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Avortement aux États-Unis : choc, indignation et solidarité
Sombre époque pour les États-Unis. Le 24 juin 2022, les juges de la Cour suprême ont voté en faveur de l’annulation du jugement de Roe contre Wade, un arrêt qui garantissait le droit à l’avortement aux États-Unis depuis 1973.
Désormais, il appartiendra aux États de légiférer afin d’interdire, de limiter ou d’autoriser l’avortement sur leur territoire.
Au moment d’écrire ces lignes, on s’attend à ce qu’environ la moitié des États interdisent l’intervention médicale dans la foulée de la décision de la Cour suprême.
« Déjà, le Missouri, la Louisiane et le Texas ont annoncé la suspension de presque tous les avortements sur leurs territoires. Ces États, à l’instar d’une dizaine d’autres, s’étaient dotés de lois-gâchettes qui prévoyaient l’annulation presque immédiate de l’avortement dans l’éventualité d’un renversement de Roe », peut-on lire sur le site de Radio-Canada.
Parmi les reportages ayant retenu mon attention cette fin de semaine figure un papier du New Yorker, Roe’s Final Hours in One of America’s Largest Abortion Clinics [Les dernières heures d ’activité d’une des plus importantes cliniques d’avortement des États-Unis].
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La journaliste Stephania Taladrid y documente le travail du personnel d’une clinique d’avortement à Houston, au Texas, qui a travaillé rapidement pour aider autant de patientes que possible avant que celles-ci ne soient privées de leur droit d’interrompre leur grossesse. C’est bouleversant.
Depuis la tragique annonce, plusieurs initiatives, mouvements et mobilisations voient le jour afin de protéger ce qu’il reste du droit à l’avortement et de soutenir les principales victimes.
En voici un tour d’horizon.
Avec nous dans la rue!
Cette fin de semaine, les rues de plusieurs grandes villes du monde ont été le théâtre de manifestations en faveur du droit à l’avortement.
Dès vendredi, des milliers de militant.e.s pro-choix se sont rassemblé.e.s devant la Cour suprême à Washington, de même qu’à New York et à Los Angeles, afin de scander leur révolte.
Partout dans le monde, des manifestations ont exprimé leur indignation à la suite de la révocation de l’arrêt Roe c. Wade.
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«Cette bataille aux États-Unis est un pas de recul et il faut ouvrir l’œil, parce que les droits des femmes, c’est toujours fragile. »
Du côté de Montréal, la solidarité s’organise : « On doit tendre la main à nos sœurs américaines et leur dire : “Vous êtes les bienvenues au Québec.” On veut qu’elles entendent notre solidarité », a déclaré la députée Manon Massé. « Ces dictateurs de nos corps doivent comprendre qu’ils n’ont absolument aucune légitimité pour faire cela. Cette bataille aux États-Unis est un pas de recul et il faut veiller, il faut être là et ouvrir l’œil, parce que les droits des femmes, c’est toujours fragile », a ajouté la militante féministe citée par Radio-Canada.
Solidarité, camping et TikTok
Bien que la tragique décision ait été rendue vendredi, on se souvient qu’en mai dernier, le public avait eu accès à un document de 98 pages rédigé par le juge conservateur Samuel Alito, le tout semblant indiquer que la Cour suprême des États-Unis entendait invalider l’arrêt Roe contre Wade.
Dès lors, plusieurs Canadien.ne.s se sont mobilisé.e.s pour montrer leur soutien aux Américaines.
Sur TikTok, la jeune femme affirmait que si des Américain.e.s avaient besoin d’aller « camper », elle pourrait les aider avec un logement.
Parmi ces élans de solidarité, mentionnons la vidéo virale de la Torontoise aliciamarche23, dans laquelle elle proposait d’aider les personnes dotées d’un utérus et ayant besoin de services d’avortement, sans jamais nommer l’acte en soi, au cas où celui-ci deviendrait illégal. Dans sa vidéo, la jeune femme affirmait que si des personnes avaient besoin d’aller « camper », elle pourrait les aider avec un logement. Elle confiait également avoir elle-même déjà « campé » et être prête à les soutenir.
D’autres Canadien.ne.s ont emboîté le pas, partageant leur région de résidence et offrant leur aide de manière concrète, toujours en faisant référence à l’avortement sans le nommer. Par exemple, certaines d’entre elles proposaient d’aller chercher des Américaines à la frontière pour les emmener à leur « camping », tandis que d’autres proposaient de « surveiller les ours », en faisant référence aux militant.e.s pro-vie.
D’autres utilisateurs et utilisatrices de TikTok ont montré leur soutien en utilisant des images cartographiques pour montrer à quelle distance se trouvent les emplacements canadiens des États qui interdiront l’avortement.
De grandes entreprises américaines se prononcent
Quelques grandes entreprises américaines comme Disney, Citigroup, Tesla, Amazon, Yelp et Airbnb ont récemment pris position sur le sujet, en modifiant par exemple la couverture santé de leurs employé.e.s ou en leur promettant de rembourser au besoin les frais de voyage dans un État où la procédure médicale est légale.
Lyft s’est engagé à payer les frais de justice des chauffeurs et chauffeuses qui seraient éventuellement poursuivi.e.s pour avoir transporté une personne dans un autre État afin d’avoir recours à un avortement.
Jeremy Stoppelman, le patron du site Yelp, s’est montré catégorique. « La décision de la Cour suprême met en danger la santé des femmes, les prive de leurs droits et menace de démanteler les progrès que nous avons réalisés vers l’égalité des sexes sur le lieu de travail [depuis l’arrêt garantissant l’accès à l’avortement de 1973] », a-t-il déclaré, avant d’ajouter sur Twitter que « les chefs d’entreprises doivent s’exprimer maintenant et demander au Congrès d’inscrire ce principe dans la loi ».
