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Afghanistan : trop peur pour aller à l’école
Ce récit provient des ateliers d’écriture animés par les journalistes de la Zone d’Expression Prioritaire (la ZEP), un média qui accompagne l’expression des jeunes pour qu’ils et elles se racontent en témoignant de leur quotidien et de toute l’actualité qui les concerne.
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Les talibans ne laissent pas les filles sortir. Pas sans hijab. Pas sans être accompagnées d’un homme. Si elles sortent, ils les tapent ou les harcèlent. L’été dernier, une fin d’après-midi, j’ai vu un monsieur qui tapait sa femme à Commerce, dans le centre-ville de Nantes. J’ai ressenti à ce moment le même sentiment que j’avais ressenti en Afghanistan.
Je suis née là-bas. J’ai grandi à Kaboul jusqu’à mes 7 ou mes 8 ans. Quand j’étais enfant, mon frère allait parfois à l’école, mais pas moi. J’ai eu envie d’y aller et mes parents auraient bien voulu, même si je crois qu’ils avaient peur des réactions des voisins et de certains amis. Pour la plupart des adultes, ça ne servait à rien que les filles aillent à l’école, puisqu’elles ne travailleraient pas plus tard. Les dames comme les hommes avaient un avis à ce sujet.
Une de mes cousines disait tout le temps qu’elle voulait aller à l’école, et tout le monde lui disait toujours : « Pourquoi tu veux y aller ? Tu es grande, tu n’as pas besoin de ça. » Elle avait à peu près 10 ans. J’avais peur que les gens me traitent comme ma cousine, alors je n’y allais pas.
J’ai quand même fini par y aller un jour : ça s’est bien passé. Il y avait des filles que je connaissais qui m’ont dit bienvenue, les professeurs étaient très gentils. Le cours pour les filles était le matin. Les garçons, eux, venaient en classe l’après-midi. Malgré tout, j’avais peur qu’on parle dans mon dos. J’avais peur qu’on dise que je n’allais en classe que pour parler à des garçons – même si ma classe n’était pas mixte.
Les talibans nous surveillent
Mes parents m’encourageaient, mais au bout de dix jours, j’ai arrêté. J’avais trop peur. Une de mes copines avait parlé avec des garçons : j’étais à côté d’elle à ce moment-là, une autre fille nous regardait. Ma copine s’est tout de suite cachée. La fille a cru que c’était moi qui avais voulu leur parler. Elle m’a dit qu’elle allait le dire au professeur principal. Je me suis défendue. Je lui ai dit que ce n’était pas moi, que c’était une autre personne, mais je n’ai pas balancé ma copine. Elle a fait du chantage : elle m’a dit qu’elle ne me dénoncerait pas si je portais ses cahiers et son sac pendant une journée. Je n’ai pas accepté, et l’un des deux garçons qui avaient parlé à ma copine est intervenu pour me défendre. Après ça, la fille est partie en pleurant, et le garçon m’a dit de ne pas m’inquiéter, qu’elle n’allait pas me dénoncer.
Ce jour-là, je suis rentrée chez moi directement. Je ne suis plus revenue le lendemain ni les jours suivants. J’avais pleuré toute la nuit, j’avais eu très peur. Ma copine m’a dit par message que tout allait bien et que je n’avais pas été dénoncée ; elle me demandait de revenir à l’école pour être son amie, mais je n’ai pas voulu. J’avais trop peur que ça se répète. Je n’en ai pas parlé à mes parents, juste à ma grande sœur. Elle devait partir avec ma mère pour aller voir ma grand-mère dans une ville voisine. Finalement, elle est restée à la maison et m’a laissée partir à sa place pour que je puisse me détendre et oublier ce qui s’était passé.
Dans ma nouvelle classe en France
Maintenant, je me dis que j’aurais dû retourner à l’école, pour continuer d’apprendre. Je suis arrivée en France il y a quatre ans. J’avais 9 ans environ. Pendant un mois, on a été dans un hôtel en attendant de trouver un logement. Dès qu’on en a eu un, j’ai été à l’école qui était juste à côté. J’étais trop contente. Mais c’était difficile, j’avais peur d’avoir du retard par rapport aux autres enfants. Le premier professeur qui m’a accueilli a été très gentil. Même maintenant, quand il me recroise, il me dit bonjour, il est content de voir mes progrès en français.
Quelques jours après mon arrivée, je me suis faite harceler par des garçons qui se moquaient de moi en disant que je ne savais pas lire. À cette époque, je ne comprenais rien à ce qu’ils disaient, je savais juste dire bonjour. C’est mon prof et les autres élèves de ma classe, qui ont vu ce qui se passait et qui sont venus tout de suite pour m’aider et punir les garçons. J’étais trop contente. C’était la première fois qu’on faisait ça pour moi. C’est grâce à eux que je sais parler français maintenant.
Nazla, 13 ans, collégienne, Nantes