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Baptême du feu avec les motardes furies

Par
Marine Bourrier
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« J’ai un manteau et un casque. N’oubliez pas les chaussures montantes et les sous-couches pour avoir chaud ». Dimanche 11 décembre, 14h12. Je suis encore au fond de mon lit quand le message d’Astrid, présidente du moto club féminin Les Motardes Furies, s’affiche sur mon smartphone. Dans quelques heures débute « la parade des mères Noël ». Le principe ? Traverser Paris à deux-roues, à grand renforts de déguisements de Noël et de guirlandes lumineuses, et collecter des produits hygiéniques pour lutter contre la précarité menstruelle. Sur le papier, le programme est prometteur. À un détail près : je n’ai jamais fait de moto. Plus vélib que gros bolides, la tâche s’annonce ardue.

Le rendez-vous est donné à 17h, place du maréchal de Lattre de Tassigny dans le 15ème. Astrid, 27 ans, casque surmonté d’un bonnet de Noël, peaufine les derniers détails du parcours. En 2019, lassée des stéréotypes faisant des motardes « soit des gros bonhommes, soit des filles sexy en petite tenue », elle lance le groupe Facebook Les Motardes Furies, « en référence aux créatures qui, dans la mythologie, envoyaient les hommes en enfer », précise-t-elle avec malice. Le groupe, qui recense aujourd’hui près de 600 membres à travers la France, a donné naissance en 2021 à une association éponyme, « pas politisée mais engagée », notamment contre l’endométriose.

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Ce dimanche, quelques annulations de dernière minute sont à déplorer. Suspect n°1? Le froid. Les motardes les plus vaillantes, enveloppées dans des capes rouges et blanches, arrivent au compte-goutte dans les dernières lueurs du soleil. « C’est fédérateur de se retrouver entre femmes, minoritaires dans le monde de la moto », raconte Vicky, illustratrice de 34 ans ayant déjà participé à la balade organisée en 2021. La décoration des deux-roues, garés en rang d’oignon, est passée au crible par les participantes. Cette charmante hotte en toile de jute ? « Une idée super ingénieuse ». Cette petite guirlande multicolore ? « Achetée chez Gifi pour trois fois rien ».

17h30. L’heure du départ a sonné pour la quinzaine de bolides. Astrid rassemble ses troupes -dans lesquelles quelques hommes se sont glissés- pour un rappel des consignes : « Messieurs, s’il vous plaît, fermez la balade. Ne dépassez pas sinon vous aurez de vraies furies devant vous ». Mon pilote du jour, Béchir, découvre les Motardes Furies pour la première fois. Quand une amie lui a parlé de l’événement, ce passionné de moto a enfourché sa bécane et enfilé sa longue barbe blanche. « Je suis un père Noël du bled dans une manif pour des tampons. Tu vois bien que je n’ai rien à faire ici », lance-t-il dans un éclat de rire. Avant de grimper à l’arrière de la moto, je m’équipe : manteau renforcé, gants homologués… on est un peu à l’étroit dans ce casque. Je garde la visière levée, histoire de respirer un peu. « Tout va bien derrière ? » Au top. Comme dit l’adage, fake it until you make it.

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Dès les premiers mètres, je ressens la liberté tant louée par les passionné.es. Même à 30 km/h, entre deux feux rouges, sur une route pavée. Arrivés au pied de la tour Eiffel illuminée, une pause photo s’impose. À peine le temps de vérifier que mes doigts bougent toujours que l’on est déjà repartis. Objectif : remonter les quais de Seine. Émerveillée par la beauté de cette nuit parisienne, je me rassérène. C’est le moment que Béchir choisit pour accélérer subitement –« essorer la poignée » comme on dit dans le milieu -, ne pouvant résister à l’appel du boulevard vide qui se présente devant lui. Je manque de basculer en arrière et me rattrape in extremis. « Pardon, je t’avais oubliée ». Il était moins une.

Tout au long de la balade, les Furies sont accueillies par des concerts de klaxons. Aux abords de Bastille, passants amusés et enfants émerveillés se retournent sur le passage de ce drôle de convoi. Cette convivialité, c’est ce que recherchait Farah, 30 ans, avant de rencontrer les Motardes Furies : « Je faisais beaucoup de moto seule, mais je cherchais un groupe pour des balades. Étant plutôt timide, j’ai pensé que ça pouvait être plus facile d’être entourée de filles ».

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18h30. La virée prend fin dans un café de Nation. Une fois les casques de moto posés sur la table et les chocolats chauds commandés, place à la collecte. Chaque motarde était invitée à faire don de protections hygiéniques. « J’ai ramené des serviettes…ce n’est pas zéro déchet mais au moins c’est une marque écolo », se justifie Camille, 29 ans. La grande hotte se remplit jusqu’à presque déborder. « C’est une très belle récolte », se félicite Astrid, le sourire aux lèvres. Les produits récoltés seront redistribués par l’association Règles élémentaires, luttant contre le tabou autour des règles.

« Tu vas passer ton permis moto ? », me lance Béchir en partant. Je vais y réfléchir, promis. Pour l’heure, j’enfourche un vélib et file à travers la nuit parisienne, me sentant plus furie que jamais.