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5 féministes de la Commune que vous devriez connaître
Alors qu’Emmanuel Macron commémorera officiellement le bicentenaire de la mort de Napoléon le 5 mai prochain (ce personnage historique qui s’est auto-proclamé Empereur et qui a rétabli l’esclavage dans les colonies françaises en 1802, entre autres), j’ai plutôt décidé de vous parler de l’autre événement historique de l’année : les 150 ans de la Commune de Paris, ces 71 jours d’insurrection où les communards se sont rebellés contre le gouvernement nouvellement élu à la fin la guerre franco-prussienne. J’ai surtout voulu revenir sur le rôle essentiel qu’ont joué les femmes dans cet épisode révolutionnaire.
À l’exception de Louise Michel, peu de noms de femmes communardes ont perduré de nos jours, même dans les milieux féministes. L’historienne Mathilde Larrère remarque que souvent, « on s’intéresse plus à ce qui se passe après, à partir d’Hubertine Auclert : un féminisme plus bourgeois, tourné vers le droit de vote. Parmi les militantes d’aujourd’hui, pour schématiser, on garde Olympe de Gouges, et on oublie tout ce qu’il y a au milieu, toutes les femmes populaires et socialistes de 1830, de 1848 et de la Commune. »
Pourtant, elles ont été nombreuses à participer aux événement de 1871 et à poser les bases du féminisme socialiste qui se développera quelques années plus tard. Dans l’Adresse des citoyennes envoyée à la Commission exécutive de la Commune et publiée dans le Journal Officiel du 14 avril 1871, certaines d’entre elles ont par exemple réclamé que la Commune s’engage « à tenir compte des justes réclamations de la population entière, sans distinction de sexe » et que le triomphe de la lutte ait « le même intérêt pour les citoyennes que pour les citoyens. »
De par leurs valeurs socialistes, ces femmes pensaient la lutte de manière collective à travers des unions, des clubs, des syndicats. C’est pourquoi aucune ne s’est réellement érigée en tête de file du mouvement. Je vous propose de revenir sur 5 de ces figures résolument féministes même si cela ne représente évidemment qu’une infime partie de toutes celles qui se sont battues pour la défense de la Commune de Paris et pour l’évolution du droit du travail des femmes.
Elisabeth Dmitrieff
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Elle est l’une des figures des Communardes les plus connues après Louise Michel. Née en Russie, Elisabeth Dmitrieff quitte rapidement son pays pour Genève qui, à cette époque, rassemble une grande communauté de révolutionnaires russes. Elle y rencontre notamment Anna Jaclard, qui sera, elle aussi, impliquée dans la Commune. Elle s’engage dans le secteur russe de l’Association Internationale des Travailleurs puis rencontre Karl Marx et sa fille à Londres. Ce dernier décide de l’envoyer à Paris pour couvrir les évènements de la Commune alors qu’elle n’a que 20 ans. Une mission qui ne sera pas de tout repos !
Une fois sur place, elle s’implique largement dans le combat. Elle fonde, le 11 avril 1871, avec Nathalie Le Mel « L’union des femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés ». La plupart des femmes qui les rejoignent font partie de la classe ouvrière. C’est depuis cette structure-là, principalement, que les femmes vont s’organiser et commencer à se distribuer le travail entre elles puisque les hommes de la Commune ne facilitent pas leur participation.
Elisabeth Dmitrieff se sert de son expérience politique pour négocier des moyens avec la Commission exécutive de la Commune et obtenir l’attribution de salle de mairie pour les femmes souhaitant s’impliquer dans le service d’ambulances ou les barricades. Elle structure l’organisation de manière hiérarchique avec des comités dans chaque arrondissement et préside le comité centrale des citoyennes. Elle souhaite syndiquer les travailleuses et leur permettre de soutenir la Commune sans sombrer dans la pauvreté.
Nathalie Le Mel
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La brestoise Nathalie Le Mel (Duval de naissance) s’installe à Paris en 1861 avec son mari, qu’elle quittera peu de temps après, pour chercher du travail. Elle devient relieuse de livre dans le quartier de Montparnasse et commence à se faire remarquer pour son engagement politique. Un rapport de police signale même « qu’elle s’occupe de politique et lit à haute voix les mauvais journaux ». Elle est nommée au comité du Syndicat des relieurs et relieuses de Paris et en 1865, obtient l’égalité des salaires dans cette profession. D’autre part, Nathalie Le Mel géra aussi la coopérative La Marmite, un restaurant coopératif qui permettait aux ouvriers de se nourrir régulièrement et sainement à prix bas.
Militante socialiste, elle rejoint l’Association Internationale des Travailleurs en 1865. Concernant son rôle dans l’Union des femmes qu’elle fonda avec Elisabeth Dmitrieff, elle permit la création des réunions et des clubs dans presque tous les quartiers ouvriers de Paris. Elle fut l’une des oratrices récurrentes d’un des clubs les plus importants : Le Club de la délivrance, présidé par Lodoiska Caweska. On y évoque, entre autres, les rapports entre la religion et l’émancipation des travailleuses.
Lors de la semaine sanglante, du 21 au 28 mai 1871, Nathalie Le Mel supervisa une cinquantaine de femmes qui construisit une barricade place Pigalle et aida à sa défense. Elle est arrêtée le 21 juin 1871 et condamnée à la déportation en Nouvelle-Calédonie. Depuis 2007, une place porte son nom dans le 3ème arrondissement de Paris.
