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« Alerte Rouge » : un triomphal hommage culturel

Un jour, l'album de 4*Town remportera un Grammy.

Par
Malia Kounkou
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Il est vrai que le terme « chef-d’oeuvre » est souvent utilisé à tort et à travers, de nos jours. Mais l’employer pour définir Alerte Rouge ne relèverait ni de l’exagération ni de la flatterie. Juste du simple fait scientifique.

Sorti la seconde semaine de mars sur Disney+, ce film d’animation Pixar de la réalisatrice Domee Shi suit la vie de Meili Lee, une Sino-Canadienne vive d’esprit de treize ans dans un Toronto du début des années 2000. Son quotidien se partage entre son trio fusionnel d’amies (Abby, Miriam et Priya), sa scolarité impeccable, le temple qu’elle entretient avec sa famille et les très hautes attentes de sa mère envers elle. Sans bien sûr oublier 4*Town, l’irrésistible boysband qui fait chavirer les coeurs adolescents de Mei et ses copines.

Jusqu’ici, Mei pense vivre la vie normale de toute jeune fille de son âge. Sauf que voilà : un beau matin, elle se réveille… dans la peau d’un panda roux géant. Croyant d’abord à une hallucination, elle réalise avec effroi que sa transformation est non seulement réelle, mais se manifeste dès lors qu’elle éprouve une émotion vive, positive comme négative. Toutes les femmes de son arbre généalogique ont eu à affronter cette épreuve et dompter leur panda, sa propre mère y comprise. Mei y parviendra-t-elle à son tour ?

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Une question à laquelle Alerte Rouge répond avec poésie et justesse – n’en déplaise aux détracteurs de ce film.

Hein ? Quoi ? Des détracteurs pour un film Disney ?

Hélas, il faut bien de tout pour faire un monde. Et dans ce monde-là, des plaintes toutes plus surprenantes les unes que les autres ont immédiatement plu sur Alerte Rouge.

Étrange, donc, que de tous les films d’animation visionnés en 26 années de vie, Alerte Rouge soit celui qui ait le plus résonné en moi.

Lorsqu’on ne reprochera pas à Mei son occasionnelle désobéissance parentale (car tou.te.s les adolescent.e.s sont dociles, c’est bien connu…), on qualifiera tout bonnement de fille « insupportable » et « odieuse » cette héroïne dont le seul péché est de détenir une personnalité. Et que dire de l’outrage provoqué par la mention de ses règles ! Parler d’un sujet si tabou dans un film Disney, rendez-vous compte ! Le mot « règle » ne devrait désigner qu’un instrument géométrique, et puis c’est tout.

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Le commentaire le plus absurde à mes yeux reste celui du critique Sean O’Connell, qui qualifiera Alerte Rouge de « limitatif », n’estimant le film pertinent que pour sa réalisatrice et la communauté sino-canadienne. « Certains films Pixar sont faits pour un auditoire universel. Alerte Rouge ne l’est pas. […] C’était épuisant », soupire-t-il dans un article sur Cinema Blend rapidement supprimé. Après tout, il est vrai qu’un rat parisien expert en ratatouille est bien plus réaliste qu’une adolescente naviguant sa puberté.

Étrange, donc, que de tous les films d’animation visionnés en 26 années de vie, Alerte Rouge soit celui qui ait le plus résonné en moi. Je n’ai pas vécu à Toronto dans les années 2000 au sein d’une famille asiatique – tout l’opposé, à vrai dire. Et pourtant, Mei représente sur bien des points l’adolescente que je ne cesserai jamais d’être.

Un éloge à la culture fan

J’ai vu le jour sous le règne des Destiny’s Child, acheté les premiers albums solo de Justin Timberlake, connu ma phase (obligatoire) des One Direction et pour enfin atterrir dans l’univers violet de BTS. Autrement dit, j’ai passé une bonne partie de ma vie à être fan. Et s’il y a bien une chose que Alerte Rouge comprend sans exagérer ni infantiliser, c’est tout ce que ce statut implique.

Rares sont les films rendant hommage à l’impressionnante débrouillardise des jeunes fans bouillonnant.e.s de détermination.

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Être fan, c’est vivre intensément sa passion. Et bien souvent, les langues moqueuses considèrent cette passion comme de « l’hystérie » – surtout lorsqu’elle est vécue par des jeunes filles. Or, il ne s’agit ici que de la plus pure forme d’amour qui soit : celle dans laquelle on s’abandonne complètement et qui, en retour, nous prodigue une raison quotidienne d’aller de l’avant. C’est pourquoi, dans un moment de peine, les amies de Mei entonneront les paroles du boysband 4*Town jusqu’à ce que l’adolescente se sente suffisamment réconfortée. Car aimer un.e artiste équivaut souvent à en faire son support émotionnel.

