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Accoucher en nature

Élodie et Bryan ont accueilli leur fille ensemble dans une cabane en forêt.

Par
Hugo Meunier
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« Il était une fois, un bébé né dans les bois », écrivait Élodie au-dessus d’un statut déposé sur une page Facebook d’adeptes de survie en forêt, en présentant bébé Haneva, dont elle venait d’accoucher seule avec son copain au sommet d’une montagne de Charlevoix au Québec.

Cette naissance hors de l’ordinaire – même sur une page d’amateurs et amatrices de camping sauvage – a généré plus de 1000 réactions et des dizaines de commentaires, la plupart extatiques devant cette expérience.

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Comme La Malbaie n’est pas la porte à côté, j’ai passé un coup de fil aux nouveaux parents, afin d’en apprendre plus sur l’insolite accouchement.

« Je constate que les hommes trouvent ça génial et les femmes sont partagées entre l’admiration ou le scepticisme de ne pas accoucher à l’hôpital par rapport à leur propre expérience », raconte Élodie, qui n’hésiterait pas à refaire la même chose si elle tombait à nouveau enceinte. « Les gens nous trouvent courageux et tout, mais si on avait senti qu’il y avait le moindre risque, on aurait fait autrement. Mais tout s’est fait de manière naturelle et parfaite », assure de son côté Bryan, pendant qu’on entend bébé Haneva gazouiller en retrait.

Avant de raconter sa naissance, un peu de contexte s’impose.

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D’emblée, Élodie souhaite mettre les choses au clair : elle et Bryan ne sont ni des hippies irresponsables ni des mormons. La jeune maman de trente ans est infirmière tandis que son copain dirige Novaserre, une entreprise proposant des appareils pour atteindre l’autonomie alimentaire.

Donner la vie en pleine nature est directement en phase avec le mode de vie et les valeurs du couple, qui a fait l’acquisition d’une terre de 24 hectares en juin dernier en haut du rang Sainte-Mathilde, en haut d’une montagne. Un coup de foudre. « On est tombés amoureux de l’endroit, avec la vue sur le fleuve », résume Élodie, qui a appris sa grossesse au moment où leur terre était encore vierge.

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« On est partis de rien, avec le minimum », enchaîne Bryan, qui a entrepris avec sa conjointe des travaux pour occuper la terre, en louant parallèlement un appartement en « ville » à La Malbaie.

Mais alors qu’Élodie était à peine enceinte, Bryan et elle savaient déjà qu’ils voulaient vivre l’accouchement dans leur coin de paradis. C’est pour ça qu’ils ont commencé à l’aménager, d’abord en transportant en motoneige un gazebo prémonté en bois. Un habitacle contenant un poêle, un lit, un sofa, une cuisine et des toilettes sèches. Il n’y a évidemment pas de wifi, mais le couple a installé des panneaux solaires et des batteries pour alimenter leurs téléphones et autres appareils électroniques.

Pour le reste, Bryan et Élodie ont ouvert un chemin pour couvrir la distance entre leur spot et un stationnement au bas de la montagne, un trajet d’environ un kilomètre abattu en motoneige.

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Élodie, qui a émigré de France en 2018, décrit leur mode de vie de « minimalistes ». « On a toujours été des gens de nature. On a évolué avec ce qu’on avait. On a campé sur cette terre en hiver au début et on en avait marre du matelas gonflable », explique Élodie pour justifier « le luxe » de déposer un gazebo sur la montagne.

« L’idée est de se connecter à un environnement qui se trouvait là avant nous à la base. On aimerait y vivre à plein temps, et on va garder l’appartement en attendant la construction d’un chalet qui deviendra notre chez-nous », renchérit Bryan, un natif de Québec dont l’appel de la nature remonte à l’enfance. « Je partais de Beauport et je roulais longtemps en vélo pour aller pêcher ou juste m’enfoncer dans le bois à Sainte-Brigitte-de-Laval », décrit l’entrepreneur de trente ans, qualifiant le fait de se trouver en forêt de « besoin ».

Même constat chez Élodie, surtout depuis qu’elle a eu le coup de foudre pour sa montagne. « Je me définis comme rat des villes, rat des champs. J’ai vécu dans les Alpes, mais j’ai aussi eu des postes de direction en tailleur », illustre la jeune femme, qui décrit sa quête d’autonomie et d’autosuffisance comme une philosophie de vie.

