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Inutile de tourner autour du pot, c’était bon, le film Aline. Vraiment mieux que je pensais en tout cas.
Il faut dire que la première fois que j’ai entendu parler de ce projet dans le monde d’avant, je me souviens m’être dit que ça serait probablement de niveau « Papa est devenu un lutin ».
Quand j ’ai vu les critiques dithyrambiques en France, je suis demeuré méfiant. Après tout, les gens de ce pays se comportent bizarrement lorsqu’ils viennent à Montréal, en quête d’écureuils et d’une ville souterraine imaginaire.
Mais voilà que les premiers échos locaux semblaient aller un peu dans le même sens. Sur Twitter le soir de la première montréalaise, les commentaires étaient élogieux et la distribution – présente pour l’occasion – a eu droit à une ovation au lieu de tomates. Les critiques québécoises ont apprécié cette adaptation sympathique et fantaisiste. « Un conte de fée », a dit le Journal de Montréal en lui décernant 3 étoiles et demie. « Un improbable mais irrésistible pari », louangeait pour sa part Le Devoir avec ses 4 étoiles. « Sympathique et inégal », tranchait La Presse, en lui décernant 3 étoiles.
Bref, on est à des années-lumière du désastre de la famille Dion lors de son passage à la télé pour chanter Ils étaient une fois des gens heureux.
Parlant du clan Dion, je sais bien que des membres du clan n’ont vraiment pas aimé (un euphémisme), mais j’ai eu du mal à trouver d’autres voix aussi discordantes.
C’est dans ce contexte que j’ai décidé d’aller me faire une tête moi-même, lors de la première au cinéma Beaubien jeudi. Pour l’occasion, j’ai traîné ma pimpante collègue Laïma, une jeune femme sophistiquée qui écoute parfois autre chose que le film Braveheart ou des films dans lesquels le personnage principal ne se retourne même pas quand ça explose en arrière.
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Par transparence, ma mauvaise foi nous accompagnait aussi, puisque je n’ai jamais aimé Céline.
Par transparence, ma mauvaise foi nous accompagnait aussi, puisque je n’ai jamais aimé Céline. Rien de personnel, pas par snobisme ou pour faire le contraire de la planète, mais juste parce c’est pas du tout mon genre de musique. Par exemple, si ça passe dans un bar karaoké (ce qui arrive tout le temps), c’est alors mon moment pour aller fumer une clope. J’aime bien par contre D’amour ou d’amitié, que j’étais d’ailleurs heureux de retrouver quelque part coincé dans l’étrange objet de deux heures.
Pour mettre mon dédain à l’épreuve, j’avais même couvert un show de la diva de Charlemagne à Trois-Rivières il y a quelques années. Glam, je sais. Enfin, j’étais parti avant le Titanic et même pas pour éviter le trafic.
J’avais au moins eu la chance de voir la star de proche et de l’immortaliser avec mon téléphone à son arrivée à l’amphithéâtre.
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Papa-paparazzi!
Ah, une dernière chose, je ne suis pas critique cinéma non plus, alors soyez indulgent.e.s. J’avais couvert quelques films durant mon court passage aux arts à La Presse, et j’avais la fâcheuse manie de mettre trois étoiles et demie à tout le monde pour ne faire de peine à personne. Les 3 p’tits cochons 2 : BOUM, 3 étoiles et demie ! Nitro rush : 3 étoiles et demie !
Même le remake de Heidi s’était mérité (attention)… QUATRE ÉTOILES ‘BARNAK! « Surprise alpestre », avais-je osé titrer, rien de moins.
Maintenant que vous êtes prévenu.e.s que ma crédibilité du 7e art est équivalente à celle d’un panel d’hommes blancs aux nouvelles pour parler de racisme systémique, enchaînons.
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Premier constat : il y a du monde autour du cinéma Beaubien à Montréal quelques minutes avant le début de la projection. Le buzz médiatique des derniers jours a clairement eu son effet. En attendant Laïma – une retardataire comme toutes les personnes de sa génération –, j’en profite pour accrocher quelques cinéphiles.
« Je suis Française et j’aime bien Valérie Lemercier. Faut faire confiance à son humour », souligne Florence, venue simplement passer un bon moment de divertissement.