Si peu d’entreprises ont affiché un point de vue aussi explicite, plusieurs se sont engagées à « s’assurer que leurs employées, où qu’elles travaillent, puissent accéder à un avortement en leur remboursant au besoin les frais de voyage dans un État où la procédure médicale est légale », peut-on lire dans Le Soleil.
Citons également l’initiative de Disney, qui s’est engagé à fournir un accès à des soins de qualité à ses employé.e.s, y compris la planification familiale et les soins de reproduction, « peu importe où elles habitent », selon CNBC.
De son côté, Lyft s’est engagé à payer les frais de justice des chauffeurs et chauffeuses qui seraient éventuellement poursuivi.e.s pour avoir transporté une personne dans un autre État afin d’avoir recours à un avortement.
Bienvenue au Canada, welcome to Canada
Si, il y a quelques décennies, de nombreuses Québécoises se rendaient dans certains états américains afin de recourir à des services d’avortement, ce sont maintenant des Américaines qui risquent de franchir la frontière canadienne dans l’espoir de mettre fin à une grossesse.
En effet, sur le site de Bloomberg News, on apprend que la Clinique pour femmes Bloor West Village à Toronto, qui accueillait jusqu’à maintenant très peu de patientes américaines malgré la publicité internationale de ses services d’avortement, entrevoit un changement de paradigme.
La plupart des cliniques qui auraient la capacité d’accueillir des patientes américaines se trouvent à Toronto et à Montréal.
L’établissement pourrait devenir une option pour les femmes du Michigan qui désirent se faire avorter, à condition qu’elles possèdent un passeport et les moyens financiers suffisants pour traverser la frontière. On note d’ailleurs que la plupart des cliniques qui auraient la capacité d’accueillir des patientes américaines se trouvent à Toronto et à Montréal.
Si le personnel des cliniques canadiennes prodiguant des avortements se dit prêt à soutenir les Américaines, on espère que le gouvernement fédéral déploiera les moyens nécessaires. Bien que Justin Trudeau ait laissé entendre que le Canada pourrait effectivement être une destination pour les femmes souhaitant se faire avorter, il n’a proposé aucune mesure spécifique pour augmenter la disponibilité des services ou traiter plus de patientes dans les cliniques du pays.
De l’importance des constitutions
En France, Aurore Bergé, cheffe des député.e.s de La République En Marche (LREM), a déposé une proposition de loi pour faire inscrire le droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) dans la Constitution. Une proposition qui ne fait toutefois pas l’unanimité.
« En France, nous garantissons et faisons progresser les droits des femmes. Nous les sanctuarisons. Dès aujourd’hui, avec mon groupe Renaissance, nous déposons une proposition de loi constitutionnelle pour protéger l’accès à l’IVG », a twitté la femme politique.
Pour sa part, la députée écologiste Sandrine Rousseau a publié ce tweet : « Simone [Veil] revenez, aux Etats-Unis, ils sont devenus fous. En France, aidez-nous à inscrire ce droit dans la Constitution, grâce à cette nouvelle assemblée », le tout accompagné d’une photo où l’on voit la militante poster un message dans une boîte aux lettres arborant le portrait de Simone Veil, ancienne présidente du Parlement européen.
Pourquoi cette référence à Simone Veil ? Car la loi du 17 janvier 1975 relative à l’interruption volontaire de grossesse, dite loi Veil, encadre la dépénalisation de l’avortement en France. Elle a été portée par Simone Veil, ministre de la Santé sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing.
C’est dans ce même esprit que le Chili, pourtant considéré il y a encore quelques décennies comme un des pays latino-américains les plus conservateurs, pourrait voir le droit à l’avortement inscrit dans sa Constitution.
Tel qu’évoqué dans La Presse, « la nouvelle Loi fondamentale chilienne, rédigée pendant près d’un an par une Assemblée constituante composée de citoyens, sera soumise à référendum le 4 septembre. Si le texte est approuvé, il placera le Chili aux antipodes des États-Unis, qui viennent de révoquer le droit fédéral à l’avortement : le droit à une “interruption volontaire de grossesse” (IVG) sera alors gravé dans la nouvelle Constitution. »
Une telle décision placerait ainsi le Chili à l’avant-garde mondiale en la matière.
Des voix s’élèvent
Depuis vendredi, de nombreuses personnalités publiques se sont également prononcées.
Parmi elles, la chanteuse californienne Olivia Rodrigo a invité Lily Allen sur la scène du festival Glastonbury pour dédicacer la chanson F*ck You aux juges qui ont fragilisé le droit à l’avortement aux États-Unis.
Lizzo a promis de verser 500 000 $ à Planned Parenthood et Abortion Rights, deux organismes qui luttent pour les droits reproductifs aux États-Unis.
Pour sa part, la chanteuse Lizzo a promis de verser 500 000 $ à Planned Parenthood et Abortion Rights, deux organismes qui luttent pour les droits reproductifs aux États-Unis. Ce don sera égalé par l’entreprise Live Nation. « Ces organismes vont avoir besoin de fonds pour continuer à offrir leurs services aux personnes qui sont le plus touchées par cette interdiction », a-t-elle déclaré sur son compte Instagram. « Le plus important est d’agir et de se faire entendre. »
La footballeuse Megan Rapinoe, le joueur de basketball LeBron James, la chanteuse Taylor Swift, la femme politique Alexandria Ocasio-Cortez et la journaliste et autrice Liz Plank ont également pris la parole sur leurs réseaux sociaux respectifs.
Je vous laisse sur cette citation de Simone de Beauvoir qui résonne plus que jamais :
« N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. »