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« Beau is Afraid » (et nous aussi)

Le film d'Ari Aster, tourné au Québec, est mémorable. Pour le meilleur comme pour le pire.

Par
Benoît Lelièvre
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Personne n’a réellement peur de ce qui se passe dans un film d’horreur.

Les vampires, fantômes et malades sanguinaires de tous acabits demeurent avec vous quelques heures après un visionnement, mais s’estompent dès que vous sortez de leur contexte. Parce qu’un film d’horreur offre une peur ponctuelle qui nécessite un contexte précis pour vous tourmenter. En toute logique, allez arrêter d’avoir peur dès que vous revenez à vos activités normales. Sauf que ça ne marche pas vraiment avec les films du cinéaste new-yorkais Ari Aster.

Passez 3 heures avec Joaquin Phoenix et Ari Aster et vous comprendrez ce que c’est d’être anxieux.

Depuis son premier long métrage Hereditary, en 2018, ce diplômé de l’université de Santa Fe au Nouveau-Mexique jumelle les frayeurs folkloriques et ponctuelles de l’horreur canonique à des terreurs plus terre à terre comme les troubles de santé mentale et la génétique, le suicide et les relations abusives. Le genre de problèmes qui ne disparaissent pas lorsqu’on ferme les yeux et qu’on chante des chansons.

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Et dans son tout nouveau film Beau is Afraid, Aster s’attaque à un autre grand mal contemporain : l’anxiété. Si vous ne savez pas comment les gens avec des troubles anxieux peuvent se sentir au quotidien, ne cherchez plus. Passez trois heures avec Ari Aster et Joaquin Phoenix et vous comprendrez. Oh oui, vous comprendrez.

La chambre des tortures mentales d’Ari Aster

Pour vous faire une histoire courte, même s’il s’agit d’un film somme toute compliqué, Beau is Afraid raconte l’histoire de Beau Wasserman, un homme adulte à peine fonctionnel vivant dans un appartement miteux, sur un coin de rue dangereux et chaotique. Lorsqu’il accepte de revenir dans son patelin natal pour un événement familial, Beau se fait voler sa clé de maison qu’il avait laissée dans la serrure le temps d’aller chercher un dernier truc, juste avant d’aller à l’aéroport.

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Cet incident en apparence anodin mettra en branle une série de désastres d’ordre physiques, logistiques et émotionnels dont le pauvre Beau ne sortira pas indemne.

Beau is Afraid n’est pas exactement un film d’horreur. Ce n’est pas exactement PAS un film d’horreur non plus. Ari Aster n’y offre aucune peur convenue et opte plutôt pour la stratégie de nous faire passer TROIS HEURES au cœur des pires pensées anxieuses qu’un être humain puisse avoir.

C’est un peu l’équivalent d’avoir un cauchemar où tout ce qui peut mal se passer dans votre vie se déroule sous vos yeux sans que vous ne puissiez rien y faire. Pendant la première heure et demie de Beau is Afraid, j’ai eu le souffle court et senti ma poitrine se serrer, quelque fois.

Beau is Afraid n’est pas exactement un film d’horreur. Ce n’est pas exactement PAS un film d’horreur non plus.

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De l’oubli d’un robinet de bain à la découverte d’un intrus dans la maison en passant par l’humiliation d’avoir à sortir de chez soi nu, Ari Aster nous confronte à tous les scénarios possibles (et en tout cas plus plausibles que de rencontrer Dracula à Auchan) qui nous ont déjà fait peur. Que ce soit dans un cauchemar ou au creux de la plus sombre de vos pensées anxieuses. Beau Wasserman n’est pas tant un personnage à proprement parler, mais un paratonnerre humain pour tout le malheur et la malchance du monde.

Mais pourquoi se soumettre à un tel exercice d’endurance, me direz-vous ? J’y viens…

Comme un bad trip d’acide dans un environnement sécuritaire

Ne vous méprenez pas : même si je dis que Beau is Afraid est une épreuve pour le système nerveux, c’est aussi un excellent film. À mi-chemin, l’immense et diabolique création d’Ari Aster change radicalement de ton et se transforme en l’odyssée psychédélique freudienne d’un homme qui retourne dans le ventre de sa mère pour y finir sa vie (symboliquement parlant là, on se calme). Le tempo ralentit, l’esthétique devient plus contemplative et les peurs, plus atmosphériques. L’action laisse place à la tension et Dieu que c’est insoutenable.

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Malgré l’inévitable inconfort d’un visionnement de Beau is Afraid, le film a une qualité cathartique indéniable. Non seulement voir le lexique complet des pensées anxieuses humaines déferler à l’écran avec la vigueur morbide des mannequins de défilé Balenciaga les dédramatise toutes individuellement, mais les voir débouler les unes à la suite de l’autre… c’est aussi un peu drôle ! Parce que oui, j’ai parfois ri à gorge déployée des malheurs de Beau Wasserman pendant mon visionnement de Beau is Afraid.

C’est un peu une épreuve à regarder (trois heures, je vous le rappelle), mais on en sort stimulé, inspiré et en quelque sorte grandi

C’est amusant de constater à quel point les pensées irrationnelles nous gouvernent. En regardant les mésaventures de Beau, on extériorise et rationnalise nos propres peurs. Parce que contrairement à lui, elles nous attaquent une à la fois. Plusieurs critiques ont dénoté le fait que Beau n’est pas un personnage engageant du tout et même s’ils ont à moitié raison, il est exactement la personne qu’il devrait être. Il fonctionne très bien dans l’écosystème du film. On n’est pas supposé vouloir qu’il s’en sorte. On est supposé être heureux que tout ça lui arrive à lui, et non à nous.

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Bref, je ne pourrais pas affirmer que Beau is Afraid est un film facile, agréable ou divertissant, mais ça ne semblait pas l’intention de départ. La dernière création d’Ari Aster est une séance d’exorcisme communale dédiée à ces peurs (rationnelles ou non) qui contrôlent nos vies. C’est un peu une épreuve à regarder (trois heures, je vous le rappelle), mais on en sort stimulé, inspiré et en quelque sorte grandi !