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À quoi ça sert de regarder encore des films d’horreur aujourd’hui ?
Pour quoi sont connues les Vosges ? Le linge de lit bien sûr, le p’tit Grégory assurément, et… les films d’horreur. Chaque janvier se réunissent au festival de Gérardmer (prononcez “gérarmai” si vous voulez pas vous prendre une tourte dans le pif) la crème de la crème du cinéma fantastique, mélange d’épouvante, d’ésotérique, de surnaturel et de merveilleux. Ambiance geek et golri garantie chez les spectateurs avec son lot de traditions de projections : aboiements de loups-garous, cris de Wihelm, l’un qui lance un “Ça va être tout noir” avant que toute la salle ne réponde en choeur “ta gueule” et manifestations exagérées de joie à chaque spot de distributeur confidentiel durant le pré-générique. On prend vite le pli. Car dans le grand Est, on n’est certainement pas au festival de Cannes, troquez vos talons aiguilles pour un déguisement de zombie si ça vous chante et pensez à applaudir à chaque scène de tête coupée. Durant quelques jours, on s’est empiffré de coups de haches, de visages arrachés, d’enfants nécrophiles, de chiens démons et d’épidémie plutophobe… Après visionnage d’une quinzaine de films (en compét et hors compét), que nous dit le cinéma de genre en 2025 sur la société ? Et puis qu’est-ce qui nous pousse à voir des geysers d’hémoglobine alors qu’on déteste le boudin noir ?
L’horreur.e au féminin
Présidé pour la première fois par deux femmes en 32 ans de festival, Vimala Pons (compétition des long-métrages) et Emma Benestan (court-métrages), on ne pouvait pas passer à côté du grand sujet de la place des femmes dans le cinéma fantastique. Deux figures désormais incontournables : Coralie Fargeat (Revenge et bien sûr The Substance prix du Scénario au festival de Cannes) et Julia Ducournau (Grave sacré meilleur film du festival en 2017, Titane Palme d’Or en 2021), multi-récompensées pour leurs contributions dans le genre. Elles ne sont pourtant pas pionnières en la matière.
On évoque souvent Alice Guy comme première grande réalisatrice (redécouverte après quasiment un siècle d’invisibilisation) mais on oublie de préciser qu’elle a été à l’avant-garde du “slasher-movie” avec son court-métrage The Dream Woman en 1914, histoire d’une femme fantôme armée d’un couteau poursuivant un homme. Quelques décennies plus tard Claire Denis nous sert une Béatrice (canni) Dalle dans Trouble every day en 2001, Marina de Van sort Dans ma peau (2002), Jennifer Kent nous présente son Mister Babadook (2014) et The Nightingale (2021), Nia Dacosta femme noire américaine commet la prouesse de réaliser Candyman à seulement 32 ans (2021), Emma Benestan signait Animale en 2024 et on pouvait décourvrir en compétition du festival cette année Grafted de Sasha Rainbow. Les films de genre réalisés par des femmes ne sont plus rares.
Judit Beauvallet, journaliste pour Écran Large et créatrice de la chaîne Les demoiselles d’horreur présentait durant le festival la conférence “S’horrorité” (le démon du jeu de mots à encore frappé) pour questionner la place de la femme dans l’évolution du genre horrifique. Elle rappelle à juste titre que la figure du fantôme souvent associé au genre féminin a aussi évolué à travers la représentation des femmes. C’est pour cette raison que le cinéma horrifique réalisé par des femmes est une manière de se réapproprier les représentations de leur genre habituellement cantonné aux archétypes de la scream girl ou final girl (comprenez “la dernière survivante” aka Jamie Lee Curtis dans la saga Halloween).
“La monstruosité qui fait peur à certains et traverse mon travail, c’est une arme, une force pour repousser les murs de la normativité qui nous enferment et nous séparent.” Les mots de Julia Ducourneau à la remise de prix du festival de Cannes en 2021 résumaient tout l’enjeu auquel sont confrontées les réalisatrices de films de genre : représenter le monstrueux féminin pour mieux le reconquérir.
Injonctions à la beauté, réchauffement climatique et V-horror
S’il est difficile de dessiner une tendance commune après ces quatre jours de festival, certaines thématiques se sont imposées comme de lointains échos à d’autres grands succès. C’est d’ailleurs ce qui caractérise le cinéma de genre : la (multi)référence. Comment ne pas penser à The Substance en découvrant le film de Sasha Rainbow Grafted ? Dans ce thriller néo-zélandais (pas frappadingue avouons-le), Wei, une étudiante chinoise débarque chez sa tante et sa cousine à Auckland afin de finaliser ses recherches sur la greffe de peau et faire disparaître cette vilaine tâche qui lui ronge le visage. Les fans de body horror en auront pour leur argent. Peut-être pas autant que les collapsophiles qui pourront se réjouir de voir les plus gros porte-monnaies de la planète éradiqués par une mystérieuse grippe plutophobe (anti-riches) dans La fièvre de l’argent ; un récit au croisement de Black Mirror et de Years and years qui met en scène de manière inédite la honte et la terreur de devenir riche.
