Hier, ma sœur m’envoie un lien vers un article du magazine Neon avec le commentaire suivant: “Il t’était pas tombé dessus le gros porc ?”
Alors que je balaie l’article en diagonale, je sais instantanément de qui il s’agit. Aucun doute possible, j’ai bien eu affaire au pathétique personnage décrit dans l’enquête menée par Neon.
Un prédateur sexuel agissant toujours avec le même mode opératoire afin d’attirer des jeunes femmes, souvent fraîchement majeures, dans son immonde garçonnière de la rue d’Orsel à Montmartre. Car, oui, je me souviens parfaitement de la rue, de l’immeuble, de sa cage d’escalier, de l’appartement. Un lieu aux antipodes du studio qu’on s’imagine lorsqu’un photographe professionnel nous propose, à coups de flatteries, de nous faire poser pour des photos artistiques. A 18 ans, on est souvent un peu naïf, n’est-ce pas?
Prédation, agressions sexuelles, viols: les nombreux faits décrits par les différents témoins de l’enquête de Neon s’étalent de 2009 à 2020, tandis que l’événement auquel ma sœur fait référence date de 2004 ou 2005. Je n’avais pas vingt ans.
Cela fait donc au moins 15 ans et probablement bien plus que ce violeur sévit en toute impunité.
Lorsque j’ai croisé sa route, j’ai eu la chance de ne pas être sidérée au point de me laisser faire et ai réussi à fuir avant que la situation ne dégénère. Ma pudeur et ma gêne ont eu raison des velléités perverses de ce triste personnage au moment où, dégoulinant de concupiscence, il insista pour que je retire mon soutien-gorge et lui dévoile ma poitrine afin qu’il m’évalue. Cela faisait quelques minutes à peine que le “grand photographe professionnel” m’avait invitée à passer le seuil de sa porte qu’il voulait que je m’effeuille. J’ai dit que je n’étais pas intéressée et suis partie.
Rien de bien méchant, me direz vous.
Sauf que, pendant des années, les occasions de recroiser ce type qui vivait à quelques rues de chez moi, n’ont pas manqué. Qu’à chaque fois, pétrie de honte, j’étais terrorisée qu’il me reconnaisse. Que je me suis sentie vraiment très stupide d’avoir été victime d’une telle mésaventure, de ma propre vanité, de mes propres insécurités. Que quelques années plus tard, il m’alpagua de nouveau avec les mêmes phrases toutes faites, dégainant sa carte moisie. Comme l’ont noté d’autres témoins parmi les commentaires de l’article, le type n’a aucune mémoire visuelle, un comble pour un soi-disant photographe.
Une chose est sûre, si j’ai compris à ce moment-là que Wilfrid A. usait toujours des mêmes ficelles, en bon bonimenteur, et avait très probablement fait le coup à de nombreuses filles, au lieu de me sentir solidaire et révoltée, je me suis sentie encore plus honteuse de m’être laissée embobiner. On était encore loin de la libération de la parole à laquelle on assiste depuis l’affaire Weinstein. La honte n’avait certainement pas changé de camp.
Entre ma rencontre avec le photographe et le mouvement #metoo, comme de nombreuses jeunes femmes, j’ai subi plusieurs agressions sexuelles, certaines qu’on pourrait techniquement qualifier de viols, et un grand nombre de mauvaises expériences qui se situent dans la désormais célèbre “zone grise”. J’en suis sortie avec une estime de moi longtemps meurtrie, longtemps résignée à accepter cet état de fait: être une femme signifie être exposée au risque d’être violée, agressée et humiliée. Résiliente et relativisant toujours ce qui m’était arrivé. Me pensant super solide, parce qu’après tout, j’allais bien, je ne faisais pas de cauchemar toutes les nuits et j’estimais que ce qu’on avait cru me prendre n’avait rien à voir avec qui j’étais en tant que personne.
Mais lorsque ma sœur m’a envoyé cet article, j’ai passé la nuit à cogiter. A tracer des lignes entre ces différents souvenirs que je croyais bien enterrés. A me dire que quelque chose était réellement en train d’avoir lieu et qu’avec un peu de chance, mes enfants grandiront dans un monde où personne ne sera plus résigné devant ce genre d’abus.
Je me suis donc manifestée afin d’offrir mon témoignage s’il pouvait venir renforcer celui des victimes. Et je vous invite à faire de même auprès de @clitrevolution sur Instagram si vous avez un témoignage à partager sur cette affaire. Les temps changent et l’union fait la force.