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All Too Well (Taylor’s Version) : 10 minutes pour remettre Jake Gyllenhaal à sa place

Quand Taylor Swift nous chante un fuckboy.

Par
Benoît Lelièvre
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Taylor Swift a encore fait sauter l’internet, vendredi dernier. L’habituée des manchettes médiatiques lançait en grandes pompes son deuxième réenregistrement d’album pour Red et nous réservait une petite surprise : une nouvelle version d’All Too Well (le titre supposément à propos de sa rupture avec Jake Gyllenhaal) qui fait DIX MINUTES. C’est deux fois la longueur de l’originale. Elle en avait gros sur le cœur.

Elle en a aussi profité pour réaliser son premier court métrage afin d’accompagner cette nouvelle itération de la chanson question qu’on puisse en saisir les nuances :

En quelques heures, All Too Well est devenue le talk of the town sur les réseaux sociaux. Les mèmes caustiques déferlent sur Twitter depuis plusieurs jours et Jake Gyllenhaal est, du jour au lendemain, devenu le pas cool de l’heure. Comment Taylor fait-elle pour toujours frapper dans le mille ? Cette nouvelle version d’All Too Well a beaucoup à nous apprendre à propos du génie créatif et marketing de Taylor Swift.

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Perfectionner l’« extimité » et le vague

Je ne suis pas extrêmement fan de la musique de Taylor Swift, mais j’adore le personnage. Elle est la parfaite célébrité 2.0 qui garde la ligne entre sa vie personnelle et sa vie publique délibérément floue. Bien qu’elle soit d’entrée de jeu une excellente autrice-compositrice-interprète, Swift utilise l’« extimité » (l’intimité vécue publiquement) et les relations parasociales (ces liens qu’on tisse avec des célébrités) pour créer un lien béton avec son audience. Ses fans ne sont pas juste des fans. C’est une armée de gens qui la défendent comme s’ils défendaient leur meilleure amie.

Quand Taylor écrit une chanson pour se venger d’un salaud, chanter sa chanson devient une forme de vengeance pour tout le monde ayant vécu cette situation.

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Qu’est-ce que ça veut dire au juste, l’extimité ? Selon le psychanalyste français et beau-père de la théorie littéraire contemporaine Jacques Lacan, il s’agit d’aspects de la vie intérieure qui prennent leur sens (ou tout simplement un sens plus fort) lorsque vécus dans le monde extérieur. Ce sont les moments intimes choisis et partagés avec un public afin qu’ils soient interprétés à l’aide des signifiants de leur propre vie. Quand Taylor écrit une chanson pour se venger d’un salaud, chanter sa chanson devient une forme de vengeance pour tout le monde ayant vécu cette situation.

Elle ne spécifie jamais de qui elle parle dans ses chansons, mais c’est un facteur qui joue en sa faveur. Une partie du plaisir d’être fan de Taylor Swift, c’est d’établir des parallèles entre sa vie amoureuse ultramédiatisée et ses paroles. Ces dernières sont juste assez vagues et juste assez transparentes pour permettre des associations libres. Ses fans ont alors l’impression qu’elle se livre directement à eux. Swift utilise l’extimité pour créer une relation parasociale avec ses auditeurs et auditrices. Ils ont l’impression de la connaître intimement, alors qu’elle ne les connaît pas du tout. La popularité des influenceurs repose sur le même concept : livrer une curation de leur intimité afin de créer une complicité à sens unique.

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Qu’est-ce qui se passe au juste dans All Too Well ?

Il y a deux terrains d’analyse ici : la chanson et le court métrage.

Taylor Swift a tout d’abord ajouté trois couplets et des poussières à la chanson originale, où elle lance des accusations extrêmement précises au sujet du fuckboy, qui est ou n’est peut-être pas Jake Gyllenhaal. Elle l’accuse entre autres d’avoir lancé par terre un porte-clés « fuck the patriarchy » sans vraiment préciser à qui ledit porte-clés appartient. Un geste hautement symbolique qui dépeint le sujet d’All Too Well comme un faux allié.

L’accusation la plus percutante vient cependant dans le cinquième et avant-dernier couplet : And I was never good at telling jokes, but the punch line goes/”I’ll get older, but your lovers stay my age” (je n’ai jamais été bonne pour pour raconter des blagues, mais celle-ci finit avec : je vieillirai, mais tes amoureuses auront toujours mon âge). Swift et Gyllenhaal se seraient fréquentés pendant trois mois en 2010. Elle n’était âgée que de 21 ans à l’époque. Elle était de 9 ans la cadette de l’acteur. Alors non seulement elle le traite de faux allié, mais elle l’accuse aussi de groomer des jeunes femmes pour profiter d’elles. Shots fired!

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Il y a aussi l’histoire du foulard de Taylor, que Jake garderait en otage comme symbole de l’innocence volée de son ex. Bon, c’est peut-être moi qui extrapole, mais je suis pas le seul. Regardez de quoi a l’air la section des commentaires sur le Instagram de Jake depuis quelques semaines :

Le court métrage, lui, dépeint une dispute hautement spécifique à propos d’un incident où le gars en question lâche la main de la jeune protagoniste devant tout le monde pendant un dîner AVEC SES AMIS À LUI. Le genre de quiproquo qui peut se résoudre avec un peu de bon vouloir. Lorsque la protagoniste confronte son copain en lui expliquant qu’elle a trouvé ça super insécurisant dans une situation sociale où elle ne connaît personne, au lieu de valider ses sentiments et de s’excuser du malentendu, il lui sert une violente séance de gaslighting : « voyons, ça n’a pas de rapport », « je m’en suis pas rendu compte », « de quoi tu parles ? ». Si vous êtes familiers avec ce type de manipulation, c’est plutôt brutal comme scène.

C’est techniquement de la fiction, mais les signifiants utilisés par Swift renvoient à une histoire qui s’est réellement produite et qui peut être interprétée de différentes manières par tout un chacun

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Encore là, ce fuckboy et cette jeune ingénue pourraient juste être une création de l’esprit de Taylor Swift, non ? Est-ce que les fans de la chanteuse lisent trop dans ses paroles ? C’est là que se trouve son génie. Les protagonistes du court métrage All Too Well sont une jeune femme rousse et un barbu sexy et ténébreux. C’est techniquement de la fiction, mais les signifiants utilisés par Swift renvoient à une histoire qui s’est réellement produite et qui peut être interprétée de différentes manières par tout un chacun.

Sauf que Swift est juste assez précise et donne juste assez de détails pour pousser SA version des faits. C’est un peu ça aussi, Taylor’s version. Toute tentative de réponse sera perçue comme une tentative de contrôler les dégâts. Ça, Jake Gyllenhaal le comprend bien. C’est pour ça qu’il s’est subtilement téléporté dans une autre dimension vendredi dernier. Ne soyez pas un fuckboy avec Taylor Swift.

Et surtout, redonne-lui son foulard, Jake. C’est la moindre de choses, bâtard.

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