Et que dire de cette réunion au sommet réunissant les dirigeants du G7 autour de discussions stériles dans Rumours, nuit blanche au sommet ? Caricatures grossières de leurs nationalités, ces maîtres du monde ivres et inutiles se retrouvent abandonnés dans une forêt peuplée de mystérieuses créatures et cherchent à renouer le lien avec l’humanité, pour peu qu’elle ne soit pas encore éteinte. La nature y sert de cadre kitsch et coloré, bien loin de l’ambiance effrayante de In a Violent Nature. Dans ce slasher movie filmé en 4/3 (un choix dorénavant obligatoire pour donner l’impression d’un film d’auteur arty), les scènes les plus effrayantes n’émanent pas tant du croque-mitaine mais bien des plans de la forêt dans son plus simple appareil, de jour, à peine soufflée par la brise, inébranlable. Changement d’ambiance radical avec le film français Else en compétition, au pitch original (voire abscons) : l’humanité meurt d’un étrange mal faisant fusionner les êtres humains avec leur environnement matériel, alors que les SDF deviennent des hybrides humain-trottoirs, d’autres fusionnent simplement avec leur lit dans d’atroces souffrances.
Cette année le festival a voulu faire la part belle au V-horror, cinéma de genre vietnamien. Et pour cause, muselé jusque-là par la censure, le ministère de la culture du pays a permis la classification de ses films en 2017. Le cinéma d’horreur a donc pu voir le jour sans être censuré puisque chaque film pouvait enfin être accessible selon sa classification (moins de 13, 16 ou 18 ans). Dans les premiers du genre on a pu voir KFC (âmes sensibles s’abstenir), le film sorti en 2017 est un amas foutraque de nécrophilie mafieuse dont l’histoire n’a ni queue ni tête, tout comme les victimes d’ailleurs dont les parties génitales sont goulûment avalées par un enfant. Cherchez pas à comprendre. On a largement préféré Crimson Snout dont l’histoire (intelligible cette fois-ci) se passe dans un abattoir à chien vietnamien (pratique courante dans ce pays cynophage) tenu par une famille en proie à d’étranges visions nocturnes ; et si le démon des toutous entamait une terrible vengeance ? Ces films hors compétition ne sont pas toujours parfaits mais ils témoignent d’une envie criante pour les Vietnamiens de s’emparer d’un genre dont on les a trop longtemps tenus à l’écart malgré un folklore prolifique en histoires de fantômes.
Les films d’horreur, oui d’accord mais pourquoi ?
Certes Gérardmer n’offre pas que des expériences de giclées sanguines mais si l’on se concentre sur l’horreur, la question se pose naturellement. Pourquoi voir ça ? Les 40 000 visiteurs annuels du festival ont une partie de la réponse. Parce qu’on aime se faire peur, c’est dans notre ADN et les chasseurs-cueilleurs devaient très certainement se raconter des histoires glauques le soir au coin du feu (genre “vous connaissez l’histoire du menhir hanté par un mammouth ?”). La peur nous permet de relâcher de la dopamine à foison, c’est pour cette même raison qu’on adore attendre 4 heures pour faire un grand-huit qui nous fera hurler trente secondes.
Au-delà de cette satisfaction physiologique, le cinéma de genre porte un propos différent de celui de ses cousins classiques (et plus propres sur eux), il s’empare de la violence pour prendre la parole et en ceci, il sert d’émancipation. Oui le cinéma de genre est peuplé de navets (j’en ai vus quelques-uns de bien salés pendant ces quatre jours) et c’est ce qui fait son charme, mais derrière les cris, c’est une métaphore de notre société qui se dégage, avec son lot de morbidité, d’humour et de cruauté.
En un mot comme en sang (désolée), dites-le avec une hache.
NDRL, à l’heure où je vous écris, les résultats du festival viennent de tomber pour votre gouverne :
- Prix public : Oddity (Damian Mc Carthy)
- Prix jury jeunes : The Wailing (Pedro Martín Calero )
- Prix de la critique : The Wailing
- Prix de Gérardmer : Exhuma (Jang Jae-Hyun) & Rumors (Guy Maddin et Evan Johnson)
- Prix du jurys : In A Violent Nature (Chris Nash)
- Grand Prix du court métrage : Les liens du sang de Hakim Atoui