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Comme le train coûte de plus en plus cher, notre gouvernement a décidé d’embarquer dans un avion supersonique en direction de l’autoritarisme. Ces derniers mois, les attaques contre la liberté d’expression s’accumulent et s’entassent, nous bouchant la vue sur ce que devrait être la démocratie.
Pour commencer, une petite définition : l’autoritarisme consiste en une exagération de l’autorité, érigée en valeur suprême. Ce type de régime impose ses décisions, souvent de manière violente et est caractérisé par le refus de tolérer l’expression publique de désaccords politiques importants. Ce premier critère d’hypertrophie de l’autorité est presque trop simple à cocher si on écoute le bilan qu’Emmanuel Macron a tiré des 100 jours d’apaisement : la France enflammée par les casserolades contre la réforme des retraites et les révoltes urbaines contre les violences policières a besoin ”d’ordre”, “d’ordre” et “d’ordre”.
Pour le gouvernement, cette semaine encore, la discipline doit être défendue à tout prix, quitte à fermer les yeux sur la protestation de la police contre l’incarcération d’un policier accusé d’avoir tiré en pleine tête puis tabassé le jeune Hedi sur un trottoir marseillais. Dans un entretien au Parisien du lundi 24 juillet, mis en ligne dès dimanche soir, Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale, déclarait que le ”savoir en prison [l’empêchait] de dormir”. Le patron de la police a ajouté qu’il estimait qu’ “avant un éventuel procès, un policier n’a pas sa place en prison”. La réponse de son chef, le ministre de l’Intérieur ? Fréderic Veaux était un “grand flic” qu’il soutient “totalement”. Darmanin aurait assuré aux syndicats de police qu’il réfléchissait à créer un nouveau statut juridique pour éviter aux policiers la case prison lorsque ceux-ci étaient accusés d’avoir commis des violences. Le ministre de l’Intérieur en oublierait presque que l’égalité de tous devant la loi figure dans l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Qu’elle est un pilier fondamental des États démocratiques où il ne peut y avoir de privilèges, comme sous l’Ancien Régime.
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Défendre le “maintien de l’ordre” envers et contre tout
Sur les plateaux radios et télévisuels, les ministres et porte-parole du gouvernement continuent de défendre bec et ongles la police qui ne serait vraiment pas raciste, ni violente. Peu leur importe que, le 30 juin, deux syndicats de la Police Nationale aient qualifié, dans un registre classiquement colonial, les insurgés des quartiers “d’hordes sauvages” et “nuisibles”. Peu leur importe non plus que la police des polices comptabilise à ce jour une trentaine d’enquêtes ouvertes pour violences commises par “personne dépositaire de l’autorité publique”. Parmi celles-ci, deux dénotent par leur gravité extrême : à Marseille, Mohamed, un homme de 27 ans, a perdu la vie suite à un “probable” tir de flash-ball dans le thorax. À Mont-Saint-Martin, en Meurthe-et-Moselle, Aimène se trouve dans le coma suite à un, supposé, tir de “Bean Bag” – un projectile en sachet contenant des billes – de la part du Raid (unité de la police nationale qui intervient normalement lors de prise d’otages, d’arrestations à haut risque ou pour du contre-terrorisme). Ou que selon le Financial Times, à Paris, les personnes identifiées comme arabes et noirs aient, respectivement, presque 8 et 7 fois plus de “chance” de se faire arrêter par la police que les personnes identifiées comme blanches.
