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Un prénom est rarement choisi au hasard. Dès l’annonce de la grossesse, les parents discutent, font des propositions, se mettent d’accord sur le petit nom qui guidera la vie de leur progéniture.
Depuis le début de la pandémie, on voit apparaître des prénoms comme Covid-Bryant, Corona ou Lockdown . Pourquoi certains parents décident-ils de nommer leurs enfants en souvenir d’un événement traumatisant?
On en a discuté avec Laurence Charton, sociodémographe spécialisée dans l’étude des trajectoires familiales, pour comprendre leurs motivations.
Qu’est-ce qui pousse les parents à nommer leurs enfants en faisant référence à une situation dramatique?
J’ai repéré trois types de motivations qui sont fortement liées au type de prénoms.
Un désir de commémoration
Les prénoms comme Lockdown, Tsunami, Ebola, Victoire, Covid ou Corona sont des prénoms qui permettront de commémorer un événement très fort, un événement qui a été vécu par des millions de personnes.
Les parents rappellent en quelque sorte à l’enfant, mais aussi à eux-mêmes, qu’ils ont traversé cette épreuve et qu’ils en sont sortis sains et saufs, qu’ils sont maintenant plus forts puisqu’ils y ont survécu. Dans un article, un père qui a nommé son enfant Lockdown disait vouloir encourager les personnes à se protéger de la Covid-19 et sauver ainsi la nation.
Si par exemple on se penche sur le cas du prénom Victoire, on peut se dire que c’est plus positif, mais ce prénom est quand même né à la suite des deux grandes guerres. C’est une victoire par rapport à une guerre, un événement vécu collectivement qu’on commémore à travers ce prénom. Individuellement, on espère qu’en portant ce prénom notre enfant sera plus tenace.
Il ne faut pas oublier qu’un prénom, on le dit à haute voix, on s’en sert pour interpeller la personne, on l’entend.
Pour se mettre sous la protection DE…
La deuxième hypothèse rejoint plus les prénoms comme Covid-Marie, ou Covid-Bryant, en interpellant un saint, une sainte ou un personnage héroïque.
Par exemple Covid-Bryant, fait référence au basketteur de la NBA Kobe Bryant, mort d’un accident d’hélicoptère en janvier. C’est une personne avec une certaine aura. En donnant ce nom à un nouveau-né, on cherche à le placer sous sa protection.
Pour Covid-Marie, l’enfant est né dans un contexte particulier… Les parents, probablement catholiques, remercient la Vierge Marie et souhaitent, là aussi, mettre leur progéniture sous sa protection.
Conjurer le mauvais sort
Ces prénoms sont principalement donnés en Asie dans des pays très marqués par les taux de mortalité élevés, où le traumatisme est plus fort encore. Dans les pays où la pandémie a été mieux contrôlée, je ne crois pas que les nouveaux parents auront la même impulsion au moment de remplir la déclaration de naissance de leur enfant!
C’est qu’il existe dans certaines sociétés, notamment dans celles où la mortalité infantile est très élevée, des prénoms donnés aux nourrissons pour conjurer le mauvais sort. On considère qu’il ne faut pas que les enfants attirent l’attention. On veut les cacher de l’esprit des morts.
À Taïwan, on donne parfois des noms aux enfants qui évoquent la paresse ou l’oisiveté pour «déprécier» l’enfant aux yeux de la mort.
Dans certaines cultures, on change les prénoms au fil du temps. C’est aussi une raison qui explique que des parents vont décider de donner un prénom comme Covid : c’est pour leur éviter la mort à la naissance.
La notion selon laquelle le prénom a un pouvoir, on le voit aussi dans nos sociétés occidentales. On craint moins la mort du nourrisson, mais on imagine quand même que le prénom peut influencer la destinée de l’enfant. C’est pour ça qu’on réfléchit à ce point avant de choisir un nom. Souvent, les parents dans les forums de discussion ressentent une grande pression sur le choix du nom. C’est une responsabilité parce que l’enfant va le porter toute sa vie.
« Victoire », prénom né de la guerre, a perduré. Est-ce qu’on peut croire que des prénoms comme Covid traverseront les époques?
Ça dépend à quel moment on donne le prénom. Si Ebola ne perdure pas, des prénoms comme Enola ont fait leur apparition. Les parents étaient loin du virus, ils étaient en France, mais ils ont probablement été influencés par la maladie dont on parlait beaucoup dans les chaînes d’informations. Parfois, ça teinte nos esprits même inconsciemment.
Pour Victoire, si on se fie aux statistiques en France, c’est devenu encore plus populaire après les guerres mondiales.
Il a aussi été repris dans un film, nommé La boum (1980) avec Sophie Marceau qui incarnait le personnage de Victoire. C’est alors devenu un prénom plus fréquent, à cause de cette transposition à l’écran. C’est associé à une génération.
Au plan relationnel, on peut aussi vivre des petites victoires. Par exemple, une mère qui a un problème d’infertilité, mais qui a quand même eu un enfant, peut vouloir prénommer sa petite fille ainsi. Là, c’est plus une victoire personnelle que collective.
Porter un prénom aussi lourd de sens, quel impact cela peut-il avoir sur l’enfant?
Si vos parents sont immigrants et que vous portez un prénom peu commun dans votre société d’accueil, ça peut être plus difficile pour l’intégration. Certains décident de donner à la naissance un prénom mixte ou un nom commun du nouveau pays pour faciliter l’inclusion de l’enfant dans sa communauté.
Ce n’est pas le prénom le problème, mais ce que les autres en retirent. On est ce qu’on est, mais on est aussi vivant dans le regard des autres. Ils ont des appréhensions sur ce que devrait être une personne qui porte tel ou tel prénom. On peut donc se façonner en regard de son prénom par les réactions de notre entourage.
Par exemple, si le prénom que vous portez est considéré comme étant «espiègle», il se pourrait que vous adoptiez un sourire espiègle. C’est comme si on répondait aux attentes des autres.
Est-ce que les enfants pourraient être isolés des autres en portant des noms comme Lockdown?
Il ne faut pas voir ces prénoms comme quelque chose de négatif, mais plutôt comme un témoignage de la force de l’enfant, des parents, de la communauté.