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Banaliser les familles homoparentales ? C’est le but de cette maison d’édition jeunesse
Lancée en 2020, « On ne compte pas pour du beurre » est une nouvelle maison d’édition indépendante qui souhaite bousculer les codes de la littérature jeunesse. Au programme ? Des héro·ïne·s avec des familles homoparentales. « On ne compte pas pour du beurre », c’est l’histoire de Caroline Fournier et d’Elsa Kedadouche, deux femmes à la recherche de livres pour leur petite fille. Nous avons discuté avec Caroline Fournier pour qu’elle nous explique leur projet.
Pouvez-vous nous raconter la genèse de votre projet ?
Elsa, mon ex-compagne, et moi avons une petite fille. À partir d’un moment, je ne supportais plus de lui lire tout le temps des histoires où les enfants ont un papa et une maman. J’ai trouvé peu de livres avec des familles homoparentales et surtout à chaque fois que j’en trouvais, c’était toujours dans la justification et l’explication. Le sujet du livre était le fait que l’enfant a deux mamans ou deux papas. Je me sentais mal de lui lire ça car je me disais « c’est n’importe quoi, elle est toute petite et on est déjà en train de problématiser sa situation alors qu’elle a juste envie qu’on lui raconte une histoire cool ».
J’aurais alors pu écrire quelque chose et passer par le système classique des maisons d’édition, qu’ils me refassent travailler le texte et que cela mette des plombes… Mais je n’avais pas envie donc on a décidé de lancer « On ne compte pas pour du beurre ». Je sais très bien que les gros éditeurs subissent beaucoup de pression et sont assez frileux pour aller sur des terrains qui peuvent être polémiques. Je me suis vraiment dit : « Il faut faire quelque chose et il faut le faire maintenant, donc on prend le stylo et on y va. »
J’ai commencé à chercher des illustrateurs et illustratrices sur un groupe Facebook puis on a fait un premier crowdfunding qui nous a permis d’avoir assez d’argent pour les payer et faire un premier tirage limité. Quand on a vu qu’on était très bien reçues et que les gens comprenaient l’intérêt de ne pas expliquer le contexte familial et d’en faire un prétexte pour banaliser, on s’est dit qu’on devait faire une vraie structure. Et voilà ! Pour l’instant, nous sommes toujours une association.
Quel est votre objectif avec « On ne compte pas pour du beurre » ?
Pour nous, l’important est de banaliser les familles homoparentales mais aussi les enfants LGBT+ – les enfants trans ou ceux qui tombent amoureux d’un enfant du même genre. Il y a quelques livres sur la question mais ça reste limité dans l’immensité du marché de la littérature jeunesse. L’offre LGBT+ est très réduite et je trouve ça hallucinant.
Pourquoi est-ce si important de banaliser et non d’expliquer ?
À titre personnel, je n’ai pas envie de justifier systématiquement ma situation de famille. Je pense que nous avons déjà largement prouvé que nous sommes des parents comme les autres. J’estime que dans ce que l’on va lire à nos enfants, on peut effacer la justification et l’explication et juste offrir une histoire à laquelle il va s’identifier sans se problématiser. Juste dire « cette petite fille a fait son aventure et il se trouve qu’elle a deux mamans comme moi ». Je pense que c’est très structurant psychologiquement pour l’enfant. Sous prétexte qu’on est des familles homoparentales, il faut toujours qu’on explique notre schéma familial. Il y en a qui veulent le faire et c’est super mais nous on n’a pas opté pour ça. On opte pour quelque chose qui est encore plus radical au niveau politique et dans l’écriture.
Vous cherchez à toucher tout le monde, pas seulement les familles homoparentales ?
C’est vraiment l’objectif. Parce que les enfants quand ils sont petits, ils ne se posent aucune question par rapport à ça. Ce sont les parents qui les influencent. Je ne suis pas en train de dire qu’il ne faut pas expliquer aux enfants d’où ils viennent et comment on les a eus. Nous, on a expliqué à notre fille qu’elle a deux mamans et que souvent dans les autres familles, elle voit un papa et une maman. Mais dans le support fiction, j’avais envie qu’il y ait un espace de banalisation.
Vous nous présentez les livres qu’on va pouvoir retrouver chez « On ne compte pas pour du beurre » ?
On a deux albums qui sortent en août et cinq autres en préparation. Ceux qui sortent en août sont des collections donc des deuxièmes tomes sont prévus. Une s’appelle Lila avec une petite fille qui a deux mamans mais le sujet central des histoires est l’écologie. Lila a des pouvoirs et se retrouve confrontée à une situation dans laquelle elle doit sauver un élément de la nature (une rivière pleine de déchets ou des abeilles). Ce sont des fables écologiques. Puis il y a Hic et Nunc, cela veut dire « ici et maintenant » en latin. C’est une collection plus orientée « grandes questions pour les petits », plus philosophique avec des jumeaux qui ont deux papas et une maman.
Puis nous avons trois autres albums indépendants : un sur une petite fille qui est amoureuse d’une autre petite fille, L’amoureuse de Simone, un sur une petite trans Je m’appelle Julie et un sur un enfant neuroatypique Léo là-haut.
Avec Elsa, vous écrivez vous-même toutes les histoires ?
Oui dans un premier temps, notamment pour des raisons financières. Maintenant, on est plus dans une logique de recherche d’auteurs / d’autrices et on a actuellement deux illustrateurs et trois illustratrices. On cherche des gens concernés par les problématiques qu’on défend car on estime qu’on n’est jamais mieux servi que par soi-même.
L’objectif est de développer des choses en fonction de nos moyens. On est confiantes car il y a beaucoup de librairies qui nous soutiennent, on sent que notre projet a un écho.