“Le bras armé de l’État a pris beaucoup de pouvoir. L’instance politique a peur de sa police et lui accorde tout”, estime Ugo Palheta, sociologue et auteur de “Face à la menace fasciste”. Trois jours après la diffusion de la vidéo de la mort de Naël, qui aurait pu d’ailleurs ne pas être tournée si la Loi Sécurité Globale n’avait pas été retoquée, Emmanuel Macron, a annoncé “organiser le retrait des contenus les plus sensibles” des réseaux sociaux. “Ce sont plusieurs milliers de contenus illicites qui ont été retirés, plusieurs centaines de comptes qui ont été supprimés”, se félicitait ensuite le ministre chargé de la Transition numérique, Jean-Noël Barrot au Sénat. “Comment documenter ce qui se passe sans vidéo? On est obligé de croire la version officielle”, s’inquiète Nono de la Quadrature du Net, une association de défense et de promotion des droits et libertés sur Internet. Face aux maires de France, Emmanuel Macron a même évoqué la possibilité de couper les réseaux sociaux “quand les choses s’emballent”. “Couper Internet à sa population est plutôt apprécié par les régimes autoritaires. En 2023, l’ONG Access Now a recensé que ce type de mesure avait été utilisé en Inde, Birmanie, Iran, Pakistan, Éthiopie, Russie, Jordanie, Brésil, Chine, Cuba, Irak, Guinée et Mauritanie.” Comme un symbole, le 14 juillet, jour d’anniversaire des émeutes de la Bastille de 1789, Emmanuel Macron contemplait le défilé militaire aux côtés de Modi, premier ministre indien, pourfendeur de la démocratie et islamophobe notoire.
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La violence pour museler la résistance
Un des critères pour caractériser un régime autoritaire est le niveau de violence qu’il emploie pour maintenir son pouvoir car sa légitimité est souvent précaire. Au regard des tanks déployés dans les rues contre des gamins ou du déluge d’armes “non létales” employées contre les militant·es écologistes à Sainte-Soline (5 000 grenades en deux heures), cette case paraît, une fois de plus, simple à cocher. Pour certains observateurs, le gouvernement est entré dans une nouvelle phase de violences policières en passant la réforme des retraites aux forceps.
“Depuis le 16 mars et l’utilisation du 49.3, la stratégie du maintien de l’ordre est de nouveau basée sur la répression”, remarque Patrick Baudouin, le président de la Ligue des droits de l’Homme. “On a ainsi vu le retour des gardes à vue sans lendemain dans le but uniquement de priver les personnes de leur droit de manifester, de l’utilisation de la nasse illégale, d’armes de guerres (comme les grenades à fragmentation, les LBD…) ou des terrifiants quads des Brav-M vêtus tout noir et circulant à vive allure à proximité des manifestant·es. C’est une atteinte manifeste à la liberté de manifester pour de nombreuses personnes qui ont dû y renoncer de peur des violences.”
De son côté, Reporters sans frontières affirme avoir comptabilisé 15 agressions physiques de la part de forces de l’ordre envers des journalistes durant les trois mois de manifestations contre la réforme des retraites. “Il s’agit d’un chiffre très élevé : en 2021 et 2022, nous n’avions relevé “que” 16 cas au total sur les deux années”, s’inquiète Pavol Szalai, responsable Europe de RSF. “Nous n’avons pas inclus les intimidations, entraves, insultes et interpellations arbitraires que subissent également les journalistes.” Depuis le début de l’année, au moins cinq professionnel·les de presse ont été arrêté·es alors qu’iels couvraient un mouvement social.
« Cela devient presque normal de passer deux jours au trou pour avoir manifesté »
“Cela devient presque normal de passer deux jours au trou pour avoir manifesté” dénonçait, en mai dernier, la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, Dominique Simonnot à Libération. Dans un rapport, elle démontre la pratique d’arrestations préventives arbitraires” de manifestant·es contre la réforme des retraites. Près de deux tiers de ces gardes à vue ne sont pas suivis de poursuites.
Depuis mars, jamais les dénonciations des dérives du maintien de l’ordre français n’ont été aussi unanimes. En France, elles émanent aussi bien de la Ligue des droits de l’Homme, du Syndicat de la magistrature, de celui des avocats de France que d’autorités administratives indépendantes chargées de la protection des droits humains (Défenseuse des droits, Président du Conseil national des droits de l’Homme). À l’international, la Fédération internationale des droits humains, le rapporteur des Nations unies ainsi que la Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe demandent à la France d’éviter tout usage excessif de la force et lui rappellent que le droit de manifester doit être respecté.
