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Avoir des modèles et des personnes dont on peut s’inspirer, c’est primordial dans la vie. Malheureusement, comme toutes les amatrices de bande dessinées nées avant les années 2000, j’ai grandi avec des planches animées par les garçons : Tintin, Astérix, Lucky Luke, Gaston puis plus tard Corto Maltese… Côté filles, je devais me contenter de Falbala, la Castafiore, la Schtroumpfette en escarpins qui distribue ses bisous, la fiancée du loneseome cowboy ou Mademoiselle Jeanne, charmante mais offrant une vision réductrice de la femme.
Heureusement, en cours d’espagnol, j’ai découvert Mafalda, puis dans ma vingtaine Adèle Blanc-Sec. Enfin de rares héroïnes qui utilisaient leur cerveau ! Toutes ces filles ou femmes étaient imaginées par des hommes. Dans les années 1970, Claire Bretécher a creusé le sillon des bédéistes femmes mais des décennies plus tard, la parité n’est toujours pas au rendez-vous dans le 9ème art. En 2016, la sélection d’auteurs exclusivement masculins pour le grand prix du festival d’Angoulême avait d’ailleurs fait scandale.
Pourtant, chaque année qui passe nous fait découvrir davantage d’autrices brillantes. Voici une petite sélection de talents au féminin à (re)découvrir.
Pénélope Bagieu
De California Dreaming (biopic sur Cass Eliott, la chanteuse des Mamas and Papas) à Sacrées Sorcières (son dernier album, adaptation du livre de Roald Dahl), en passant par son succès mondial Culottées (racontant le parcours de femmes qui ont vécu comme elles l’entendaient), je suis toujours séduite par le coup de crayon immédiatement reconnaissable, la fantaisie, l’humour et le don de Pénélope Bagieu pour nous faire rentrer dans la vie de ses personnages. Pour Culottées, qui a été adapté en dessin animé, elle a remporté le prix Eisner – souvent surnommé le « prix Nobel de la BD » – et c’est amplement mérité. A lire d’urgence si ce n’est pas déjà fait.
Marjane Satrapi
C’est la première autrice de BD que j’ai découverte avec Persepolis, sa série de bandes dessinées autobiographiques – transposée depuis au cinéma par l’autrice elle-même – qui raconte ses jeunes années entre l’Iran et l’Europe. Par la même occasion, je découvrais une bande dessinée plus intimiste. Un récit très intelligent et émouvant, devenu désormais un classique incontournable.
Catherine Meurisse
En 2020, elle était élue à l’Académie des Beaux-Arts, une première pour une bédéiste. Lorsque j’ai lu La légèreté – l’album dans lequel la dessinatrice de Charlie Hebdo raconte son cheminement après l’attentat – j’ai reçu un grand choc. C’était à la fois pudique et intime, tragique et drôle, ironique et poétique, bouleversant, tellement intelligent et bien dessiné ! L’autrice a d’autres albums qui valent la peine d’être découverts, comme Delacroix, dans lequel elle offre une magnifique mise en couleurs au texte d’Alexandre Dumas racontant la vie du peintre, ou Les Grands espaces, inspiré de son enfance à la campagne.
Marion Montaigne
Marion Montaigne, c’est la scientifique du groupe. Elle nous immerge dans la vie d’un cosmonaute avec l’excellent livre Dans la combi de Thomas Pesquet – grand succès chez les enfants et adultes. Ou examine les riches à la loupe en s’appuyant sur les analyses de sociologues dans l’enquête-fiction Riche, pourquoi pas toi ?. Le journal Le Monde a dit d’elle qu’elle avait inventé un genre : « la vulgarisation scientifique trash, parfois méchante, mais jamais bête ». C’est très bien dit.
Léonie Bischoff
Léonie Bischoff a mis huit ans pour écrire son beau roman graphique Anaïs Nin sur la mer des mensonges, dans lequel elle raconte la vie de l’autrice talentueuse, femme libérée et amante de Henry Miller. Tourmentée par son père absent, déracinée après une enfance voyageuse, Anaïs refuse la médiocrité et l’ennui. Elle s’échappe dans son journal qui lui permet d’analyser ses sentiments et explore sa sensualité en toute liberté. Après ce bel album très remarqué aux splendides dessins voluptueux et expressifs, on a hâte de découvrir les prochains livres de la jeune autrice suisse.
Chloé Cruchaudet
Un déserteur de la première guerre mondiale se transforme en travesti pour échapper à la peine capitale et sa vie en est transformée. Dans Mauvais genre, Chloé Cruchaudet raconte en noir et blanc parsemé de touches de rouge, l’histoire vraie de Louise et son mari Paul dans le Paris des années folles. Un beau récit grave et touchant, dans lequel les personnages dépassent le genre et vacillent dans leur cheminement entre amour, plaisir, souffrance et jalousie.
Maurane Mazars
Prix Révélation au dernier festival d’Angoulême avec son album Tanz!, Maurane Mazars nous plonge dans un univers virevoltant. Le jeune danseur Uli grandit dans une Allemagne meurtrie par la guerre, mais il rêve de comédies musicales américaines. Une rencontre l’emmènera à Broadway… Le récit sensible et bien rythmé sur les thèmes de l’identité sexuelle et du racisme, les pas de danse et le New York des années 1950, sont magnifiquement mis en couleurs à l’aquarelle avec une belle énergie. Une réussite !
De l’autre côté de la Manche et de l’Atlantique, d’autres autrices talentueuses sont d’ailleurs à découvrir, comme l’Anglaise Posy Simmonds, Alison Bechdel et la jeune Tillie Walden aux Etats-Unis, les Montréalaises Julie Doucet et Julie Rocheleau et bien d’autres… Les lignes bougent en BD et ce n’est que le début de l’histoire.