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« Aftersun » : le plus beau film de Cannes 2022

Présenté à la Semaine de la Critique, ce film de Charlotte Wells est une merveille intimiste et bouleversante.

Par
Anaïs Bordages
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C’était la claque à laquelle on ne s’attendait pas. Aftersun, premier long métrage de Charlotte Wells, est un film doux et déchirant, qui révèle son ampleur graduellement et finit par nous bouleverser. Sélectionné à la Semaine de la Critique 2022, il a reçu le prix French Touch, qui « a pour objectif de mettre en lumière la créativité et l’audace d’un geste de cinéma unique ».

Difficile de « raconter » ce film intimiste, tant son intrigue est feutrée et ses enjeux intérieurs. Aftersun suit les vacances à l’hôtel d’un jeune père célibataire et de sa fille. Elle, 11 ans, est au précipice de l’adolescence, et se questionne sur sa sexualité naissante. Lui, 30 ans, semble atteint d’une profonde mélancolie, qui se met parfois en travers des moments simples qu’il partage avec sa fille. Entre ennui, baignade, parties de billard et petites disputes, on observe la relation tendre des deux personnages, tout en glanant progressivement des informations sur leurs doutes et leurs blessures respectives. Le duo porte tout le film, et la complicité entre Paul Mescal et la jeune Francesca Corio crève l’écran.

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Inspiré par l’enfance de la cinéaste, le film se situe dans les années 1990 et déploie ainsi une douce nostalgie, avec son club de vacances désuet, ses home-video et sa bande-son rétro (La Macarena, Life de Des’ree, ou encore Losing my religion de REM, dans une scène de karaoké qui risque de vous anéantir). Les grandes lignes de l’histoire sont simples, voire universelles, mais le regard singulier de la réalisatrice, et les touches personnelles qu’elle apporte au récit, donnent le sentiment d’assister à quelque chose de rare.

Un regard à suivre

Quant à la mise en scène de Charlotte Wells, elle impressionne par sa maîtrise et son assurance. Le film est parcouru de plans mémorables, qui surprennent par leur patience: quand les personnages dorment, ou sont pensifs, la caméra zoome, s’attarde sur eux, et nous permet de les scruter si longtemps que l’on commence à imaginer ce qui les préoccupe. Le tout en restant à distance, avec une pudeur remarquable: on les aperçoit de dos, derrière une vitre, ou dans le reflet d’un miroir.

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Qu’il soit en pleine séance de taï chi, en train de fumer une cigarette sur son balcon ou de danser tout seul, le personnage de Paul Mescal est particulièrement fascinant. Révélé par la série britannique Normal People, l’acteur irlandais révèle une nouvelle fois sa capacité à transcender un script centré sur l’intime et les non-dits. Sans sur-expliquer, Charlotte Wells crée un personnage d’une grande vulnérabilité, qui semble porter en lui tout le poids du monde, et nous émeut d’un simple regard.

Si le film manie superbement la mélancolie, il est aussi très drôle. Quant au montage, subtilement déstabilisant, il entremêle et superpose les dialogues de plusieurs scènes, ou plusieurs temporalités, et crée des associations subliminales qui permettent encore plus de s’immiscer dans l’état d’esprit des personnages. Avec Aftersun, on a le sentiment d’assister à la révélation d’un immense talent, que l’on espère suivre pour les quarante prochaines années.