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À Marseille, « Plus belle la vie », ce ne sera jamais vraiment fini
Le 18 novembre 2022, à 20 heures 20, Plus belle la vie, c’est fini. Je n’ai jamais regardé cette série. Pas un épisode. Pourtant, rien qu’en écrivant ces lignes, la mélodie du générique me vient en tête. Vous l’avez ?
Quand j’ai posé mes valises à Marseille l’année dernière, que je parlais du Prado, ou de la Bonne mère à mes proches au téléphone, j’obtenais souvent la même réponse : « Je connais cet endroit ! C’est dans Plus belle la vie ». Apparemment, 55% des spectateurs qui regardent la série, même occasionnellement, disent qu’elle leur « donne envie de découvrir ou de venir à Marseille ». Alors moi aussi, j’ai eu envie de visiter ma ville d’adoption en mode Plus Belle La Vie. Entre le feuilleton et la cité phocéenne, il y a 20 ans de vie commune, 18 saisons et plus de 4 500 épisodes. Pas mal non ?
Un matin vers 10 heures, je rencontre Fabien Melillo dans le quartier du Panier. Pendant dix ans, il a fait partie des centaines de figurants de la série. Dans la vie, il est aussi conducteur de train. « Le Panier a inspiré les décors du mythique quartier du Mistral dans Plus Belle La Vie. On tournait 80% du temps dans les studios. » Fabien pose les bases. Ce sujet lui tient à cœur. Il en parle avec beaucoup d’énergie. Depuis mon arrivée, il ne cesse de sourire.
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« C’est devenu une passion. J’adorais voir les décors, l’ambiance sur le plateau, côtoyer les acteurs. »
Dans les ruelles, au milieu des graffitis, il me raconte des bribes de souvenirs. L’ambiance bucolique de ce vieux quartier de Marseille, mêlée aux histoires du quarantenaire, est presque poétique. On n’entend plus les voitures. Les gens se promènent entre les tableaux de rue, les canapés laissés là et les fenêtres fleuries. « J’ai toujours voulu être acteur. J’ai décroché ma première figuration grâce à mon père qui était prof de judo. La série cherchait quelqu’un pour interpréter un judoka et comme j’en faisais, j’ai passé l’audition, puis j’ai été pris. » Comme ça, Fabien enchaine une cinquantaine d’épisodes. Les années, il ne les voit pas passer. « J’ai été passant, client du comptoir, policier, j’ai fait de l’athlétisme… », énumère-t-il. Parfois, il s’arrête de marcher, pour prendre le temps de conter : « C’est devenu une passion. J’adorais voir les décors, l’ambiance sur le plateau, côtoyer les acteurs. Pour être honnête, je ne regardais pas la série au début. Puis après les tournages, je me suis mis à scruter chaque épisode. Je voyais un bout de ma main, de mon pied ou parfois seulement mon ombre », se remémore-il tout sourire. Figurer dans la série est un privilège dont il a conscience. Il fait la fierté de sa famille et de son entourage. « Ils connaissaient la série et étaient impressionnés de me voir à la télé. J’ai aussi croisé des fans qui m’enviaient ».
Déambulant, Fabien me raconte les journées de tournage et la technicité du métier. Comment il répétait parfois 15 fois la même scène et comment il passait son temps à mimer. « Je vais te montrer ». Il s’assoit sur un poteau au milieu de la rue. « Sur le plateau, on faisait le moins de bruit possible. Par exemple, on se posait et on faisait semblant de parler ». Fabien se tourne vers un voisin fictif et bouge ses lèvres sans bruit. Son visage est expressif, tantôt souriant, tantôt surpris. La discussion mimée est animée. « Pendant les scènes de danses c’était pareil. La production mettait la musique pour qu’on se mette dans le rythme, puis « ACTION ! », ça commençait à tourner. La musique s’arrêtait et nous on continuait ». Toujours assis, Fabien figure. Il se met à danser sans un bruit, oubliant presque les passants autour de lui. « On devait faire passer des émotions en silence. C’était assez bizarre, mais ce qui est bien à Marseille, c’est qu’on est assez expressifs avec nos bras et notre visage ».
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« Avant d’être un lieu dédié à la pétanque, ici c’était un petit cinéma où les gens venaient voir les épisodes du feuilleton en making off »
Progressivement, nous arrivons au bar des 13 coins, ayant inspiré le bar du Mistral dans la série. Avant de s’installer pour boire un café, Fabien salue le patron de La Maison de La Boule, située juste en face. « C’est une journaliste qui m’interroge sur mes années Plus Belle La Vie », explique sérieusement Fabien. Une lueur traverse alors les yeux de l’homme. Il nous fait signe de le suivre jusque dans son magasin. « Avant d’être un lieu dédié à la pétanque, ici c’était un petit cinéma où les gens venaient voir les épisodes du feuilleton en making off », explique-t-il. « On tendait une toile au fond, juste ici, et on projetait la série. Regardez ! On a même gardé le vidéo projecteur. En fait, on fonctionnait en trio : les gens buvaient d’abord au bar, ensuite ils venaient ici avec leur ticket, puis après la séance, ils allaient à la boutique de souvenir à côté, qui a fermé depuis. »
Le petit cinéma non plus n’existe plus. Pourtant, comme pour être sûr de ne pas oublier cette époque dorée, un panneau rouge lumineux « Plus Belle La Vie » trône toujours à l’entrée.
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Attablé au bar des 13 coins, café en main, Fabien est nostalgique. « Il y avait une bonne ambiance sur le plateau. L’acteur qui jouait Jean-François… » Face à mon incompréhension, il s’arrêt et ajoute : « Tu sais, le policier ! » Toujours pas. « Bon, enfin bref, il était toujours de bonne humeur, c’était vraiment agréable. Puis un jour un collègue est décéd é. Il avait fait plusieurs tournages avec nous, donc ça nous a mis un coup. C’était plus pareil ». Après un léger flottement, Fabien me propose un dernier arrêt : « Le bar O’berry. On y a tourné une scène de crime là-bas, ça peut être sympa que tu voies ça, c’est juste en bas ».
« C’est bête que ça s’arrête, ils ont montré Marseille au monde entier. »
Le bar des 13 coins ne prend pas la carte. J’y laisse mon permis, le temps d’aller visiter le bar O’berry. Josiane est la patronne des lieux. Elle est fan de la série et accueille régulièrement des tournages. « Ils sont venus plein de fois ici. C’est là où ils ont tourné l’épisode avec Karim et sa compagne quand ils ont tué je sais pas qui. Et la dernière fois qu’ils sont venus c’était avec Roland. » Je ne demande pas de précisions, Josiane enchaine : « Je les connais tous car mon fils est intermittent dans le feuilleton. Quand ils viennent, je leur laisse le bar et mon appartement au-dessus pour qu’ils se reposent. Ensuite, j’assiste aux tournages et on mange ensemble ». Josiane est fière de faire un peu partie de « cette grande famille ». « Regarde, j’ai toujours leurs coordonnées. » Sur son téléphone, je lis “Valentin Plus Belle La Vie”. « C’est bête que ça s’arrête, ils ont montré Marseille au monde entier. Notre Dame de la Garde, le palais du Pharo, la plage du Prado… ». J’acquiesce. L’amour de Josiane pour cette ville et son feuilleton me fait du bien.
En arrivant au bar des 13 coins pour récupérer mon permis et régler la note, j’entends le patron parler. Il raconte à des clients « le jour où les acteurs de la série sont venus boire un verre ici ». Je souris. À Marseille, Plus belle la vie, ce ne sera jamais vraiment fini…