“Le niveau de répression et de recul démocratique dépend de la résistance de la population aux politiques menées”, explique Ugo Palheta. “En France, nous allons vers un état policier, car il y a beaucoup de résistance populaire face aux attaques aux droits sociaux et que le choix du pouvoir dans cette configuration est de répondre essentiellement par l’option de la coercition.” Pour le sociologue, “Emmanuel Macron a tenté cette année d’obtenir une victoire décisive du néolibéralisme qui aurait permis un recul des mouvements sociaux, Margaret Thatcher a pu faire taire les mineurs. Son problème, c’est que ses politiques sont impopulaires, car, d’une part, personne ne veut bosser plus, tout le monde est déjà épuisé, et, d’autre part, le modèle capitaliste est aujourd’hui dans une crise majeure.”
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Soyez mécontent.es mais restez chez vous
Si la France n’est pas encore “dans la situation de la Turquie où plusieurs dizaines de milliers de militant.es sont enfermé.es en prison et où de nombreux organes de presse ont été dissous”, comme le rappelle Ugo Palheta, ces derniers mois un grand nombre de manifestations ont été interdites.
Dernière en date ? Le 9 juillet dernier, le Comité pour Adama se voyait refuser le droit d’organiser sa marche annuelle à Persan, dans l’Oise, puis à Paris, place de la République. Près de 90 organisations classées à gauche, comme des syndicats – la CGT ou Solidaires – et des partis politiques – La France insoumise (LFI) ou Europe Écologie-Les Verts (EELV) – s’étaient associées à l’événement pour protester contre “le racisme systémique” et dénoncer des politiques jugées “discriminatoires“ contre les quartiers populaires. La cause de cette interdiction ? Outre la crainte de nouveaux “heurts”, alors que les violences urbaines n’avaient pas encore été complètement matées par la répression, la présence « d’associations contestataires », comme “Les Soulèvements de la Terre”, mouvement dissous en juin par Darmanin, faisait planer le spectre de la venue “des éléments radicaux” pouvant “commettre des exactions et des violences”. Malgré l’interdiction, près de 2 000 personnes participent au rassemblement. A l’issue d’un bref cortège, Yssoufou Traoré est conduit au poste puis à l’hôpital. Lors de son arrestation, il a été violemment plaqué et maintenu au sol par des policiers de la Brav-M. Par la même technique d’immobilisation qui a joué un rôle dans la mort de son frère, Adama, selon plusieurs expertises médicales. Trois journalistes seront aussi violemment repoussés, le poignet de l’un finira blessé et le matériel d’une autre cassé.
« Il faut remonter à la guerre d’Algérie pour retrouver de telles interdictions systématiques de manifestations »
“Sous la Vᵉ République, il faut remonter à la guerre d’Algérie pour retrouver de telles interdictions systématiques de manifestations”, soutenait le juriste Olivier Cahn, au journal Le Monde, au printemps. À partir du 17 mars, le préfet de police de Paris a adopté chaque soir des arrêtés interdisant les manifestations spontanées. Puis il y a eu les “casserolades”, avec l’utilisation par les préfets de périmètres de protection antiterroristes illégaux, eux aussi suspendus par les avocats du Syndicat des avocats de France et de la Ligue des droits de l’homme.
Pourtant, en France, le droit de manifester est un principe constitutionnel. Selon le droit international, il ne devrait pas être soumis à autorisation préalable, car devoir en demander pour manifester ses opinions a un effet dissuasif trop fort. Cependant, dans notre pays, une manifestation n’a certes pas besoin d’être autorisée pour être légale, mais sa déclaration est obligatoire si elle bloque la circulation.
“Ce qui est illégal, c’est de participer à une manifestation qui a été interdite par la préfecture ou de rester sur les lieux d’une non-déclarée après deux sommations”, précise Maître Lassort, avocat au barreau de Bordeaux. “Dans le premier cas, les manifestant.es risquent une amende forfaitaire de 135 euros d’amende. Celle-ci a été créée par décret pendant les gilets jaunes et ne devait tenir que pour cette situation exceptionnelle. Mais comme toutes les lois d’exceptions attentatoires aux libertés, elle est entrée dans le droit commun.”
