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APÉRO EMO AVEC LOUD

Loud vu par Sarah-Maude Beauchesne.

Par
Sarah-Maude Beauchesne
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Il y a son talent, son ambition, son succès au Québec comme en France, sa percée sur les ondes de la radio commerciale (malgré le fait qu’il fasse du rap)… Puis – ce n’est pas accessoire – il y a ce qu’il provoque de passion viscérale chez les fans (et les femmes). Loud est l’artiste de l’heure, celui qui fédère la Francophonie autour du son d’ici. On a demandé à Sarah-Maude Beauchesne, auteure sentimentale, de lever le voile sur les mystères du rappeur. Face à face de romantiques.

SIMON/LOUD

Vite comme ça, j’ai tout sauf le casting d’une fan de rap. Surtout pas de rap québ. Je me tiens dans les restaurants qui servent du vin nature avec un p’tit band de jazz dans l’coin et puis je danse juste si c’est du Taylor Swift (surtout ses vieux albums). Mais ça ne m’empêcherait jamais de vouloir marier Drake demain matin; pour sa beauté désarmante, sa belle bouche (qui feel sûrement comme une tarte aux fruits frais) et ses rimes d’amour qui te donnent envie de tripper sur quelqu’un d’inaccessible pendant un été de temps. Ou deux ou trois.

On a maintenant notre propre rappeur au swag impeccable, à la poésie dégourdie, à la gestuelle suave et à la désinvolture tellement puissante qu’elle vient inévitablement nous réveiller la paire d’ovaires. quand on se risque à visionner le vidéoclip de 56K.

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Ça ne m’empêche pas non plus de voir en Simon (j’ai le droit de l’appeler Simon, j’ai bu un verre de Vouvray avec), un artiste juste assez vulnérable, vrai, sensible au point d’être capable de toucher n’importe quel humain qui a le goût de sourire en écoutant une chanson. N’importe quel humain qui a la capacité de se dandiner les yeux fermés en rêvant à un après-midi de canicule à frencher du bout du bec (ou pas) la personne de son choix. Il en a pour tous les publics, des cool kids qui ramènent le Reebok à la mode jusqu’à notre tante Jojo, qui a le goût d’ajouter un p’tit edge dans sa playlist.

Après ses débuts sur la scène musicale avec Loud Lary Ajust, le succès de son premier EP en solo puis de son album Une année record en 2017, Loud permet au rap québécois de devenir l’hymne de nos journées, peu importe qui on est ou ce qu’on feel. On a maintenant notre propre rappeur au swag impeccable, à la poésie dégourdie, à la gestuelle suave et à la désinvolture tellement puissante qu’elle vient inévitablement nous réveiller la paire d’ovaires (qu’on a muté au stérilet) quand on se risque à visionner le vidéoclip de 56K. Personne ne peut survivre à un plan-séquence au coucher de soleil et à des yeux clairs comme le fond d’une piscine de région (d’un quartier bourgeois, genre que le fond est en fibre de verre).

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Et c’est ça qu’on voulait depuis trop de temps; un blend bien juste entre artiste au talent brut et vedette assez magnétique pour séduire les plus sceptiques et enchanter la France. On a enfin le droit de se péter les bretelles tant qu’on veut en frôlant n’importe quel plancher de danse avec notre pli de fesse chaque fois qu’on entend Toutes les femmes savent danser. Pas le droit d’être humble cette fois-ci.

Les puristes du rap québ diront ce qu’ils voudront, cette chanson mérite qu’on l’écoute, qu’on se tanne (pas le choix, un moment donné, quand tu la mets sur repeat à n’en plus finir), qu’on prenne un p’tit break, qu’on recommence à avoir le goût de la jouer, qu’on apprenne toutes les paroles par cœur, qu’on se trouve cool de scander super fort n’importe lequel de ses verses délicieux. Mais surtout, qu’elle nous fasse penser à l’été toutes les fois qu’elle refera surface à la radio, généralement chaque début de mai, pour nous rappeler que la track de Loud est plus qu’un hit éphémère. Elle est LE symbole d’un mouvement de masse, comme si sa musique pouvait alléger n’importe quel cœur, fan de rap ou pas.

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LES MAGICIENNES

« J’me fais tirer les ficelles par des filles superficielles sur leur sans-fil »

En tant que romantique presque finie (la fille commence à en avoir marre, par contre) et emo assumée, je m’intéresse à ce qui rend Simon vulnérable. Parce qu’un rappeur, dans l’univers collectif, ce n’est pas nécessairement symbole de fragilité. Et encore moins de féminisme. Lui, quand il parle des femmes, c’est différent : il va ailleurs, il les célèbre comme il faut, à leur juste valeur. Dans son art, dans sa présence, dans sa voix basse et calme, dans sa grande gêne. Dans ses yeux qui fuient la plupart du temps mon regard parce qu’il n’a peut-être pas tant envie d’être là (je le comprends, il pleuvait, il faisait frais), je vois une dose de vérité et de candeur. Je vois aussi juste un gars qui veut être réellement smatte, loyal, humain. C’est ça que je sens, quand je partage un verre avec lui. Et c’est un feeling vraiment le fun.

Dans ses yeux qui fuient la plupart du temps mon regard parce qu’il n’a peut-être pas tant envie d’être là (je le comprends, il pleuvait, il faisait frette), je vois une dose de vérité et de candeur. Je vois aussi juste un gars qui veut être réellement smatte, loyal, humain.

