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Affaire Epstein et procès Ghislaine Maxwell : pourquoi un tel désintérêt des médias ?

L’un des plus gros scandales de trafics sexuels sur mineurs est passé presque inaperçu en France.

Par
Audrey Parmentier
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*Cet article a été publié initialement en 2021. Nous l’avons mis à jour alors que l’affaire Epstein refait surface avec la publication à venir d’une liste de noms de personnalités liés au financier américain. Les médias français étaient restés assez discrets sur le procès de Ghislaine Maxwell. C’était pourtant l’occasion de remettre sur la table un trafic sexuel sur mineurs d’envergure internationale.*

L’un des plus gros scandales de trafics sexuels sur mineurs est passé presque inaperçu en France. Le constat est le suivant : le procès Ghislaine Maxwell n’a pas fait les gros titres des journaux dans l’Hexagone. Alors que le tribunal fédéral de Manhattan devait l’accueillir pour six semaines, l’un des procès le plus emblématiques de l’ère #MeToo a été écourté de moitié. Après trois semaines de débats, le jury a condamné l’héritière à 20 ans de prison pour trafic sexuel de jeunes mineures. Les douze jurés l’ont reconnue coupable d’avoir fourni des jeunes filles mineures à Jeffrey Epstein – un financier multimillionnaire de la jet-set américaine qui se serait suicidé en 2019 – afin qu’il les exploite sexuellement.

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Les faits incriminés remontent à 1994-2004. Quatre femmes – “Jane”, “Kate”, “Carolyn” et Annie Farmer, 42 ans – la seule à s’exprimer sans pseudonyme – ont témoigné devant le tribunal fédéral de Manhattan. Elles racontent leur vie abîmée par des relations sexuelles forcées avec Epstein, lorsqu’elles étaient mineures – deux étaient âgées de 14 ans à l’époque. Souvent, Ghislaine Maxwell était présente. Le même scénario est déroulé devant la justice américaine : une première rencontre se tenait avec la riche héritière qui proposait à ces filles de 14 à 17 ans, de voir Epstein sous le prétexte de les aider financièrement. “Carolyn”, a déclaré qu’elle était habituellement payée 300 dollars après chaque rencontre sexuelle avec Jeffrey Epstein. Ghislaine Maxwell donnait l’argent. L’affaire criminelle est importante : des dizaines de victimes pourraient être concernées. Près de 80 noms de jeunes filles ont été retrouvés dans le « petit carnet noir » de Jeffrey Epstein, classés par lieu de résidence.

L’impression d’un procès par procuration

Malgré l’ampleur de l’affaire Epstein, certains médias ont fait le choix du service minimum concernant la couverture du procès Maxwell. A l’instar du quotidien Le Monde qui a mis deux article en ligne : le 30 novembre, le correspondant sur place décrit l’ouverture du procès et trois jours plus tard une dépêche AFP est publiée pour relayer les propos de l’ancien majordome qui dépeint Ghislaine Maxwell comme “maîtresse de maison” du financier, chargée de préserver le secret de ses crimes sexuels. Le sujet ne mobilise pas non plus la rédaction de Libération : trois articles à la fin du mois de novembre ont été publiés dont un titré « Affaire Epstein : Ghislaine Maxwell, accusée de substitution. » Soit, la rhétorique employée par les avocats et les proches de l’accusé qui dénoncent l’acharnement du gouvernement américain. La première raison de la faible couverture du procès : l’impression qu’il s’agit d’un procès par procuration puisque l’agresseur principal est mort.

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Pourtant, parmi les six chefs d’accusation de Ghislaine Maxwell, celui de « trafic sexuel de mineurs » a été ajouté à la procédure au printemps dernier. « Ce procès est intéressant car il met une femme en œuvre dans un système qui est organisé par des hommes et c’est important d’en parler. Bien sûr que les prédateurs sont des hommes mais il y a des femmes qui travaillent avec eux », analyse Claudine Cordani, ex-journaliste et autrice de La justice dans la peau. Dans certains papiers, un rapport de subordination est sous-entendu entre Jeffrey Epstein et l’héritière anglaise comme l’indique le titre de cet article dans Madame Le Figaro, le 29 novembre : « Ghislaine Maxwell, la trouble héritière anglaise qui a vendu son âme à Jeffrey Epstein ». Pour illustrer ce papier, la photo choisie est celle de l’accusée à l’âge de 30 ans, la veille des funérailles de son père Robert Maxwell, le 9 novembre 1991 à Jérusalem.

« On est encore dans le déni concernant ces affaires »

Dans certains papiers, la fascination pour les protagonistes est palpable. En témoigne, l’un des papiers du correspondant au Figaro : le « procès de Ghislaine Maxwell possède tous les ingrédients d’un bon feuilleton télévisé: des abus sexuels sur mineures, de l’argent et des célébrités, le tout assaisonné de quelques thèses complotistes. » A noter que Le Figaro figure parmi les quotidiens ayant le plus couvert le procès avec quatorze articles mélangeant dépêche AFP et papier du correspondant sur place. Quel que soit le média, plusieurs articles s’attardent sur la personnalité de Ghislaine Maxwell – quitte à romantiser son parcours. « De l’héritière à la prédatrice, plongée dans les ténèbres d’un destin hors norme », peut-on lire dans le magazine féminin Elle, le 16 décembre. A titre de comparaison, le procès est relayé régulièrement dans la presse américaine, même s’il ne fait pas la une. « Le fait que les témoignages des victimes soient anonymes, que Maxwell elle-même ne prenne pas la parole pendant le procès fait aussi qu’il y a moins d’éléments exploitables pour une presse avide de détails sordides, de scoops et de petites phrases », explique Anaïs Le Fèvre-Berthelot, maîtresse de Conférences en études états-uniennes

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Mais selon Claudine Cordani, on pourrait aussi y voir une exception française concernant le traitement de la pédocriminalité. « Le procès de Ghislaine Maxwell n’a pas été largement médiatisé mais ce n’est pas étonnant pour moi car en France, on est encore dans le déni concernant ces affaires. La preuve avec notre ministre de l’Intérieur, Gerald Darmanin, accusé de viol qui a quand même été nommé à ce poste. » D’autant que l’affaire Epstein-Maxwell possède des ramifications dans l’Hexagone.

Le procès de Ghislaine Maxwell aurait pu être l’occasion de revenir sur Jean-Luc Brunel, ancien agent de mannequin, deux fois mis en examen. Le septuagénaire est soupçonné d’avoir joué le rôle de rabatteur pour Jeffrey Epstein et accusé de viols par plusieurs anciens top modèles. « Il faut enlever ses œillères : oui il y a des personnes qui organisent des trafics d’enfants. Ils peuvent le faire pour des réseaux ou leur propre perversion. C’est dommage qu’on en parle pas plus que ça, notamment à titre préventif », conclut Claudine Cordiani.

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