Arrester les militant.es
Retour aux petits manuels de sciences politiques : “Un régime autoritaire refuse de tolérer l’expression publique de désaccords politiques importants. Si le pays à une tradition politique de participation, cela implique un climat de violence étatique susceptible d’intimider les opposants au régime.” Là aussi, bingo : outre ces manifestations interdites, les violences policières et les arrestations arbitraires, les syndicalistes et militant.es font aussi face à des arrestations à leur domicile pour avoir participé à des actions.
Ainsi en mars, Renaud Henry, secrétaire générale de la CGT Énergie Marseille ainsi que cinq de ses camarades ont été arrêtés pour avoir saboté des postes électriques des quartiers nord de la ville en juin 2022 puis entre janvier et février 2023. À la fin du mois, c’est au tour de trois syndicalistes de FSU, Sud-Rail, Confédération paysanne, accompagnées de deux manifestant.es, d’être placés en garde-à-vue à Albi (Tarn) pour avoir, supposément, mit le feu à des palettes après l’annonce de l’utilisation du 49.3. Enfin en mai, à Bordeaux, cinq syndicalistes de la CGT énergie, dont Christophe Garcia, le secrétaire général du syndicat, ont été arrêtés à leur domicile, et placés en détention provisoire, accusés d’avoir coupé le courant à 20 000 habitant.es en avril lors d’une action militante.
M., militante féministe d’une association étudiante de la faculté de la Victoire, qui a été occupée 10 jours en mai, et figure bordelaise des manifestations des retraites, subit encore la répression étatique. Le 10 mai dernier, elle est arrêtée au domicile de ses parents au Pays-Basque. Déplacée à Bordeaux, sa colocation est à son tour perquisitionnée. Durant les 48 heures que dure sa GAV, la police lui reproche d’avoir été la “cheffe” d’un groupe de jeunes arrêtés alors qu’ils dégradaient une banque. Comme seules preuves, les officiers lui présentent des conversations d’un groupe de messagerie privée où elle blague sur l’incendie de la porte de la mairie bordelaise et sur l’attaque de restaurant McDonald à Paris.
« Le gouvernement est dans la même logique d’attitude répressive vis-à-vis des militant.es environnementaux qu’envers les syndicalistes »
Lors de sa première audience au tribunal, la jeune femme “hallucine” : “J’ai passé 40 minutes à me faire accuser d’être militante. On m’a reproché d’avoir tenu le mégaphone durant les manifestations.” La juge retient ensuite trois chefs d’accusation contre elle : complicité de dissimulation de visage (oui, vous avez bien lu), complicité de dégradation et appartenance à un groupe visant à semer le trouble à l’ordre public. En septembre, elle doit repasser devant la juge pour savoir si son dossier reçoit un non-lieu ou si elle sera jugée lors d’un procès. En attendant, M. n’a pas le droit de quitter le territoire français, ni de se rendre en manifestation. Pour la militante, son affaire est une tentative du pouvoir de faire d’elle, et des autres jeunes interpellés, “des exemples politiques pour tuer le mouvement étudiant”.
Autre cas de répression politique, bien plus connu cette fois, Loïc, militant écologiste, a été condamné, jeudi dernier, à un an de prison ferme (à exécuter sous bracelet électronique) pour sa participation à la manifestation interdite de Sainte-Soline. Pour son avocate, sa peine est “sévère au regard de ce qui lui est reproché aujourd’hui”. C’est-à-dire d’avoir volé un gilet de gendarme et tagué “ACAB” (All Cops Are Bastards) sur une fourgonnette. L’activiste était en détention provisoire depuis un mois. Au total, trente-deux personnes ont été interpellées et placées en garde à vue durant les deux premières semaines qui ont suivi la dissolution des Soulèvements de Terre, selon Mediapart.
