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Billie Eilish et notre monde un peu flou

«The World's a Little Blurry» est un excellent documentaire pour comprendre la star et sa génération.

Par
Benoît Lelièvre
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Si vous ne l’aviez pas remarqué, Billie Eilish est célèbre.

À quarante-huit millions d’auditeurs mensuels sur Spotify, c’est le moins qu’on puisse dire.

Même votre cousin Stéphane qui fait des statuts Facebook trois fois par année pour vous dire à quel point il s’en fout de Billie Eilish ne s’en fout pas vraiment.

Elle est tellement célèbre que tout le monde a une opinion à son sujet. Même votre cousin Stéphane qui fait des statuts Facebook trois à quatre fois par année pour vous dire à quel point il s’en fout de Billie Eilish ne s’en fout pas vraiment.

Billie Eilish est également une des porte-étendards de la génération Z, ces personnes nées entre 1997 et 2012. On atteint ce type de popularité qu’en exprimant les problèmes d’une génération entière en quelques mots.

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vivre le grand rêve (en famille)

Ce qui m’a le plus frappé à propos de Billie Eilish : The World’s a Little Blurry, c’est sa relation avec sa famille. Au moment de la production, elle vivait encore au domicile familial avec ses parents et son frère. Sa mère Maggie Baird est actrice (les gamers reconnaîtront d’ailleurs sa voix comme étant celle de Samara, de la série Mass Effect), son père est travailleur en construction et bien sûr, Finneas est son producteur. Les trois sont dévoués corps et âme à sa carrière.

C’est énormément de pression sur les frêles épaules de l’adolescente. Ce serait beaucoup de pression même si elle n’était pas célèbre. Elle doit cependant aussi gérer les attentes de son entreprise de disques, de ses fans, son horaire effréné. On la voit faire des crises d’insécurité occasionnelles, elle performe soir après soir malgré les blessures et la fatigue.

Chaque génération porte le fardeau des rêves et espoirs des générations précédentes sur son dos.

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Chaque génération porte le fardeau des rêves et espoirs des générations précédentes sur son dos. Parce que « la vie n’aura jamais été aussi facile qu’aujourd’hui » et que « c’est donc important d’être reconnaissant dans la vie ». Après tout, tous vos amis vous le rappellent quotidiennement sur les réseaux sociaux. The World’s a Little Blurry nous renvoie ces platitudes au visage. Ce n’est pas que le film dépeint la famille de Billie Eilish comme étant tyrannique, loin de là. Mais c’est quand même elle qui fait le gros du boulot : c’est elle qui écrit ses paroles de chansons, c’est elle qui affronte la perception du public et c’est surtout elle qui se produit en spectacle.

Devrait-elle juste dire merci et être comme les autres ? La plupart des gens se plaignent après une grosse journée de travail et s’effondrent sur le canapé pour regarder Netflix lorsqu’ils arrivent à la maison. Billie Eilish n’a pas ce « luxe ». Vous découvrirez dans ce documentaire une jeune femme beaucoup plus raisonnable et équilibrée que la princesse gothique pop dépeinte dans les médias. Elle renvoie une image de la génération Z beaucoup moins facile que celle des « jeunes ados gâtés, hyperconnectés qui se plaignent de tout et de rien parce qu’ils ne connaissent pas la vie » qu’on se plait à colporter.

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Après tout, ma génération (les millénariaux) est celle qui rêve à ciel ouvert et qui parle d’ambition comme si c’était une valeur centrale au bon fonctionnement de la société. Billie Eilish vit nos rêves les plus fous et The World’s a Little Blurry nous renvoie un portrait beaucoup plus clair, réaliste et nuancé de ce que ça implique vraiment.

Le jour de la marmotte

Ce que Billie Eilish vit depuis quelques années, ce n’est pas si loin du succès qu’a vécu… mettons, Kurt Cobain au début des années 90. Elle est mieux entourée. Elle le vit différemment, mais comme lui elle a été catapultée vers le succès international en l’espace de quelques mois.

Chaque génération a ses porte-étendards qui font chier les générations précédentes. Ils sont différents. Ils incarnent un changement de valeurs.

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Chaque génération a ses porte-étendards qui font chier les générations précédentes. Ils sont différents. Ils incarnent un changement de valeurs. Madonna représentait un besoin de s’amuser et de s’émanciper après une décennie violente et politiquement chargée. Kurt Cobain représentait un rejet du matérialisme après une décennie superficielle remplie d’excès de toute sorte. Billie Eilish représente le besoin d’authenticité venant après une décennie de triomphalisme technologique et d’évangélisme du développement personnel.

Dans quelques scènes absolument crève-coeur, Billie essaie de rejoindre son copain au téléphone et malgré l’argent, la technologie et la simplicité théorique, on est témoins de la lente désintégration de son couple. C’est pas une tragédie, vous me direz. Vous avez raison et tout le monde réagit de façon plutôt appropriée. Mais ces scènes sont un bel exemple de ce en quoi The World’s a Little Blurry est plus qu’un simple documentaire musical. Elles expriment pourquoi Billie Eilish résonne autant avec les ados et les jeunes adultes.

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Ils ne sont pas si différents que ça de nous. Ils sont juste inconfortables dans le monde qu’on a créé pour eux et contrairement à nous ou aux générations précédentes, ils essaient de nous l’exprimer au lieu de se rebeller et d’envoyer chier la planète. Non seulement, je comprends mieux aujourd’hui pourquoi Eilish est aussi populaire, mais j’apprécie aussi maintenant beaucoup plus sa musique. C’est à ça que ça sert un bon documentaire, non ?

À rapprocher les gens.