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Arrêtez de glorifier l’accouchement dans la douleur
On peut apprendre comment se passe un accouchement en regardant une scène de film. D’abord, le personnage féminin perd ses eaux au moment le moins opportun. Ensuite, c’est le transport en panique vers l’hôpital, en taxi de préférence, accompagné de plusieurs personnes, toutes moins utiles les unes que les autres. Heureusement, ces personnes sont parfaitement satisfaites par la perspective de devoir attendre dans une salle d’attente.
Dès l’arrivée à l’hôpital, la patiente a droit à une chambre privée, peu importe le stade du travail. Elle accouchera dans les minutes qui suivent, le visage en sueur mais le maquillage impec.
Après 2-3 poussées avec grognement, un magnifique bébé de trois mois sans placenta sortira la tête d’une blouse d’hôpital qui a miraculeusement tenue en place pour préserver la dignité de la nouvelle maman.
Au milieu de tout ce scénario parfaitement réaliste, on peut aussi remarquer l’absence d’un important personnage de soutien : l’anesthésiste.
Pourtant, la grande majorité des femmes utilisent une méthode pour diminuer la douleur. En France, 82,7 % des femmes ont eu recours à la péridurale lors de leur accouchement. « Ce taux important est en accord avec le souhait des femmes », indique l’Inserm dans son enquête nationale périnatale publiée en 2022.
Ces données excluent également celles qui ont recours à d’autres méthodes de gestion de la douleur, par exemple le gaz hilarant.
Toutefois, malgré sa popularité, la péridurale n’est pas nécessairement portée aux nues.
Commentaires improbables et autres petites phrases
Je me souviens encore des commentaires entendus lorsque j’étais enceinte. Un homme me racontait comment sa meuf avait été courageuse d’accoucher sans épidurale. Un autre me disait que pour lui, une femme ne devrait pas accoucher à l’hôpital, encore moins avec péridurale… parce qu’après tout, c’est de la drogue. Un autre se questionnait à savoir si ça peut vraiment faire mal tant que ça, parce qu’on est faites pour ça. À noter que ce sont surtout des hommes qui m’ont fait ces commentaires, du haut de leur expertise.
De l’autre côté, les vidéos YouTube m’invitaient à accueillir cette expérience de la manière la plus «naturelle» possible. Une doula m’avait dit de penser la douleur en termes d’intensité: «ce n’est pas douloureux, c’est intense». Oui, bien sûr…
« Il y a un côté martyr. C’est normal de donner naissance dans la souffrance », remarque Maude Michaud, créatrice du blog La parfaite maman cinglante et auteure de Mieux survivre à ta maternité.
Selon elle, cette pression ne se vit pas à l’hôpital, mais dans les cercles sociaux.
« Dans quel autre contexte est-ce qu’on voit ça ? Est-ce qu’on reproche à quelqu’un de se faire anesthésier chez le dentiste ? Oui, le corps peut combattre une infection tout seul, mais tu peux quand même prendre un antibiotique », poursuit Maude Michaud.
Le discours sur l’accouchement est étrangement paradoxal. D’un côté, on peut entendre qu’une femme qui combat la douleur est vraiment brave». D’un autre, on leur enseigne que si elles respirent comme il faut, qu’elles vont passer au travers.
« Il y a une espèce de pression de performance de l’accouchement qui se fait en parallèle à une infantilisation des femmes au fil du processus », remarque Maude Michaud. «Je suis lassée du jugement en général envers les décisions des femmes. Je trouve qu’on est très infantilisées en général. Personnellement, je pense qu’avec tous les moyens qu’on a, une femme devrait pouvoir décider, voire même changer d’avis en cours de route », croit l’auteure et blogueuse.
Surmédicalisation et pression
Celle qui a accouché de son fils il y a 11 ans dit toutefois remarquer que la pression de l’accouchement dit « naturel » tend à diminuer, surtout entre femmes. À l’inverse, elle remarque que beaucoup de femmes ont vécu une pression lors de leur accouchement, celle d’accepter la péridurale, ou toute autre procédure médicale, alors qu’elles ne le souhaitaient pas.
« L’envie d’accoucher naturellement est un acte de rébellion. Je pense qu’on est fatiguées de la façon dont on est traitées par le système de santé », dit-elle.
« Par défaut, on te fait des trucs, et on ne te dit pas ce que tu as le droit de refuser ou non. » Le refus de la péridurale devient alors davantage un refus de la surmédicalisation de l’accouchement.
C’est un point de vue qui se vaut. Il n’y a pas si longtemps, à l’époque de nos grands-mères, les femmes étaient carrément endormies lors de leur accouchement. L’allaitement aussi état jugé de façon négative. Il fallait laisser faire les docteurs et l’industrie parce qu’après tout, c’étaient eux les experts. Toutefois, au même moment, les premières féministes se réjouissaient de telles avancées médicales qui libéraient les femmes de l’emprise de leur propre corps. Comme quoi ce débat est loin d’être noir sur blanc.
Et si c’était à la personne qui accouchait de décider ? Et si toute l’information était divulguée et le consentement exigé au moment de l’accouchement ? Qu’y perdrait-on ?