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Bo Burnham et l’art de faire avancer la discussion

Le nouveau spécial de l'humoriste « Inside » est beaucoup plus qu'une série de chansons sur le confinement.

Par
Benoît Lelièvre
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Chaque fois qu’un événement socialement important se produit, c’est toujours la course à qui en fera un film avant les autres… et c’est rarement un succès. On se souviendra de World Trade Center, qui abordait l’attentat terroriste du 11 septembre et qui avait transformé l’immortel Nicolas Cage en pompier le moins crédible de l’univers cinématographique.

On a eu droit à beaucoup de chansons, de poèmes et même à quelques films apocalyptiques qui soulignaient à quel point c’est grave et comment ça pourrait partir encore plus en couille. Bref, rien qu’on ne savait pas déjà.

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Il se passe un peu la même chose depuis le début de la pandémie. On a eu droit à beaucoup de chansons, de poèmes et même à quelques films apocalyptiques qui soulignent à quel point c’est terrible et comment ça pourrait partir encore plus en couille. Bref, rien qu’on ne savait pas déjà. À qui la faute ? Probablement à personne. C’est simplement difficile d’avoir la distance critique nécessaire pour créer une oeuvre réellement percutante lorsque les événements sont encore si près de nous, qu’il sont d’une telle intensité et qu’ils touchent autant d’êtres humains.

Personne ne s’attendait à ce que l’humoriste américain Bo Burnham soit la première personne à faire un projet inspiré par le chaos général de 2020 dans une perspective différente et originale. Pas qu’il n’avait pas cette sensibilité avant, mais il ne faisait presque plus d’humour depuis la série de crises d’anxiété qu’il a faite sur scène en 2016. Il est maintenant de retour avec un nouveau spécial pandémique intitulé Inside, qu’il a fait chez lui, en jogging, pour nous parler des vraies affaires.

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En état de non-existence physique

C’est extrêmement difficile de décrire Inside. Ça se présente comme un spécial humoristique, mais c’est également un film, une comédie musicale, une série de sketchs et une profonde réflexion sur le rôle des médias dans nos vies. On y parle peu ou pas de COVID, mais l’influence du virus est plus que palpable. Ni le format ni les idées de ce projet aux formes élusives n’auraient existé sans les circonstances nous ayant clouées à la maison en mars 2020.

Lorsqu’on est tous coincés entre quatre murs en état de non-existence matérielle, notre vie se transpose presque entièrement dans les réseaux sociaux.

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L’idée est pourtant simple, mais n’a jamais été articulée aussi clairement depuis le début de la crise sanitaire : lorsqu’on est tous coincés entre quatre murs en état de non-existence matérielle, notre vie se transpose presque entièrement sur les réseaux sociaux. Comme il l’explique si bien lui-même au début de son film : « Cette année, j’ai appris que les contacts physiques avaient le potentiel de nous tuer et que toutes interactions humaines, qu’elles soient sociales, spirituelles, politiques, sexuelles ou interpersonnelles devraient être réservées au très sécuritaire et réel domaine digital ».

Inside, dans ses chansons comme dans ses numéros, réfléchit sur notre état d’esprit quand la ligne, entre la personne qu’on est réellement et comment on se présente sur les réseaux sociaux, cesse d’exister. Burnham explore la façon qu’on a de se positionner sur les grands sujets de société, à propos desquels on se prend la tête systématiquement… avec des inconnus. Avec la chanson Comedy, il aborde l’humour contemporain et la fameuse question : avons-nous le droit de rire de tout ? Sans se ranger d’un côté ou de l’autre, Burnham affirme que dans certaines situations, l’humour ne sert à rien (If you wake up in a house that’s full of smoke/Don’t panic, call me and I’ll tell you a joke) et que les humoristes prétendant le contraire cherchent d’abord à avoir un salaire et à continuer d’être le centre d’attention.

Inside réfléchit sur notre état d’esprit quand la ligne, entre la personne qu’on est réellement et comment on se présente sur les réseaux sociaux, cesse d’exister.

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La chanson Problematic aborde la culture du bannissement (communément appelée la cancel culture) et ses critères qui semblent se resserrer à chaque nouveau cas. Au lieu de prendre position pour ou contre, Burnham vide son sac avec trois minutes de synth pop infernal. Il parle de ses premières blagues, de son déguisement d’Aladdin et surtout de comment il est facile de s’excuser sans vraiment y croire. À travers l’ironie et le cynisme, il tient un discours nuancé et rassembleur, parce que tout le monde a des squelettes dans son placard, mais les standards éthiques ont évolué avec le temps. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas prendre ses responsabilités pour les actions posées dans le passé.

Pour résumer, Inside souligne la nature théorique et somme toute inoffensive des multiples changements sociaux qui caractérisent notre époque pour les personnes en situation de privilège. Le tout ancré dans un état de réalité suspendue à l’image d’une section commentaires de Facebook.

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Vérité vs performance

Un des objectifs du spécial Netflix est de tracer une ligne entre vérité et performance dans un monde de plus en plus connecté. Avec Inside, Bo Burnham envoie un message fort : votre réalité vous appartient. Tout le monde peut vous dire quoi faire et quoi penser, mais vous seuls êtes en position d’agir.

Un de mes moments préférés à ce propos est le sketch où il tourne une vidéo de réaction à une de ses chansons, comme plusieurs Youtubeurs ont l’habitude de faire. La réaction se transforme en réaction à la réaction, en réaction à la réaction à la réaction et ainsi de suite. Ce sketch est un métacommentaire sur l’industrie du divertissement qui manufacture de l’authenticité. Évidemment, il existe déjà des vidéos de réactions aux sketchs d‘Inside.

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Si cet ovni est difficile à cerner, on peut toutefois aisément en arriver à une conclusion : Inside fait du bien à l’âme.

Prenez 90 minutes de votre temps pour regarder Burnham sur Netflix, en fin de semaine. Vous me remercierez après !

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