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À l’origine (pas cool) des insultes

Gueuler sur quelqu’un, soit. Mais pourquoi agresser les putes / femmes / homosexuel·le·s / gross·e·s / classes populaires qui n’ont rien demandé ?

Par
Pauline Allione
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Je le sais, j’ai le “putain” facile. Dès que je suis un peu stressée, énervée ou simplement comme superlatif, un “putain” vient naturellement ponctuer mes phrases. Et au passage, injecter une dose de putophobie et de sexisme dans mon langage. Dans leur ouvrage Garce, hystérique et autres joyeusetés à paraître ce 17 septembre, Alice Pfältzer et Laetitia Abad Estieu dépoussièrent les insultes qui fleurissent notre langage pour révéler leur origine et ce qu’elles ont de problématique. Et sans surprise, les plus courantes oppressent toujours les mêmes minorités : travailleurs·es du sexe, femmes, homosexuel·le·s, classes populaires… Retour sur l’origine d’une poignée d’insultes en compagnie de deux expertes des attaques verbales.

Beauf

Ça peut être ce gars en claquettes-sandales, celui qui s’époumone sur Les lacs du Connemara après 2h du mat’, celui qui n’en démord pas du beerpong… On est tous le beauf de quelqu’un·e, et désigner comme tel une personne exprime surtout du mépris envers sa culture.

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« Le classisme est une discrimination qui se nourrit ou non de l’appartenance à une classe sociale, avec assez souvent un fondement économique, pose Alice Pfältzer. “Beauf” illustre très bien ça, et depuis quelques années certains “prolos” moqués hier et devenus de “nouveaux riches” subissent toujours une forme de discrimination classiste. Quand on utilise le terme beauf, on marginalise la personne visée et on la méprise du fait de sa classe sociale et de son manque supposé de lettres et de culture ».

Cagole

Elle parle fort, est vulgaire, le soleil a imprimé son bikini sur sa peau, elle aime le fushia, le brillant, le clinquant, le voyant… Figure archétypale devenue véritable emblème de la cité phocéenne, la cagole est à l’opposé du supposé raffinement de “la Parisienne”. Le bruit court que la cagole descendrait du terme “caguer”, mais une seconde hypothèse raconte une toute autre histoire.

« À Marseille, il existait une usine de dattes dans laquelle ouvriers et ouvrières travaillaient d’arrache-pied sans pour autant avoir des revenus convenables. On lit ici et là que les ouvrières se prostituaient pour améliorer leurs conditions de vie. Pauvreté et prostitution n’étant pas les critères préférés des Français en terme de réussite sociale, travailler dans cette usine était loin d’être un objectif de vie pour nombre de personnes. Aussi, les ouvriers et ouvrières portaient un tablier appelé le “cagoulo” », retrace Alice Pfältzer. La cagole, qui véhicule sexisme, putophobie mais aussi classisme, proviendrait donc de ce fameux tablier.

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Tarlouze

Résultat d’une société patriarcale, les insultes s’attaquent très souvent aux minorités. Les putes en prennent pour leur grade dans notre langage, mais les homosexuels (hommes surtout) ne sont pas en reste : pédé, enculé, fiotte, tarlouze… Autant de termes particulièrement employés dans les milieux où la virilité règne et où la masculinité toxique a encore de beaux jours devant elle. Prenons la tarlouze, par exemple.

« Le terme viendrait du québécois “tarla” qui signifie “niais”, auquel on a accolé le suffixe -ouze, qui a une valeur augmentative, détaille Laetitia Abad Estieu. Étymologiquement, la tarlouze est la personne “très niaise”. Dès le 20ème siècle, “tarlouze” devient une insulte qualifiant les hommes homosexuels dits passifs. Ceux-ci seraient faibles, soumis, pénétrés… bref, féminins. Ils seraient donc, selon notre société binaire et ultra genrée, des traîtres à la masculinité et à cette image de l’homme viril, pénétrant, actif. »

Pouffiasse

La pouffiasse véhicule quant à elle plusieurs discriminations, à commencer par la grossophobie : le terme tire son origine du verbe “pouffer”, soit “gonfler”. « Dès le XIXème siècle, à la naissance du terme, pouffiasse désigne les femmes grosses, qui seraient vulgaires, mais aussi prostituées. L’association d’idées entre sexisme, grossophobie et putophobie est à l’image même de tout ce que la société interdit aux femmes : disposer et jouir de leur corps librement. Le mot n’est aujourd’hui plus utilisé contre les personnes grosses ou prostituées mais cette étymologie transparaît dans son utilisation et il a conservé ses valeurs sexistes », explique Laetitia Abad Estieu.

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Racaille

Allez, un dernier pour la route : parlons de la racaille dont Sarkozy promettait de débarrasser Argenteuil en 2005. « Racaille tient ses origines du terme “racler” pour “racler le fond”, ce qui faisait référence à la “populace”, le fond du panier, détaille Alice Pfältzer. Jusqu’au XIXème siècle, le terme “racaille” désignait un ensemble de personnes. On parlait de “la racaille” pour parler des pauvres comme d’un ensemble homogène qui dans l’imaginaire collectif était nécessairement synonyme de personnes méprisables et dangereuses. Bien qu’après il ait pu être utilisé pour parler de personnes individuelles, il garde encore tous les stéréotypes classistes qu’on ne connaît que trop bien ».

Heureusement pour nous, il est toujours possible d’insulter son prochain sans faire de discriminations ni oppresser de minorités. Parmi les insultes inclusives à utiliser sans modération : empaffé·e, crevure, crapule, crétin·e… « Salaud et tocard sont vraiment des basiques de mes insultes au volant ! avoue Laetitia Abad Estieu. J’aime tout autant sac à merde, principalement sur les harceleurs de rue, et toute la famille des insultes en -ure : crevure, raclure, enflure… »

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Du côté d’Alice Pfältzer, on optera pour l’efficacité imparable d’un “trou du cul” bien asséné. « Je trouve que l’utilisation de consonnes fortes permet de décharger toute la rage qu’on a contre une personne, on a l’impression qu’elles viennent cogner notre cible. Et puis, être associé.e à un trou du cul, ce n’est pas franchement flatteur ». Vous savez quoi dire au prochain tocard qui grille votre place dans la queue du supermarché.