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Bienvenue à “Tanaland” ! Sauf si vous êtes un homme

Combattre le sexisme en faux ongles roses et casquette à paillettes.

Par
Malia Kounkou
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Elles se maquillent ? Salopes.

Elles lisent des mangas ou s’intéressent au sport ? Chiennes.

Elles mettent de la mozzarella et des tomates cerises dans leur salade ? Putes.

Du côté français des réseaux sociaux, la langue officielle semble être celle du slut shaming et les femmes qui en sont la cible sont désormais habituées à ce qu’une simple respiration leur vale un « connasse » gratuit sur Internet.

Ou un « puttana », une insulte récemment empruntée à l’italien et stylisée en « Tana » pour qualifier la moindre Française ayant fait l’erreur d’exister sur les réseaux sociaux.

« Une fille qui danse ? Tana. Une fille qui cuisine ? Tana. Une fille qui respire ? Tana », liste la créatrice de contenu Polska sur son compte TikTok, son exaspération faisant écho à celle de nombreuses femmes d’un bout à l’autre du web.

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Il ne leur restait donc, en guise de contre-attaque, qu’une seule solution : voler ce vilain mot de la bouche de ceux qui le leur décerne à longueur de journée pour lui donner un éclat si flamboyant qu’il en perdra toute sa capacité de nuire.

« En fait, Tana, ça veut dire bad bitch », décrète Polska, ses longs ongles en acrylique claquant avec défi devant la caméra.

BLEU, BLANC, ROSE

Le passeport est rose, les logements semblent tout droit sortis du film Barbie et Aya Nakamura composerait l’hymne national :

Bienvenue à Tanaland, l’île fictive made in TikTok réservée exclusivement aux femmes et où « ténacité » se prononce désormais « tanacité ».

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Donnant le coup de départ à cette utopie couleur fuchsia, une vidéo publiée le 16 septembre sur TikTok par l’utilisatrice Hadja_bh2 et dans laquelle elle annonce à ses abonnés qu’elle quitte la France « pour Tanaland », là où elle sera libre de vivre sa vie de « Tana ».

Mais Tanaland n’est que la dernière incarnation de tendances plus roses encore, telles que le « bimbocore », le « Barbiecore » et autres « core » ressuscités des années 2000.

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D’une trend à l’autre, on retrouve cette exaltation du rose, de l’esthétique poupée de plastique et de cette féminité poussée à un degré si stéréotypé qu’il en frôle la parodie.

Toutefois, des mouvements récents comme Tanaland apportent à cette exaltation un côté provocateur, comme si porter du rose ne tenait plus juste de l’esthétique, mais de la revendication identitaire.

@chrissychlapecka Chrissy’s Declassified Bimbo Survival Guide 💖 FT @kevin.chlap @isaacfritzz #bimbo #bimbotiktok #ily ♬ Blue Blood – Heinz Kiessling
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C’est d’ailleurs ce que vient souligner la Constitution de l’île, dont chaque article est écrit en contrepied aux railleries et harcèlements subis par les ci-Tana-yennes à l’extérieur de leur royaume.

Désormais, elles peuvent donc : avoir de longs ongles, porter des vêtements moulants, inspirer, se teindre les cheveux en blond platine, expirer, lire ce qu’elles veulent, manger ce qu’elles veulent, marcher dans la rue sans être importunées, vivre leur sexualité sans honte ou ne rien faire de tout cela et tout de même mériter qu’on leur foute la paix.

Naturellement, pour que cette utopie fonctionne, il fallait bannir toute présence masculine de Tanaland.

L’EMPIRE CONTRE-ATTAQUE

Et naturellement, les principaux intéressés ont eu du mal à digérer ce bannissement virtuel.

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Et ça se comprend : personne n’aime être pointé du doigt par une démographie en entier. Toutefois, il faut se rendre à l’évidence : les hommes, plus que n’importe quel autre groupe, sont ceux qui distribuent le plus allègrement les qualificatifs « pute », « Tana » et autres marques de cyberharcèlement.

Quelle a donc été la réponse de certains internautes masculins pour adresser ce problème? Créer un anti-Tanaland duquel les femmes seraient elles aussi exclues.

@tounsi02

Vous etes pas pretes

♬ son original – ⠀

Bienvenue à « Charoland », cet empire masculin où tous les vices sont permis et dont l’affiche promotionnelle comprend des femmes en petites tenues. Donc… des Tanas ?

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« Ils n’ont mis que des Tanas à Charoland, avec des descriptions de style de vie équivalentes à P. Diddy […], et vous allez nous expliquer que vous n’aimez pas les Tanas ? », s’interroge en riant l’utilisatrice lameufauplaidspam sur TikTok.

@the_socialmedia_expert Quelques dysfonctionnement dans la communication et le logo de Charoland. On analyse ça ensemble. 🌴🧐 #tana #tanaland #charo #charoland #tiktok #analyse #digital #marketingdigital ♬ son original – The Social Media Expert 💖
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L’ironie veut donc que cette réponse renforce la légitimité de Tanaland comme abri féminin, loin des balles misogynes perdues de l’Internet. Comme quoi, le virtuel finit toujours par rattraper la réalité.

AVANCÉE OU SURPLACE ?

Mais il reste une dernière épine rose.

Le pays Tanaland, dans toute sa superficialité virale et assumée, est-il vraiment le messie féministe qu’il prétend être ?

Selon ce qu’en dit l’experte en stratégies numériques Anaïs Loubère dans un article de 20 Minutes, cette tendance s’inscrirait dans « une réponse globale et un élan collectif très structuré du féminisme ».

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« Ces femmes sont parties de petites blagues à une véritable organisation étatique en abordant des lois importantes à leurs yeux et en créant un endroit où la parole de la femme est enfin prise en compte », poursuit-elle.

Le tout sur un terrain virtuel qui leur est hostile en tous points, y compris sur le plan des algorithmes. En effet, Loubère fait également mention d’une terrifiante étude publiée dans The Guardian en juillet 2024, au cours de laquelle ont été observées les suggestions de contenu spontanément récoltées par un compte Meta créé sur un nouveau téléphone, avec une nouvelle adresse courriel.

« Trois mois plus tard, sans aucune intervention, il était criblé de contenus sexistes et misogynes. »

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Si l’engouement Tana peut donc paraître aussi simpliste que l’a été le manifeste féministe du film Barbie pour ceux et celles n’ayant pas été nourris à la bibliographie de Simone de Beauvoir, reste que le film a autant participé à éveiller les consciences que Tanaland ambitionne à le faire en ce moment sur TikTok.

Donc, tous les chemins mènent peut-être à Rome : certains sont juste un peu plus rose bonbon.