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Je le questionne sur ce que c’est pour lui, une magicienne, ces filles dont il parle dans son fameux hit « Toutes les femmes savent danser ». Il hésite un peu avant de répondre, comme si c’était un sujet sensible ou peut-être juste flou… Puis, il m’explique que ce sont des femmes capables de t’embourber habilement dans des histoires compliquées, dans des mirages alléchants, pour ensuite te piéger, te briser le cœur. Parce que la plupart d’entre elles veulent du superficiel, une anecdote avec un rappeur du coin à raconter à leurs chums de filles, une soirée à frencher quelqu’un de connu, des échanges textos assez excitants pour les encadrer puis les accrocher au-dessus de leur table de chevet pour que chaque soir, elles se souviennent qu’elles ont accompli l’impossible. Séduire un rappeur. Ce sont elles, les magiciennes. Et avec sa popularité, sa belle gloire qui commence et qui ne s’atténuera pas de si tôt, il me dit être encore plus vulnérable qu’avant, plus enclin à se faire prendre le cœur là-dedans. Et je le trouve beau de me confier ça.

INSTAGRAM ARROGANCE

Il me raconte tout ça avec une puissante nonchalance, comme si le simple fait de se montrer fragile de même le rendait juste plus cool, et ça marche. Parce qu’un artiste inaccessible, ça nous épuise, ça nous fait chier à la longue. Lui, il assume. Ça compense pour la légère arrogance qu’il dégage malgré lui, parce que son je-m’en-foutisme est efficace et réel. Ce n’est pas un personnage. Son compte Instagram compte plus de 39 000 abonnés et zéro abonnement.

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Et ça, d’après moi, c’est l’image moderne d’un gars qui s’en fout pour de vrai. Pas parce qu’il a envie de créer une distance avec ses fans, pas parce qu’il veut se bâtir une image d’un gars qui care pour personne. Simplement parce que ça ne lui tente vraiment pas de scroller la vie des gens avec son pouce à longueur de journée. Il veut juste faire de la musique, que ça rime le plus souvent possible, que ça dise quelque chose qui fait du sens, que ça fasse danser le monde une fois de temps en temps, que ça lui donne le courage de se taper une entrevue avec une auteure soft-sexu qui lui coupe la parole un peu trop souvent parce qu’elle s’emballe quand il lui dit que des fois, son cœur saigne.

Si j’étais lui, je m’en vanterais, d’avoir un gros zéro au-dessus de mes abonnements Instagram. Je me trouverais ultra cool de résister à ma curiosité, j’ajouterais sûrement cette info-là dans mon CV, même. Mais pas lui. À la compétition de qui qui est le plus baller sur les réseaux, il gagne sans faire d’effort, sans avoir prévu son affaire. Mieux que ça : son trophée d’influenceur qui s’en fout, il n’en veut même pas.

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TRISTE TRI

Quand il parle du rap (du rap québ, là), c’est lui qui s’emballe. Il sonne sérieux, réfléchi, plus du tout gêné de jaser. Il est reconnaissant de se faire voir et entendre, ça lui fait du bien. Il se réjouit de constater que son monde est à la mode enfin, qu’il a sa place dans le quotidien des Québécois et des Français, même. Mais il se désole devant un tri injuste, une sélection paresseuse dans l’industrie, qui fait briller tout ce qui est safe et ignore tout ce qui est audacieux, controversé. Cet échantillon, celui qui passe à la radio, à la télé, dans les festivals, celui qui reçoit les précieux sous des institutions et l’aide des labels, il est tristement homogène. Il est clean, il est blanc, il est trop prudent. On a bien du chemin à faire, dans le fond.

Il le dit lui-même : « I just woke up avec la vie dont j’ai rêvé. » Sans shame, sans retenue. Parce qu’il le mérite, parce qu’il a le droit, parce que c’est ben correct de se trouver bon. Et c’est rare qu’un de nos artistes, ici au Québec, se permette de se faire lancer des fleurs et de s’en faire de beaux bouquets.

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Mais à travers tout ça, son envie de réussir, de faire rêver, est évidente; autant il est naturellement humble et discret, autant il se plaît à s’imaginer une vie grandiose ou même à la vivre un peu plus chaque jour, avec le succès qui s’intensifie. Il le dit lui-même : « I just woke up avec la vie dont j’ai rêvé. » Sans shame, sans retenue. Parce qu’il le mérite, parce qu’il a le droit, parce que c’est ben correct de se trouver bon. Et c’est rare qu’un de nos artistes, ici au Québec, se permette de se faire lancer des fleurs et de s’en faire de beaux bouquets. Il aime le rapper, ce quotidien que tout le monde envie, la gloire cool, le hipster riche, celui qui lui permet de porter des marques, du bomber brodé aux casquettes five panel. Mais dès que l’attention s’éloigne de ce qu’il fait, de sa musique, il perd trop de son plaisir. Jamais il ne sera à l’aise de radoter les mêmes affaires pas si importantes à des journalistes ou de répondre à des questions trop loin de ce qui l’intéresse vraiment. Il trouve ça un peu ridicule, ça le fatigue et c’est ben correct. Je comprends le message, je mets fin à l’entrevue, mais c’est relax entre nous à cause du Vouvray alors je ne suis vraiment pas vexée.

On sort du bar à vin, on s’update sur le dernier épisode de Handmaid’s Tale, on se fait la bise avant de se quitter, mais on se rend compte qu’on s’en va dans la même direction alors c’est chelou sur le coup. Mais ce n’est pas bien grave parce qu’on continue de marcher sans vraiment commencer une conversation. On n’est pas obligés : il est à l’aise avec le silence. C’est une autre affaire de cool chez lui.

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