« Je passais devant le cinéma et j’ai vu que ça commençait bientôt. J’avais rien à faire et je ne suis vraiment pas une fan », commente une autre dame, déterminée à donner une chance au film.
Il y a même le collègue de La Presse Marc-André Lemieux venu voir le film pour la… quatrième fois. Il a cette fois eu l’idée de génie d’inviter Thomas, l’homme derrière la truculente page Des mèmes gais et grand fan de Céline devant l’éternel, pour ensuite recueillir ses réactions à chaud.
Laïma arrive enfin, à temps pour ramasser un popcorn et entrer dans la salle déjà presque pleine. Très fancy, elle opte pour de l’eau pétillante au lieu d’un coca. « L’eau gazeuse, c’est un truc pour couper le salé du popcorn, tu savais pas ? », lance-t-elle.
Soupir.
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On prend place dans le fond pour que je puisse prendre des notes en chemin sans déranger tout le monde. Évidemment le gars en face de moi est frisé et mesure 2 mètres. J’échappe ma bouteille d’eau gazeuse, qui roule jusqu’en avant de la salle légèrement inclinée.
Notre programme principal s’ouvre sur une vision onirique de Valérie Lemercier étendue sur un lit blanc avec ce qu’on devine être sa progéniture, sur la chanson Ordinaire de Charlebois.
S’ensuit la scène assez inutile de la rencontre entre les parents d’Aline, surtout là pour montrer que la musique faisait partie de leur vie. Le soupirant dit à sa belle qu’il ne veut pas d’enfant pour profiter de la vie : il en aura finalement quatorze.
Aline est le bébé et hérite de son nom lorsque sa mère entend la chanson éponyme de Christophe à la télévision pendant sa grossesse. Un clin d’œil au fait que la véritable matriarche du clan Dion avait baptisé Céline après avoir entendu la chanson d’Hugues Aufray (il me semble).
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Évacuons d’ailleurs immédiatement l’éléphant dans la pièce. C’est une interprétation libre de la vie de Céline, donc on parle de la famille « Dieu » (au lieu de Dion) et plusieurs prénoms sont à coucher dehors et improbables. Guy-Claude Kamar au lieu de René Angélil, Anglomard au lieu d’Adhémar, sans oublier Jean-Bobin Dieu pour désigner un des frères de la star. JEAN-BOBIN, PUTAIN.
Ce choc encaissé, enchaînons avec un deuxième red flag artistique : l’idée d’avoir juxtaposé la face de Valérie Lemercier à Aline de l’enfance à la vie adulte. Ça a l’air très chelou et de mauvais goût, mais ça a le mérite de nous envoyer un message clair : ce film ne sera pas un biopic traditionnel à la Walk the Line.
D’ailleurs, comme le faisait remarquer avec justesse Marc Cassivi dans une chronique publiée sur l’autre ligne, Valérie Lemercier n’avait aucune prétention de reproduire fidèlement la vie de Céline, faisant un parallèle avec le Last Days de Gus Van Sant (inspiré des derniers jours de Kurt Cobain) ou encore I’m Not There de Todd Haynes.
Au moment où je me préparais à lancer mon popcorn en criant « Chouuuu ! Remboursez ! », quelque chose que je n’avais pas prévu s’est invité à la fête : l’émotion.
Au mariage de je sais plus quel frère ou soeur, le talent musical de la petite dernière Aline est révélé pendant une interprétation de Mamy Blue. Tout déboule à ce moment. Jeannette (efficace Pascale Desrochers) envoie un démo à l’imprésario Guy-Claude Kamar (Sylvain Marcel, finalement crédible), qui n’en revient juste pas de tant de talent chez une fillette de douze ans. Il la convoque en audition et Aline se pointe sans même prendre le temps d’enlever ses patins (?!). Les gens dans la salle rigolent un bon coup, c’est ce qui compte.
Puis, au moment où je me préparais à lancer mon popcorn en criant « Chouuuu ! Remboursez ! », quelque chose que je n’avais pas prévu s’est invité à la fête : l’émotion.
Oui, lorsque la petite Aline interprète Tellement j’ai d’amour pour toi lors de son premier passage à la télévision, on s’émeut de voir son père Anglomard les yeux pleins d’eau dans son canapé. Je n’avais pas eu les boules comme ça depuis la réouverture des karaokés.
