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« Balance ton bar » : elles dénoncent le monde de la nuit à travers le globe

Le mouvement traverse les frontières pour s'attaquer aux violences sexuelles dans les bars.

Par
Mathilde de Kerchove
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L’expérience nous a montré que les hashtags qui commencent par #BalanceTon… ne naissent jamais d’heureux événements. Et avec les années, ils semblent se reproduire et se décliner fâcheusement.

En ce moment, c’est le mot-clic #BalanceTonBar qui transcende la toile et le monde de la nuit, dénonçant les agressions sexuelles dans les bars et les boîtes de nuit. Il y a quelques semaines, des centaines de témoignages ont fait l’effet d’une bombe à Bruxelles, en Belgique. Pour commencer, c’est un quartier de la capitale belge et deux bars en particulier qui ont été visés par les nombreuses plaintes. Ces deux établissements sont en effet pointés du doigt pour les (trop) nombreuses personnes qui y ont été droguées et/ou abusées, et ce, par le même barman.

Très vite, les témoignages se sont multipliés. Venant d’autres quartiers bruxellois, mais aussi d’autres villes et d’autres pays. Le mot-clic #BalanceTonBar est alors devenu le symbole qui accompagne chaque drame vécu par une victime dans un bar de sa ville et relayé sur les réseaux. Aujourd’hui, en tapant ce slogan dans la barre de recherche d’Instagram, on peut d’ailleurs y voir les déclinaisons #balance_ton_bar à Bruxelles, Liège, mais aussi en France, notamment à Paris, Montpellier et Grenoble ou encore dans plusieurs villes suisses. De l’autre côté de la manche, c’est le mouvement Girls Night In (Soirée entre filles) qui a vu le jour au Royaume-Uni après que plusieurs étudiantes aient affirmé avoir été droguées par injection à leur insu.

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Contactées par URBANIA en France et au Québec, Romane, Marie-Pierre et Justine* font partie de celles qui peuvent malheureusement témoigner.

« Il a réussi à prendre toutes mes affaires au vestiaire, comme si on était potes »

« Ça s’est passé dans une boîte à Paris, dans le cadre d’une soirée étudiante, commence Romane. Je tiens à préciser que c’était une soirée universitaire, parce que pour moi, ça voulait dire que la soirée allait être plus sécurisée, encadrée. Mais en fait, pas du tout… »

« En 2016, je me rends donc à cette soirée après avoir passé la première partie de soirée avec un garçon que je connaissais de vue. On a fait du rugby tous les deux, mais c’est tout. Dès notre arrivée en boîte, je vois qu’il me tourne autour. Je connaissais sa réputation de “séducteur” et il ne m’intéressait vraiment pas. C’est le genre de garçon qui obtient très vite ce qu’il veut et qui n’imagine pas qu’on puisse lui refuser quoi que ce soit », raconte la jeune femme qui, très vite, se sent prise au piège.

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« Il insiste pour me payer un verre, je refuse à plusieurs reprises. Je réussis finalement à le semer, jusqu’à ce que j’aille aux toilettes. Quand je ressors, il m’attend… C’est là que je comprends qu’il m’observe et qu’il ne lâchera pas l’affaire. Et puis, tout va très vite : il me plaque contre le mur et je ne peux littéralement plus bouger. Je suis plus petite, j’ai moins de force que lui et je comprends que je suis clairement trop saoule pour me défendre. Un ami passe par là et nous voit : j’en profite pour faire diversion et me dégager », poursuit Romane, qui n’était pas au bout de ses peines.

« Je tente de gagner un maximum de temps, je reste très longtemps aux toilettes pour qu’il s’endorme. Mais en sortant, il m’attend, m’embrasse et met sa main dans mon pantalon. »

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« Un peu plus tard dans la soirée, il se plante devant moi avec un regard très décidé et me dit : “Viens, on rentre maintenant.” Dans ma tête, c’est très flou mais je sais juste que je n’ai pas envie de rentrer avec lui. Il me dit qu’il va chercher mes affaires au vestiaire et nous commander un Uber. Et là je panique, je cherche des potes qui seraient encore là, mais c’est la fin de la soirée. Il revient. Il a réussi à prendre toutes mes affaires au vestiaire, comme si on était potes. On se connaissait à peine et j’avais encore mon ticket de vestiaire dans ma poche », explique Romane, qui le revoit lui tenir le bras et l’emmener dans le Uber.

« Je sens clairement que ses actes sont péremptoires, je n’ai pas le choix, dit-elle. Dans ma tête, je sais que je dois trouver une solution, mais l’alcool et la panique rendent ma réflexion impossible. Une fois arrivée chez lui, je tente de gagner un maximum de temps, je reste très longtemps aux toilettes pour qu’il s’endorme. Mais en sortant, il m’attend, m’embrasse et met sa main dans mon pantalon. J’ai le net souvenir de dire “non”, mais c’est arrivé quand même, jusqu’à la pénétration, sans qu’il ne se protège. Le lendemain, j’ai dû prendre la pilule du lendemain et aussi me doucher au moins huit fois, tellement je me sentais sale. »

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« On ne saura jamais qui a fait ça »

De l’autre côté de l’Atlantique, c’est au Québec que Marie-Pierre a aussi vécu un événement traumatisant. « C’était en 2012, on avait à peine 19 ans, je dirais. On a commencé notre soirée à la terrasse d’un pub irlandais dans la ville de Québec. On était trois à une table, et il y avait deux places à côté de nous. Deux gars nous ont alors demandé s’ils pouvaient s’installer et on a répondu “oui”, à condition qu’ils nous paient un pichet, ce qu’ils ont fait… Après ça, c’est le trou noir. Aucune de nous trois ne se rappelle sa soirée. Tout ce dont je me souviens, c’est que je ne me suis jamais sentie aussi saoule de toute ma vie, alors que j’avais bu l’équivalent de deux pintes de bière seulement », raconte celle qui estime avoir eu énormément de chance ce soir-là.