Blanche Lefèvre
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Blanche Lefèvre est l’une des rares communardes dont le nom a été retenu. Depuis 2012, une place porte même son nom dans le 17e arrondissement de Paris. C’est d’autant plus exceptionnel puisque Blanche Lefèvre était une blanchisseuse. Elle travaillait au lavoir Sainte-Marie des Batignolles. Bien que nombreuses pendant la Commune, peu de noms de femmes blanchisseuses ont pu traverser l’Histoire.
Louise Michel la cite dans ses mémoires, ce qui a permis de récupérer quelques informations sur sa vie. On sait donc que Blanche Lefèvre était membre de l’Union des femmes mais aussi du Club de la Révolution Sociale crée dans l’Église Sainte-Marie des Batignolles. Elle signe l’Appel aux ouvrières du 18 mai 1871 avec les autres femmes de la Commission exécutive du comité central qui « invite toutes les ouvrières à se réunir […] afin de nommer des déléguées de chaque corporation pour constituer les Chambres syndicales » qui formeront ensuite la « Chambre féd érale des travailleuses »
Blanche Lefèvre a aussi grandement participé à la défense des barricades de la Place Blanche aux côtés de 120 autres femmes. Elle sera finalement tuée rue des Dames, sur la barricade des Batignolles le 23 mai, lors d’un affrontement avec les troupes versaillaises. Elle avait alors 24 ans.
Anna Jaclard
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Comme Elisabeth Dmitrieff, Anna Jaclard est issue de l’aristocratie russe et va passer par Genève avant d’arriver à Paris pour y étudier « la condition ouvrière ». C’est très tôt qu’Anna Jaclard commence à s’intéresser aux idées socialistes. En 1864, elle envoie à Dostoïevski une nouvelle, Le Rêve, qu’il fait publier dans sa revue l’Époque, sous un pseudonyme masculin. L’auteur est charmé et demande Anna Jaclard en mariage. Mais celle-ci refuse et raconte : « Je suis étonnée de ne pouvoir l’aimer. Il est tellement bon, intelligent, génial. Mais il lui faut une femme qui ne se consacrerait qu’à lui. Je ne le peux pas. » La grande classe !
Une fois à Paris, elle devient membre de L’Union des femmes où elle prend en charge l’éducation des femmes. Elle participera avec la journaliste André Leo à la laïcisation des institutrices républicaines au travers d’une commission crée par Édouard Vaillant.
La socialiste et féministe révolutionnaire russe fonde aussi, avec André Léo, le journal « La Sociale ». D’autre part, elle co-rédige l’Appel des citoyennes de Montmartre qui déclare que « les femmes de Montmartre, animées de l’esprit révolutionnaire, veulent témoigner de leur dévouement à la révolution » et « ont décidé de se mettre à la disposition de la Commune ».
Alors qu’elle travaille dans une imprimerie, elle rencontre Victor Jaclard qui deviendra son mari. Tous deux formeront un couple de communards emblématiques. À la fin des évènements de la Commune, le couple est condamné par contumace aux travaux forcés à perpétuité. Pour y échapper, ils s’exilent à Londres chez Karl Marx où Anna Jaclard commencera à traduire Le Capital en russe.
André Léo
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Romancière et journaliste, André Léo, de son vrai nom Victoire Léodile Béra, publie dès 1869 « La femmes et les Mœurs – Monarchie ou liberté », ouvrage dans lequel elle riposte contre l’ordre patriarcal revendiqué par Proudhon. C’est une des figures que l’on peut assurément qualifier de féministes de par ses écrits et son combat.
André Léo fut l’une des journalistes les plus actives pendant la Commune. Elle écrit des articles dans plusieurs journaux comme la Commune, le Rappel et la Sociale. Dans ses articles, elle soutient la nécessité d’armer les femmes au service de la défense de la Commune : « Paris est loin d’avoir trop de combattants; le concours des femmes devient nécessaire. A elles de donner le signal d’un de ces élans sublimes… On les sait anxieuses, enthousiastes, ardentes à se donner tout entières (les femmes du peuple surtout) à la grande cause de Paris. Qu’elles entrent donc d’action dans la lutte autant qu’elles y sont de cœur. » (Écrit par André Leo dans un article le 12 avril 1871).
Elle est membre du comité de vigilance de Montmartre aux côtés de Louise Michel, Paule Minck et Sophie Poirier. Pendant la semaine sanglante, André Léo défend une barricade aux Batignolles.
La liste est encore longue… J’aurais pu citer Victorine Brocher, Victoire Tinayre, Lodïska Caweska et bien d’autres. Dans son texte « Le rôle des femmes dans la Commune de 1871 », l’historien Eugène Schulkind souligne que « c’est la première fois que la lutte pour l’émancipation de la femme fut menée en liaison avec celle de la classe ouvrière ». En parlant de l’Union des femmes, il rajoute que « ce groupe de femmes se rendît mieux compte dès le début de l’importance d’une théorie révolutionnaire comme arme et d’une forte organisation comme moyen de réalisation que la plupart des membres, même de la Commune. »
En bref : encore une révolution qui n’aurait pas pu se faire sans les femmes. Alors, ne les oublions pas !