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Âgée de quatorze jours, bébé Haneva se porte à merveille, assure les parents, convaincus que l’environnement y contribue. « Accueillir un enfant en pleine nature, c’est vraiment différent que de le faire à l’hôpital, où l’environnement est électrique, trop bruyant, trop lumineux. Ici, c’est calme et apaisant. Le bébé est détendu, ne pleure pas et regarde autour de lui les yeux grands ouverts », constate Élodie, qui a décidé de s’offrir ce cadeau après avoir réalisé en suivant une formation d’obstétricienne qu’accoucher à l’hôpital ne l’intéressait pas. Et comme il n’y a aucune sage-femme dans la région, elle a décidé de le faire seule, avec le support de Bryan. « Entre l’hôpital et la forêt, c’était une évidence pour nous deux », assure Élodie, qui était bien préparée grâce à ses connaissances de base en soins infirmiers et ses recherches.

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Accoucher semble déjà une expérience périlleuse dans le confort relatif d’un lit d’hôpital, alors difficile de ne pas craindre le pire dans des conditions aussi austères et sauvages qu’une cabane dans le bois. « Les risques ? On en prend chaque jour quand on prend la voiture. L’hôpital est à sept minutes de la ville et notre gazebo est à quinze minutes du stationnement. On était dans une situation plus avantageuse que des gens qui vivent à plus d’une heure de l’hôpital dans certains villages », souligne Bryan.

De toute façon, après un peu plus de quarante semaines de grossesse, le travail a commencé sur la terre, comme si le destin s’était arrangé pour que la naissance se passe là. Élodie était aux anges, contente de se passer du milieu hospitalier qui l’aurait gavée d’hormones de synthèse ou l’aurait provoquée pour libérer un lit au plus vite. « Le poêle à bois marchait, il y avait de la tisane sur le feu, suffisamment d’eau et de bouffe. On a même mis de la musique et dansé un peu ! », lance Bryan, qui a soutenu sa copine durant les onze heures qu’a duré l’accouchement. « Il m’aidait à me déplacer au besoin, allait me chercher de l’eau et me laissait faire le boulot. Ça s’est bien passé avec de bons exercices de respiration durant les contractions », énumère Élodie, bien contente de s’être passée de la péridurale.

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Haneva est née le 7 février à 19 h. La nature était clémente, puisqu’il faisait zéro dehors et que la cabane semblait flotter au-dessus des nuages, se remémore l’heureuse maman. « Bryan m’a aidée à l’accueillir. On l’a aussitôt enveloppée dans une serviette et installée sur le lit avec des coussins pour faire le peau à peau avec moi », raconte Élodie, encore émue.

Après quelques cris pour libérer ses voies respiratoires, bébé s’est endormi presque instantanément, pendant que le placenta se détachait de lui-même une heure plus tard. « Pour couper le cordon, on a utilisé mes propres ciseaux d’infirmière que j’avais fait stériliser dans l’eau bouillante », ajoute-t-elle.

Le couple a enterré le placenta sur leur terre avec l’intention de faire pousser un arbre au-dessus.

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Le couple est redescendu en ville cinq jours plus tard, d’abord pour présenter le bébé à ses proches. « Les gens nous connaissent tellement bien et savent que notre fille est en très bonnes mains », assure Élodie. Bryan ajoute que sa grand-mère était super fière, elle qui avait vécu un accouchement laborieux en pleine guerre dans un champ de patates.

Les nouveaux parents ont trente jours pour déclarer l’enfant à l’état civil et rédiger l’acte de naissance. Mais il n’y a aucune obligation de se rendre à l’hôpital. Élodie a toutefois tenu à rencontrer une conseillère en allaitement pour des questions liées à l’allaitement. Elle a rencontré là-bas une personne déboussolée par cette naissance inusitée, au point de faire un signalement à la DPJ (ndlr, équivalent de la DDASS).

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Le couple a dû rencontrer une intervenante, consciente que vivre en marge du système peut générer certaines incompréhensions. « Elle (l’intervenante) est venue nous voir, a bien compris les circonstances de l’accouchement et a vu qu’on n’était pas négligents », souligne Élodie, qui ne tente d’endoctriner quiconque dans ses valeurs et ne rejette aucunement la médecine. « Sans sous-estimer l’importance de l’hôpital, je crois que ça tue le côté naturel de l’accouchement », tranche enfin Bryan.

Pour l’heure, Élodie et Bryan se familiarisent avec leur nouveau rôle de parents dans une cabane perchée en haut d’une montagne charlevoisienne, là où la vue est à couper le souffle.

Et il n’y a aucun doute dans leur esprit : ce décor de carte postale explique pourquoi Haneva fait déjà ses nuits et de larges sourires depuis le deuxième jour.