“Aujourd’hui, le gouvernement est dans la même logique d’attitude répressive vis-à-vis des militant.es environnementaux qu’envers les syndicalistes”, soutient Patrick Baudouin, le président de la LDH. Récemment, un groupe d’expert·es des Nations Unies se sont inquiété·es « d’une tendance à la stigmatisation et à la criminalisation des personnes et organisations de la société civile œuvrant pour la défense des droits humains et de l’environnement qui semble s’accentuer et justifier un usage excessif, répété et amplifié de la force à leur encontre ».
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Ennemi·es de la République
“Il n’y a pas un problème du maintien de l’ordre, mais un problème de l’ultragauche », a martelé Gérald Darmanin en avril dernier lors de ses auditions devant les deux chambres du Parlement au sujet de la recrudescence des violences durant les mobilisations sociales. “ Islamo-gauchiste”, “terroristes intellectuels de l’extrême gauche” et plus récemment “éco-terroristes”, le gouvernement rivalise d’ingéniosité pour justifier l’emploi de la force contre les personnes luttant contre les discriminations et pour la préservation de l’environnement. Les personnes qui protestent au lendemain du 49.3 ? Des “groupes factieux” qui contribuent à la “fragilisation de la République”. Le wokisme ? Un danger “pour la démocratie et la République”.
“La République est devenue l’alibi idéologique de la défense de l’ordre”, expliquait en septembre dernier le philosophe Jean-Fabien Spitz à Médiapart. “Elle fait figure de totem, au sens d’une entité mythique qui exigerait le respect et la fidélité des citoyens, sous peine de mise au banc.” Sous prétexte de “l’universalisme de la citoyenneté”, il devient presque impossible de dénoncer le caractère systémique des inégalités de genre, d’origine sociales et ethniques, sans être accusé de “différentialisme”, “communautarisme” ou “séparatisme”.
En avril, même la très ancienne Ligue des droits de l’Homme, fondée lors de l’affaire Dreyfus pour lutter contre l’anti-sémitisme, s’est vue menacée de se voir suspendre ses subventions après avoir dénoncé les violences policières. “La seule période où on a été ainsi entravé, c’est Vichy”, réagissait violemment son président sur Sud Radio. En 2020 déjà, l’association s’était retrouvée sous le feu des critiques pour s’être opposée à la dissolution par le gouvernement du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) accusé de “propagande islamiste” par Gérald Darmanin. Résultat : depuis 2021, il n’y a plus aucune association musulmane pour apporter une contribution chiffrée au rapport de la CNCDH, qui dresse chaque année le bilan de l’état des discriminations dans le pays.
« Nous nous dirigeons vers un système illibéral où seules les associations les moins dangereuses pour le pouvoir pourront continuer d’exister »
Adoptée en juillet 2021 pour lutter contre le communautarisme et la radicalisation islamique, la Loi “confortant le respect des principes de la République”, aussi appelé “Loi séparatisme”, est d’ailleurs devenue, un an après l’entrée en vigueur, un outil de ballonnement politique via l’une de ses principales mesures : le contrat d’engagement républicain (CER). Depuis janvier 2022, ce document, qui n’a de contrat que le nom, doit obligatoirement être signé par toute association. Ce faisant, elles s’engagent à “respecter les principes de liberté, d’égalité, de fraternité et de dignité de la personne humaine” et de “ne pas remettre en cause le caractère laïc de la République”. Elles ne doivent également « entreprendre ni inciter aucune action manifestement contraire à la loi, violente ou susceptible d’entraîner des troubles graves à l’ordre public ». En cas de violation du CER, le préfet peut exiger le remboursement des subventions à l’association concernée à la collectivité qui les lui avait versées.