« Un gars m’a ramassée dans la rue et m’a ramenée chez lui. Je suis tombée sur un bon Samaritain qui ne m’a rien fait, mais ça aurait pu mal tourner. Mes deux amies, quant à elles, ont suivi deux gars à une soirée, et l’une d’entre elles a vraiment été traumatisée : elle a des flashs de rapport non consenti avec l’un d’entre eux », explique Marie-Pierre.

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« À ce jour, je ne comprends toujours pas qui nous a droguées, dit-elle. Les deux garçons qui nous ont offert le pichet, juste comme ça, pour rien ? Ils n’ont rien fait et on n’a pas passé la soirée avec eux. Est-ce que c’étaient les barmans ? On se pose parfois la question… On ne saura jamais qui a fait ça au final, c’est ça le problème. Et puis ce n’est pas arrivé dans un gros club sombre, mais sur une petite terrasse, à la vue de tous. Depuis ce jour, je ne sors plus de la même manière, je suis beaucoup plus vigilante, c’est sûr. »

Pour que ça n’arrive plus

Même si elle vit aujourd’hui à Montréal, Justine*, d’origine française, se souvient encore combien elle se sentait mal à l’aise et très peu en sécurité dans certains bars français.

«Sur la piste de danse, la lumière est très tamisée, on n’y voit pas grand-chose : c’est là que certains en profitent pour venir se frotter aux filles.»

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« Déjà, en France, les mecs viennent te coller dans les bars. Quand j’habitais à Paris, j’allais souvent à la Brasserie Barbès, un bar un peu huppé où beaucoup viennent danser après le boulot. Sur la piste de danse, la lumière est très tamisée, on n’y voit pas grand-chose : c’est là que certains en profitent pour venir se frotter aux filles… On m’a fait le coup plusieurs fois et j’avoue que ça m’a vraiment traumatisée. Ça arrivait même sous les yeux de mon ex-copain », raconte celle qui, par chance, n’a jamais été droguée à son insu.

« Mais c’est vrai que j’y pensais en permanence. J’ai toujours vraiment fait attention à ça. Je sais que ça peut arriver, alors oui, c’est chiant de ne pas pouvoir vivre normalement sa soirée, mais je pense que c’est important de le rappeler : il faut toujours observer avec qui on est, ne pas quitter son verre, voire mettre sa main dessus. C’est important, vraiment. Et puis être solidaire en soirée, faire attention à ses amies, et faire preuve de sororité », rappelle Justine, qui trouve tout cela surtout très triste.

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Tolérance zéro pour les harceleurs

Aujourd’hui, Romane ne sort plus normalement dans un bar ou en boîte. Elle a toujours au fond d’elle ce sentiment de panique qui l’habite quand elle a bu un verre de trop. Comme elle, de trop nombreuses femmes du monde entier se sont réveillées un matin en ayant été abusées en état d’ivresse, ou en n’ayant tout simplement aucun souvenir à cause d’une pilule subtilement mise dans leur verre.

Pour exprimer leur colère face à cette vague de témoignages, les initiatrices de la page Instagram Balance_ton_bar ont lancé vendredi dernier un appel collectif au boycott des bars à Bruxelles. « Je suis épuisée de compter les témoignages à chaque nouveau hashtag, lessivée de rappeler à chaque affaire que nous ne mentons pas », scandait Anna Toumazoff, activiste belgo-française, lors du rassemblement dans la capitale belge. « On ne veut plus entendre les patrons de boîtes et de bars dire qu’ils ne savaient pas. Bruxelles fait un mètre carré, ça suffit maintenant! », a-t-elle encore crié sous les applaudissements des manifestantes.

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Parallèlement, le mouvement « Ask for Angela » (demandez Angela) est né pour protéger les victimes de harcèlement dans des bars, s’inspirant d’un système déjà lancé au Royaume-Uni et aux États-Unis. Le principe? Conseiller à la personne qui se sent en danger de demander Angela au bar pour signaler sa détresse à une personne du staff. Une action reprise et déclinée partout dans le monde, jusqu’à Laval au Québec.

Mais si cette initiative citoyenne est une solution provisoire, les victimes d’agressions sexuelles dans des bars et les collectifs qui luttent pour plus de sécurité au sein de ceux-ci exigent de réelles réponses de la part de tous les gouvernements et tenanciers d’établissements.

« Le problème, c’est que dans un bar, une soirée ou une boîte, la lucidité de chacun est perturbée, souligne Romane. Chacun est face à soi-même, et personne n’est la responsabilité de personne. Il faudrait des personnes sobres et formées à la sortie de toutes les soirées et de tous les établissements festifs, qui savent reconnaître des comportements suspicieux ou une personne droguée à son insu. Il doit y avoir une tolérance zéro envers les comportements insistants et envers les harceleurs. »

*Les prénoms ont été modifiés.

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