une taille de guêpe, que l’on soit noire, grosse, les cheveux crépus, que l’on ait le visage rempli d’acné. Comment se fait-il donc que, malgré une volonté collective de s’aimer comme on est, même les femmes aux physiques les plus normés, celles dont le physique correspond à tous les critères de beauté, soient toujours aussi complexées ? Comment enfin se débarrasser de cette quête de la perfection pour atteindre un idéal qui n’existe pas ?
Un essai pour combattre ensemble ses complexes
Ces questions, l’autrice, poétesse et activiste afroféministe Kiyémis tente d’y répondre dans son nouvel essai à la fois intime et politique, intitulé “Je suis votre pire cauchemar”. Et autant vous prévenir d’ores et déjà : vous n’allez pas être déçus des réponses qu’elle apporte. Car si Kiyémis s’engage elle aussi, en tant que militante afroféministe, pour l’acceptation et la normalisation de tous les corps, elle pose dans son essai une question fondamentale, au-delà de l’origine de cette éternelle insatisfaction face à notre apparence : comment défendre le respect des corps quand on a intégré la haine du sien ? Une interrogation qu’elle connaît bien, se définissant elle-même comme incarnant l’exact opposé des critères de beauté des femmes :
« Je parle du point de vue du pire cauchemar des gens. Je suis grosse, grande, noire, j’ai les cheveux frisés, je prends de la place. C’est tout l’inverse des codes de beauté prônés dans la société : être blanche, fine, petite, mince, avoir les cheveux lisses, ne pas prendre trop de place, donner cette impression de fragilité. Pourtant, je m’aperçois que même celles qui sont dans la norme ont des complexes. Dans mon essai, je pose la question de pourquoi même les femmes les plus normées se détestent-elles ? J’ai eu envie de parler à tout le monde, du point de vue le moins enviable possible, pour aider les gens à comprendre le fonctionnement de notre société et à apprendre ensemble à nous aimer ».
De l’urgence de repolitiser le mouvement du body positive
Mais alors, d’où vient vraiment cette incapacité à nous aimer vraiment ? Comment, en 2022, alors que des mouvements comme le body positive prônent l’acceptation des corps, autant de femmes continuent à se détester, les jeunes comme les moins jeunes ? Pour l’autrice, les médias et les marques sont en partie responsables, s’étant emparées d’un propos politique pour le vider de sa substance et ainsi le tourner à leur avantage. Car une femme complexée est une femme qui rapporte beaucoup d’argent :
« Le fait que les femmes se détestent elles-mêmes et aient des complexes rapporte beaucoup d’argent aux personnes qui ont du pouvoir. Pour eux, il est important de faire croire aux femmes qu’elles ont besoin de telle crème ou de telle robe pour se sentir belles, et que si elles n’y arrivent pas ainsi, c’est elles le problème. Qu’il n’y a rien de politique et de collectif à tout cela. En nous montrant des corps soi-disant hors de la norme mais à peine en dehors des critères de beauté juste et ainsi s’inscrire dans un mouvement politique devenu populaire, ils nous font également croire à une pseudo diversité, qui en réalité est hypocrite, n’en est pas vraiment une ».
Des propos qui font ouvrir les yeux sur l’urgence de repolitiser un mouvement que beaucoup se sont appropriés à des fins capitalistes, pour le dire autrement.
Remettre la sororité au coeur du combat
En ce moment de repli sur soi post-covid et d’individualisme, Kiyémis met également l’accent dans ce nouvel essai sur la notion de sororité. Une notion qui a à son tour beaucoup fait parler d’elle ces derniers temps, notamment sur les réseaux sociaux via les mouvements féministes. Mais attention : là encore, il convient de bien comprendre cette notion pour qu’elle puisse garder tout son sens politique, et ainsi, de pouvoir faire bouger les choses en profondeur :
« La sororité, ce n’est pas simplement dire qu’on est copines. Il ne s’agit pas de dire qu’en tant qu’employée noire, ma patronne blanche qui me paye mal est ma sœur. Il y a des dynamiques qui nous divisent en tant que femmes, je pense notamment au racisme, et la sororité c’est avoir conscience de ces systèmes pour pouvoir les combattre ensemble. L’intérêt de la sororité, c’est de se connecter les uns les autres autour d’un intérêt commun, même s’il ne s’agit pas immédiatement de son propre intérêt à soi, mais d’un intérêt collectif ».
Autrement dit, remettre la sororité au centre de nos vies, c’est d’abord bien comprendre ce que ce concept induit, à savoir se connecter aux autres afin de lutter contre des systèmes qui desservent toutes les femmes dans leur globalité, au-delà de l’individualité de chacune. Un idéal politique en somme, qui permettra peut-être de se débarrasser de tous nos complexes et, pourquoi pas, d’abandonner aussi cette quête insatiable de perfection.