En septembre, le préfet de la Vienne a, par exemple, demandé à la ville de Poitiers de retirer une subvention de 10 000 € qu’elle avait accordée à l’antenne locale de l’association écologiste Alternatiba, au prétexte qu’un festival organisé par cet organisme comportait un atelier sur la désobéissance civile. Un recours en justice est à l’examen. Pour Patrick Baudouin, ce contrat d’engagement est “très dangereux” : “Avec le conditionnement des subventions à la bien-pensance des associations, nous nous dirigeons vers un système illibéral où seules les associations les moins dangereuses pour le pouvoir pourront continuer d’exister.”
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Toboggan vers le fascisme ?
Criminalisation des opposants politiques, violences policières, censure par le porte-monnaie des associations contestataires, glorification d’une République face aux attaques de la pensée moderne… Tous ces faits semblent transporter avec eux les relents nauséabonds des pires régimes que l’Europe ait connus. Pour Ugo Palheta, la France d’Emmanuel Macron ne fait que continuer de descendre la “pente” vers le fascisme, entamée par l’arrivée de Nicolas Sarkozy au ministère de l’Intérieur en 2002. “Alors qu’au niveau international, on observe toute une série de pays qui vivent un durcissement autoritaire, en France, les gouvernants ont pris les devants en mettant en place des discours et lois qui ciblent les musulmans dès 2004. Cette islamophobie a permis de légitimer des politiques qui attaquent aux libertés. Sans l’instrumentalisation du terrorisme se réclamant de l’islam, nous n’aurions pas pu avoir des lois comme celles sur le séparatisme.”
Cela dit, pour le philosophe, ce n’est pas parce que le président de la République emploie la rhétorique, chère à l’extrême droite, de l’ennemi intérieur que son projet est de purifier le corps social, comme le souhaitent les fascistes. “Son but est de défaire ce que des siècles de luttes sociales ont permis d’obtenir pour mettre la France à l’heure du néolibéralisme. Les mesures démagogiques et racistes qu’il met en place ne sont que des tentatives de regagner par la xénophobie ce qui a été perdu sur le terrain social.”
« Il y a une forte probabilité qu’il soit le président qui ait conduit l’extrême droite au pouvoir »
Macron reste donc un “agent de la fascisation” de la France”, estime Ugo Palheta. Et d’ajouter : “Il y a une forte probabilité qu’il soit le président qui ait conduit l’extrême droite au pouvoir.” Selon une étude Cluster 17 pour Le Point publiée en avril, 51 % des Français·es interrogé·es ne voteraient pas pour le ou la candidate qui se retrouvera face à l’extrême droite au second tour.
En 2023, la France est toujours considérée comme une “démocratie complète” par le groupe britannique The Economist qui publie chaque année un classement des pays en fonction de l’indice de démocratie qu’il a créé. Placé à la 22ème place, notre pays se trouve toujours bien loin devant la Hongrie, classée 56ème, ou la Pologne, 46ème. Cependant, la constitution de la Vᵉ république, mise en place sous la menace d’un putsch du Général de Gaulle durant la guerre d’Algérie, rend extrêmement facile une dérive autoritaire. “On peut anticiper que l’extrême droite n’aurait pas besoin de sortir d’une constitution républicaine pour imposer ses lois”, souligne Ugo Palheta. “Elle disposera déjà d’un grand nombre de dispositions qui permettent à l’exécutif de s’émanciper du contrôle du parlement ou de la justice. La Vᵉ République est une constitution bonapartiste qui se tient à distance des règles de la démocratie libérale. Sous Emmanuel Macron, le parlement est déjà une institution qui ne sert qu’à enregistrer les lois écrites par l’exécutif.”
Ainsi, après qu’Elisabeth Borne a utilisé onze fois l’article 49.3 pour court-circuiter légalement la séparation des pouvoirs et faire passer la réforme des retraites malgré le refus de l’appareil législatif, Emmanuel Macron envisage d’employer de nouveau “les chemins” que “prévoit” la Constitution pour faire adopter la future loi sur l’Immigration. Là encore, Bingo : un régime autoritaire se caractérise, aussi, par un non-respect de la séparation des pouvoirs exécutif (le président et son gouvernement), législatif (le Parlement) et judiciaire (la justice).
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