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Balenciaga : le foutage de gueule qui rapporte du flouze

A quand la robe Thermomix et les chaussures porte-savon ?

Par
Louise Pierga
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Quel est le point commun entre un bracelet ruban adhésif, un sac Ikea ou Tati, des Crocs à talons, un sac en kraft, une parka jaune fluo type prévention routière, tout ça pour des prix avoisinant un double-smic ? Sans compter une Kim Kardashian intégralement enrubannée, une Isabelle Huppert déguisée en fond vert, et une Rihanna vêtue d’une couette ? Toutes ces créations ont fait scandale et elles ont la bonne idée d’être signées Balenciaga. Ou plutôt Demna Gvasalia, directeur artistique de la marque depuis 2015 à qui l’on doit ces quelques effets de buzz créatifs à la lisière du foutage de gueule.

La haute-couture c’est comme l’art contemporain, on a vite fait de rejeter tout en bloc avec un jugement offusqué et l’air de dire “toute façon ils font juste n’importe quoi et le vendent très cher”. Alors oui. Il y a un peu de ça. Mais pourquoi ? Quel intérêt la marque a-t-elle à provoquer en faisant du “moche populaire” des objets de convoitise luxueux ?

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Début 2024, on pouvait trouver sur Disney une énième série biographique sur un créateur de mode Cristóbal Balenciaga, celui dont sa concurrente Chanel dit qu’il “est le seul vrai couturier parmi nous. Nous, nous sommes de simples stylistes”. Outre l’ennui intersidéral des premiers épisodes, la série met surtout en scène un personnage assez lisse bien qu’il soit érigé au rang des plus grands créateurs de mode du XXe siècle, thanks to ses iconiques robes “Infante” ou robe “Sack”. En tout cas, on est loin des fantaisies actuelles de la marque dont il ne reste plus grand chose de la ligne artistique originelle. Demna Gvasalia chercherait-il à faire parler plus qu’à plaire ? Assurément. Ne lui jetons pas la pierre, c’est de ce bois-là qu’est fait la mode : choquer, créer la polémique, le scandale, parlez de moi en bien ou en mal mais parlez de moi. Un enfant de 4 ans l’aurait compris (quoique, peut-être un enfant HPI ?). Soit. Mais voyons par delà le buzz.

Vous reprendrez bien une tasse de réappropriation culturelle ?

Si vous pensiez que la marque rendait hommage à la plèbe qui fait ses courses chez Ikea ou feu-Tati, vous avez tout faux. C’est bien là que le bât blesse. En sortant des créations provenant des méandres abyssalement ennuyeuses de notre quotidien de CSP- (exemple canonique : le rouleau de ruban adhésif), Balenciaga revendique sa propre classe. Comme Alice Pfeiffer l’explique dans Le goût du Moche, ce qu’on trouve moche est le “reflet de [nos] privilèges”. A partir du moment où le look “parisienne” est rendu accessible via des marques mainstream, le vrai chic pour s’en défaire sera donc de se réapproprier le look vulgos, schlag et bling bling. “Les goûts sont sans doute avant tout des dégoûts, faits d’horreur ou d’intolérance viscérale pour les autres goûts, les goûts des autres” peut-on lire dans La Distinction de Bourdieu. Balenciaga s’empare ainsi des codes populaires au même titre que la marque Lidl séduit avec des baskets ou chaussettes à l’effigie de ses couleurs que des influenceurs (dénués de race, pour le dire poliment) revendent à prix d’or sur Vinted. Le luxe se fait passer pour du pauvre en faisant semblant de le rendre cool tout en ostracisant ceux qui consomment le “moche pauvre” au premier degré (les gros losers). Alors que la classe populaire vise à ressembler à la classe bourgeoise, la classe bourgeoise s’approprie les codes de la classe populaire pour mieux s’en distinguer. Sous couvert de fusion apparente des classes, la frontière n’a jamais été aussi redoutable.

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Mépris de classe et grosses tunasses

OK. Balenciaga. T’as réussi ton coup. Peut-être que personne à part deux ou trois modasses décérébrées n’achèteront ton rouleau de ruban adhésif à 950 balles, parce que dans le fond c’était pas vraiment ça le projet. Le projet c’est de faire parler de toi, et faut reconnaître qu’on est totalement tombés dans le panneau. Car pendant qu’on s’échine à construire un semblant de réflexion gentiment teintée de sociologie bourdieusienne, la marque continue son petit bonhomme de chemin en s’en mettant plein les fouilles (le chiffre d’affaires de Balenciaga dépassait le milliard d’euros en 2021 alors que Demna Gvasalia sort trois fois moins d’articles que ses concurrents). Quant à nous, misérables populos qui exploitons le ruban adhésif pour son usage premier et non pour sa fonction pourtant (très) esthétique de bijou, on prend les miettes : critiquer ce qu’on ne pourra jamais se payer puisque c’est tout ce qu’il nous reste.

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