Ça vaut ce que ça vaut, mais le jeu de Roc Lafortune en papa ému et dépassé par l’ascension fulgurante de sa fille est ma révélation de la soirée. J’avais envie qu’il me prenne dans ses bras en refoulant des larmes d’homme qui pleurs pas pour me dire : « Je suis fier de toi Hugo, cet article est du pur génie. »
On décroche plus tard à la surutilisation du mot « Vôtican » au lieu de Vatican, sous prétexte que la famille Dieu est trop bêbête pour prononcer le village du pape comme tout le monde.
D’ailleurs, autre surprise, je réalise à la dure que l’accent français de Aline et de certains personnages ne me fait pas tant saigner les oreilles. Peut-être parce que j’ai entendu mille fois Céline parler à la française dans des entrevues.
« Moi, ça me tape ! », tranche durement Laïma, qui a du mal à passer par-dessus cette barrière linguistique, en plus de garder pour elle seule notre popcorn commun.
Même les gargouillements de mon ventre affamé criant aussi fort que la chorale dans It’s All Coming Back to Me Now la laissent de marbre.
Enfin.
L’histoire culmine rapidement vers la romance entre Aline et son gérant, qui sera par la suite le socle du récit.
Assister aux premiers émois amoureux entre Aline et son imprésario est d’ailleurs un brin gênant. On a beau avoir superposé une face de quinquagénaire à une fillette d’âge mineure, cette tension sexuelle pas très woke dérange et rappelle que les presque trente ans de différence entre la version originale et son gérant devaient avoir l’air louche à l’époque. Dans une relation de pouvoir en plus.
« J’aurais préféré que vous auriez sauté dessus avec votre grosse brioche et qu’elle aurait pas aimé ça ! », peste d’ailleurs avec une syntaxe douteuse la maman d’Aline, furieuse au départ que sa princesse opte pour un vieux divorcé plutôt qu’un jeune prince.
L’amour triomphe évidemment et Guy-Claude se retrouve dans le lit d’une Aline éperdument éprise, qui bad trip quand son gérant n’est pas dans son champ de vision.
« Alors, si c’est ça que tu veux, c’est moi qui serai le premier », dit Guy-Claude en se faufilant dans les couvertes.
« Le premier et le seul », répond Aline.
Voici en exclusivité la réaction de Laïma à cet échange.
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Ensuite, rien au monde ne me préparait pour une demande en mariage dans un cornet de crème glacée, RIEN.
La fin du film est consacrée au désir d’Aline d’avoir des enfants et à ses tourments avec la conciliation famille/star-internationale-en-résidence-à-Vegas.
« Siffleux ! », s’exclame out of the blue un animateur d’une émission à potins devant des images aériennes au-dessus du manoir d’Aline au Nevada.
« Siffleux !? Personne ne dit jamais ça !?! », plaide avec justesse Laïma.
C’est vrai qu’on dit surtout « sirop d’érable ! » ou « marmotte ! » chez nous au Canada
On perd un peu le focus vers la fin, jusqu’à une finale réussie entourant les derniers moments de Guy-Claude, alité, qui communique à Aline sur scène par le truchement d’une oreillette.
« Après le refrain, fais-moi ton petit lapin crétin ? », susurre-t-il de sa voix angélilesque, aussitôt exaucée.
La finale est quand même grandiose, avec une Aline anonyme déambulant pour la première fois de sa vie dans les rues de Vegas sur Going To a Town de Rufus Wainwright. On la sent étrangement libre et émancipée. #FreeAline
Morale de l’histoire : pas besoin de chercher un scandale. Le film est sympathique, bienveillant, et Valérie Lemercier s’est offert un beau trip qu’elle a voulu partager avec nous. On sent son amour pour l’originale et les bons sentiments derrière sa démarche.
Parfois, un film, c’est aussi juste un film, sans prétention, sans malice, sans psychodrame.
À la sortie du cinéma, Laïma était attendue ailleurs, donc je ne sais même pas quelle note elle donne au film sur dix. Les gens à qui j’ai demandé devant la porte semblaient ravis.
Je suis rentré chez moi en fredonnant On ne change pas.