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Affaire Amber Heard – Johnny Depp : autopsie succincte d’un autre cas banal

Retour à une ère pré #MeToo.

Par
Vanessa Gauvin-Brodeur
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J’ignore ce qui me démoralise le plus dans le verdict rendu mercredi à la suite des six semaines de procès opposant Amber Heard à Johnny Depp.

J’ignore si dans l’ironie du cas qui se base sur la diffamation, l’univers tout entier se rend compte du traitement odieux qui fut réservé à Heard sur les réseaux sociaux, grands magiciens de l’image et sa manipulation, glorifiant Depp envoyant au ralenti des baisers à la foule, vis-à-vis les effets zooms peu glorieux sur le visage déconfit de Heard tandis que le jury TikTok l’accusait de cacher de la cocaïne dans son mouchoir.

J’ignore si c’est le retour en arrière, nous rappelant une ère pré #MeToo, ce moment charnière dans l’existence des Femmes (oui, des Femmes en très grande majorité), nous portant à croire l’espace d’un instant que de dénoncer nos agresseurs ne serait plus synonyme de notre propre mise en examen.

J’ignore si c’est (encore une fois) l’insolence du système judiciaire qui assujettit les femmes au fardeau de la preuve face à leur agresseur lors d’audiences imitant les cirques publics d’un Moyen-Âge très prolifique en buchers de sorcières.

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J’ignore si c’est le nombre démoralisant de mes amies ayant dû hier matin faire face à la violence inouïe des publications abjectes de leur agresseur célébrant leur ‘’victoire’’, feignant durant tout ce temps la réflexion et la réévaluation des gestes qu’ils avaient commis.

Je l’ignore….

Lorsque le procès Heard c. Depp a débuté, je m’étais promis de ne pas y porter attention. Quel était l’intérêt à accorder à ces multimillionnaires alors qu’en Europe (et ailleurs soit dit en passant) la guerre fait rage, que le climat nous fait fondre, et que l’avortement devient un crime ?

Mais finalement, au-delà de son statut hollywoodien, le cas Heard/Depp est un cas d’une banalité outrageante : c’est le cas d’une femme punie pour avoir osé parler.

Car rappelons les faits, Johnny Depp est celui ayant poursuivi Amber Heard – et non l’inverse – Heard répliquant alors avec une contre-poursuite.

Une femme qui, sans le nommer, mentionne son agresseur au sein d’un texte analysant entre autres la protection sociale dont bénéficient les hommes accusés d’abus (quelle ironie), texte publié de pleine conscience par un quotidien ayant remporté 69 prix Pulitzer, à la suite duquel l’agresseur s’est lui-même identifié. Non pas pour confesser ou réparer, non, mais pour obtenir une justice trop proche de la vengeance pour qu’on soit dupés. Une vengeance qui nous rappelle que malgré ce qu’on nous fait miroiter depuis 2017, le mouvement #MeToo semble n’être qu’un mirage, et que malgré la preuve accablante soulevée lors du procès, la voix d’une femme s’exprimant en trois phrases sera gommée par une claque de 15 millions de dollars. Une vraie bonne leçon qu’elle aura reçue celle-là, comme on dit.

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C’est une claque monétaire qui nous rappelle néanmoins que les vraies, celles qui nous laissent le goût du métal en bouche fait toujours un nombre abominable de victimes.

Une claque qui bien qu’elle ne soit pas physique, fait trembler de peur toutes celles qui ont récemment osé pointer du doigt un agresseur – physique, sexuel ou psychologique – même si on sait que 80 à 90% des assaillants ne seront jamais dénoncés. De quoi se demander si on n’atteindra pas le 100% après cet avertissement très médiatisé.

Au détour d’une conversation sur le sujet, on m’expliquait que ‘’la manipulation’’ d’Amber Heard « entache la parole des victimes de la véritable violence domestique ». Les véritables victimes ? Est-ce qu’on parle ici de celles qui ont perdu assez de dents pour pouvoir être ainsi considérées ? J’ignorais que la violence conjugale possédait une échelle hiérarchique permettant aux victimes d’accéder à certains niveaux de vérité. Me suis-je perdue dans Mario Bros, telle une Toadette atteignant la couronne qui me transformera en Peach ? Bravo à celles qui se rendent jusque-là ?

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J’imagine qu’à l’instar de Gilbert Rozon, Depp a lui aussi « vraiment hâte que quelqu’un s’excuse ». Entre temps, ce dernier n’a pas raté l’occasion pour signer un communiqué probablement écrit par un expert en relation publique habillé en costard-cravate, tout ça au moment où il jouait de la guitare en Grande-Bretagne alors que se faisait la lecture du verdict. Les priorités étaient au rendez-vous dans cette affaire d’une importance visiblement capitale pour un si grand acteur.

L’amertume ayant suivi le verdict m’a donné la nausée, même si le tangage créé par la marée de commentaires minables circulant actuellement sur les réseaux sociaux est typique. On ne reste jamais réellement prêt à affronter une tempête quand elle nous rentre dedans.

Même lorsqu’on pense avoir tout vu comme dans le cas Lewinsky-Clinton, un autre grand moment de démonisation féminine, ou lors d’une autre affaire de violence conjugale ultra médiatisée, celle d’O.J Simpson acquitté lui aussi, lire les « merci Johnny ! » affublés d’emojis cœurs sur Facebook est répugnant. La fraternité tout entière des clowns s’est réunie, Donald Trump et son Junior inclus, pour célébrer ce grand jour qui doit probablement prouver une fois de plus notre hystérie farfelue de féministes enragées. Nous vivons dans un monde où ceux qui s’appellent Brett Kavanaugh finissent juges à la cour suprême après tout.

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Dans le fameux éditorial écrit par Amber Heard ayant mené à cette histoire, elle écrivait (traduction libre) : « je suis devenue une figure publique représentant la violence domestique, et j’ai ressenti de plein fouet la colère de notre société envers les femmes qui osent parler. Mes amis et conseillers me disaient qu’en tant qu’actrice, je ne travaillerais plus jamais – que je serais mise sur une liste noire » ,rappelant ainsi la triste réalité de si nombreuses femmes derrière un mouvement drôlement intitulé Silence Breakers – Rose McGowan, preuve concrète en éclaireuse.

Si j’ignore donc ce qui m’a le plus démoralisée à travers cette histoire, j’aimerais néanmoins rappeler une chose : le pourcentage de fausses accusations en rapport avec tous les crimes est de 2 %, et 80% des victimes de violence conjugale ont déclaré ne pas avoir signalé la violence subie aux forces de l’ordre.

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Bien que ces statistiques semblent toutes aussi démoralisantes, elles rappellent l’importance capitale de cette phrase dont la force et la véracité ne doivent pas être affaiblies par l’amnésie collective grandissante depuis les débuts du mouvement #MeToo : on vous croit.

Et tout comme l’écrit si bien Margaret Atwood dans un des livres de La Servante écarlate qui se rapproche chaque jour un peu plus de la réalité que la fiction : « Don’t let the bastards grind you down ».