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Bessie la citronnade, soleil de Marseille

♫ Oh la vie est belle, le ciel est bleu ! ♫

Par
Adéola Desnoyers
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Rencontre avec la vendeuse ambulante la plus caustique de la cité phocéenne : réputée pour sa boisson maison et sa chansonnette qui reste en tête, Bessie ne se sépare jamais de son sourire et de sa bonhomie.

« J’allais partir sans vous ! », lance Bessie à la volée, en hissant dare-dare son énorme chariot par la porte arrière du bus. Essoufflés, les joues rougies par notre sprint final, nous nous glissons in extremis dans le convoi qui s’élance en direction du Vieux Port. Au milieu des passagers agglutinés, notre rendez-vous rouspète un peu : « Il est presque 13 heures, je vais sûrement rater les nageurs du matin… ». Avalanche d’excuses et de sourires navrés : « Ça ira, ça ira ! », élude-t-elle, un regard taquin posé sur nos airs penauds.

Bessie connaît sa clientèle comme elle connaît les plages de Marseille : de celle des Catalans à l’anse de la Fausse Monnaie, les amateurs de son jus mordant l’attendent de pied ferme, dès les premiers rayons de soleil. Même après la saison estivale, celle que les Marseillais surnomment « la dame aux citronnades » continue d’arpenter les rochers de Malmousque et les repaires de baigneurs pour vendre sa potion acidulée. Dans le sac isotherme qu’elle porte en bandoulière, de l’or jaune : citrons verts, gingembre, fenouil et combava. Une recette qui a fait sa renommée, moitié-moitié avec son caractère bien trempé.

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Mieux que Panoramix

La première fois, c’était une après-midi de printemps, en 2019. « Avant, je n’avais jamais vendu de citronnade. Ce n’est pas un projet réfléchi de longue date », s’exclame Bessie, rieuse, en poussant son barda jusqu’à l’arrêt d’un second bus. « C’est à cause de mon AVC que je me suis mise à en boire, pour me soigner. Je vous promets, c’est vraiment magique… » Pour la vendeuse ambulante, le secret de sa guérison réside dans ce savant mélange d’ingrédients : « Sans ça, je serais toujours paralysée ! Mais là, en même pas trois jours, j’étais de nouveau sur pied. »

Miracle ou pas, on a envie de la croire. Car depuis cet événement charnière, Bessie s’en est remise au pouvoir du citron, avec la volonté d’en faire profiter le reste de ses congénères. Chaque jour de beau temps, la voilà donc partie en direction de la mer, vêtue de son t-shirt jaune canari et de ses baskets assorties. À 60 ans, Bessie a le sens du branding et porte sur son visage l’assurance de ceux qui ont trouvé leur vocation : « J’ai ce qu’on appelle un destin tracé. C’est le cosmos qui a décidé de mon chemin pour moi. »

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Depuis qu’elle a posé ses valises à Marseille, cette ancienne parisienne partage sa vie entre un petit appartement du quartier de la Belle de Mai et les ruelles du cossu 7e arrondissement, où se concentre sa clientèle. « Quand je suis arrivée ici, le numéro de mon immeuble coïncidait avec ma date de naissance. C’est comme ça que j’ai su que j’étais au bon endroit. » La providence, encore. À la voir manier son chariot sur la pente qui mène à l’étendue de galets de Maldormé et saluer chaque riverain par son prénom, on se dit qu’il n’y a pas de doute, Bessie est bien à sa place, entre la mer, le ciel bleu et le soleil.

« Pendant le second confinement, ma pression est remontée et je me sentais mourir, enfermée entre quatre murs. J’avais besoin de sortir. » Ni une, ni deux, Bessie a ressorti le caddie pour vendre de la citronnade pendant ses balades kilométrées. « Le soleil brillait et les gens étaient au rendez-vous. » Comme un remède au marasme ambiant, les citronnades se sont vendues comme des petits pains, sans doute un peu grâce aux cafés fermés. « J’aurais pu faire médecine après mon bac scientifique, mais le cosmos en a décidé autrement, il me fait soigner les autres avec du citron ! »

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♫ Le vie est belle, le ciel est bleu ♫

Douce ou forte, les deux versions de sa citronnade trouvent toujours acheteurs. « Les clients la préfère légère et désaltérante en été, chargée et revigorante à partir de l’automne », constate-t-elle en rendant la monnaie à un baigneur que le mistral de novembre n’a pas découragé. « On m’a conseillé de vendre du thé pendant l’hiver, mais je ne fais pas vraiment ça pour l’argent, je le fais surtout pour rencontrer des gens. »

Plus encore que la citronnade, c’est sans doute sa fameuse chansonnette qui a fini d’asseoir sa notoriété dans le secteur. Comme un vendeur de glaces avec son camion, l’arrivée de Bessie s’annonce en rythme : « La vie est belle… Le ciel est bleu… Ma citronnade est bien fraîche. Trois euros, très heureux ! » Tout Marseillais qui a déjà posé sa serviette d’un bout à l’autre de la corniche Kennedy l’a inévitablement entendu débouler en chantant. « Elle fait partie de nos vies, du décor même. Si on ne la voit pas arriver quand il fait beau, on s’inquiète… », assure un petit vieux, sourire aux lèvres et peau hâlée.

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Cet hymne, Bessie l’a inventé pour vaincre sa timidité. « Au début, je n’osais pas parler devant les gens. Puis je me suis rendu compte que les bébés me regardaient avec de grands yeux… C’est à ce moment-là que je me suis mise à chanter, d’abord pour eux, puis c’est devenu contagieux ! Instinctivement, j’ai compris que c’était ce que je devais faire. »

Arrivée sur le sable fin de la plage des Catalans, la dame aux citronnades change rapidement d’uniforme : de son gros cabas, elle tire une paire de Crocs… Jaune évidemment. Au son de sa voix, les locaux lèvent la tête de leurs bouquins ou smartphones pour lui faire un signe de la main. Pendant une vingtaine de minutes, Bessie dégaine ses petites bouteilles de Cristalline remplies du breuvage miraculeux que certains descendent d’une traite ou préfèrent ramener chez eux.

« On ne dirait pas comme ça, mais c’est du boulot », assure la vendeuse. « L’été, je ne dors presque pas. La plupart du temps, je prépare le mélange jusqu’à trois heures du matin dans ma cuisine. Ça doit mariner, pour décupler le goût. » La recette – comme elle – est née au Cameroun. « Là-bas, on appelle ça le Ginger mais moi je l’ai adapté au palais des Marseillais, avec un peu plus de citron et un peu moins de gingembre. »

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Quant à la fatigue de son métier, Bessie la ressent peu. « Ce que je fais me rend heureuse et je ne croise que des gens sympathiques. J’ai toujours été bien accueillie sur la corniche, parce qu’à la plage, tout le monde est détendu. » La bonne humeur ? Du fioul pour celle qui crapahute du matin au soir sur les rochers, à 60 ans passé et avec plusieurs litres de citronnades sur le dos. Mais, il faut le reconnaître, « la haute saison est passée, je vais bientôt m’arrêter et me reposer jusqu’au retour du printemps. Pour revenir d’attaque ! »

Et si d’avenir, vous entendiez la douce mélodie de Bessie lors d’une séance de bronzette, ça ne peut être que le destin qui vous aura mis sur son chemin…