Être fan, c’est être organisé.e, surtout financièrement. Lorsqu’un concert est annoncé, tous les cerveaux établissent la même check-list : trouver un job, économiser ses salaires, acheter ses places, payer l’aller-retour, réserver l’hôtel et, si l’on est mineur.e, trouver chez quel.le ami.e feindre une soirée pyjama. (Attention, je ne défends pas ce comportement… mais il existe.) Dans Alerte Rouge, on voit Mei établir avec ses amies un astucieux stratagème pour cocher toutes ces cases sans éveiller les soupçons de sa mère. Rares sont les films rendant hommage à l’impressionnante débrouillardise des jeunes fans bouillonnant.e.s de détermination.

Voir un environnement à l’image du monde réel est, je dois dire, extrêmement rafraichissant.

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Être fan, c’est aussi faire preuve de créativité. Après tout, consommer de l’art pousse aussi à en créer, ce qui en prolonge sa durée de vie. Et qui, ici, n’a jamais admiré de fan-art ou lu de fanfictions, mmh ? Soyons honnêtes. La sortie du court-métrage a d’ailleurs provoqué une vague hilarante de tweets d’internautes confessant d’anciennes activités de fans qu’ils et elles pensaient emporter dans la tombe. Comme quoi, Alerte Rouge peut se montrer fédérateur.

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Des représentations EMPLIES de justesse

Un autre aspect plaisant du film est le large éventail de représentations qu’il couvre. Certaines ne sont que des clins d’oeil de 0,3 seconde, comme Priya qui danse avec une autre fille pendant que ses amies l’encouragent à coups de « Get it, girl ! ». Mais lorsqu’on connaît les relations houleuses de Disney avec la non-hétérosexualité, on applaudit ce pas de géant.

D’autres sont nettement plus visibles : la diversité ethnique du groupe de Mei, le fait que Miriam et elle ne soient pas traditionnellement minces sans que cela ne devienne une punchline, ou encore le turban du surveillant sikh de leur école. Voir un environnement à l’image du monde réel est, je dois dire, extrêmement rafraichissant.

Peut-être que la véritable question à se poser : comment est-ce que moi, je me vois ?

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La représentation dans laquelle je me suis le plus reconnue, cependant, est celle de l’obligation de réussite qui, d’une famille racisée à l’autre, reste la même. Dans l’exigence de perfection que la mère de Mei cultive chez sa fille, j’ai retrouvé cet éternel mantra nous enseignant de travailler quatre fois plus que les autres pour briller autant que nos pairs occidentaux et devenir ensuite soit médecin, soit avocat.e. Mais je comprends aussi ces parents qui n’exercent finalement qu’une pression transmise par une première génération d’immigré.e.s apeuré.e.s à l’idée que leurs sacrifices soient vains.

On se retrouve alors pris entre deux feux : celui d’être comme tou.te.s les ados que l’on voit ou bien celui de devenir ce que nos parents voient en nous. Mais peut-être que l’enjeu ne se situe pas qu’ici. Peut-être que la véritable question à se poser : comment est-ce que moi je me vois ?

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Libérer son propre panda

Et pour se voir, un seul miroir ne suffit pas. C’est toute une plongée à l’intérieur de soi qu’il faut effectuer pour aller à la rencontre de soi-même. Une mission quasiment impossible lorsqu’on a treize ans, que notre corps change sans notre aval et que tout, de nos choix à notre personnalité en passant par nos goûts vestimentaires, est dicté par des influences extérieures. Comment trouver une constance dans ce chaos ?

Le panda est une métaphore émancipatrice qui ne se limite pas qu’à une population d’un quartier spécifique de Toronto.

C’est ici qu’intervient le fameux panda roux au centre de l’histoire. En ne se manifestant qu’après des pics de joie, de fureur ou d’anxiété, il rappelle à Mei ce qui lui appartiendra toujours, qu’importent les tiraillements existentiels : ses émotions. Pures et libératrices, elles aideront l’adolescente à petit à petit distinguer ce qu’elle désire pour elle-même et ce qu’elle ne veut plus se faire dicter par les autres.

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Le panda est une métaphore émancipatrice qui ne se limite pas qu’à une population d’un quartier spécifique de Toronto. Car si, dans ses détails narratifs, Alerte Rouge mettra principalement en lumière des communautés culturelles peu ou mal représentées (et heureusement), son appel à l’acceptation de soi, lui, demeure universel.