Artiste iconique des cabarets parisiens des années 50, Coccinelle est la première – et la seule, il ne faudrait tout de même pas assassiner Christine Boutin – femme transgenre à avoir pu se marier à l’Église… en 1962. Camille Desombre lui a consacré un documentaire radio, pour rendre hommage à la folle vie de cette femme qui portait mieux le costume de coccinelle que Lady Bug elle-même (dans le dessin animé Miraculous, faites un effort merde).
Pourquoi Coccinelle est une telle icône de la communauté trans ?
Coccinelle est la première personne trans en France à avoir obtenu son changement d’état civil en 1959, et sans doute la première célébrité trans française connue à l’internationale. Son statut d’icône, aujourd’hui, est plus ambigu : décédée en 2006, Coccinelle semble avoir été en partie oubliée ces dernières décennies. Marie-Pierre Pruvot dite Bambi, qui lui a survécu et a notamment fait l’objet d’un film de Sébastien Lifshitz très remarqué en 2013, semble désormais plus présente dans l’imaginaire collectif où elle a comme « remplacé » Coccinelle – bien que Bambi, qui était la protégée et l’amie de Coccinelle, prenne pourtant soin de lui rendre hommage dès qu’elle en a l’occasion.
Comme l’explique également la sociologue Karine Espineira dans le documentaire, la visibilité et les « scandales » de Coccinelle ont provoqué malgré elle une réaction transphobe de la part du législateur : suite à son changement d’état civil et surtout son mariage à l’église très médiatisé en 1962, les personnes trans n’ont plus pu changer d’état civil jusqu’à 1992… et certaines associations trans dans les années 90 ont semble-t-il reproché à la star d’avoir agi de façon disons individuelle. Cela a sans doute participé au fait que son souvenir soit moins entretenu. Elle n’est pas non plus une « révolutionnaire » comme peut l’être Marsha P. Johnson aux États-Unis, et les jeunes générations s’en réclament sans doute moins facilement.
- Et du monde du cabaret ?
Coccinelle était une véritable légende du cabaret dans les années 50 : ses apparitions au Carrousel ont été très remarquées et Paris se déplaçait pour la voir. Lors de son passage à l’Olympia, le monde entier commence à s’intéresser à elle.
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La première fois qu’elle s’est rendue chez Madame Arthur pour une soirée de carnaval, une amie lui avait trouvé un costume, une robe rouge à pois noirs, qui a fait sensation. Lorsqu’il a fallu choisir un nom de scène, c’est la patronne, Germaine, qui lui aurait suggéré ce nom.
- Coccinelle a subi beaucoup de menaces pour son mode de vie : quel était le rapport des personnes trans à la société et à la police dans les années 50 : comme sous Trump 2 ou bien pire ? On sait notamment qu’elles pouvaient subir des lobotomies ou des électrochocs de la part du corps médical…
Dans le livre Coccinelle par Coccinelle, écrit en 1987 à partir d’entretiens avec elle, Coccinelle raconte qu’elle était régulièrement harcelée par la brigade mondaine et convoquée par la police. Une ordonnance du préfet de police de 1907 interdisait aux personnes perçues comme hommes de porter des vêtements féminins et était donc utilisés contre les travestis et les femmes trans, qui n’avaient à certaines époques pas le droit de sortir en habits féminins à la sortie des cabarets. Les hommes homosexuels, les travestis et les femmes trans étaient la cible d’une surveillance et d’un harcèlement policiers spécifiques. Comme l’explique Karine Espineira, il existe plusieurs cas dans les annales de la médecine de personnes trans qui ont comme les homosexuels subi des lobotomies, menant parfois à la mort du ou de la patiente en question. Et la réprobation sociale forte conduisait la plupart des femmes trans à des économies parallèles et des vies de grande précarité. Mais la situation est difficilement comparable avec Trump : la société française – et le législateur – semblaient avoir peu connaissance de la transidentité. Coccinelle semblait susciter davantage la fascination que le rejet. Il n’y avait a priori pas à l’époque de campagne de désinformation étatique ni de propagande réactionnaire obsessionnelle à l’encontre des personnes trans telle qu’on peut la voir aujourd’hui. Ce sont, quoiqu’il en soit, des contextes très différents, le poser en terme de mieux ou pire n’est pas forcément pertinent selon moi.
- Comment les socialités trans s’exprimaient à l’époque, alors qu’il n’y avait même pas de pride ?
On sait que beaucoup de femmes trans ont trouvé refuge dans l’économie des cabarets, et que ces espaces étaient des lieux de subsistance pour celles qui parvenaient à s’y faire embaucher. On sait aussi, par Bambi, qu’ils étaient des lieux d’échanges de ressources et d’informations pour les personnes trans qui souhaitaient avoir accès aux hormones – qui étaient à l’époque vendues sans ordonnance – ou à des soins chirurgicaux.
- Changement d’état civil, mariage en blanc à l’église : c’est quoi le miracle qui a permis à Coccinelle de réaliser ces actes totalement oufs pour l’époque ?
Je crois qu’elle doit tout ça à son culot sans limite, et un appétit pour la vie démesuré. Bambi raconte dans l’entretien combien Coccinelle le « maelstrom » était captivante, quasiment hyperactive. Il semble que Coccinelle a compris très tôt qui elle avait envie d’être, était extrêmement déterminée, et ne s’est fixée aucune limite.
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Le niveau de sa notoriété est difficile à imaginer, ça a été une découverte pour moi au fur et à mesure que j’avançais dans mes recherches et entretiens pour le documentaire : Coccinelle remplissait en effet des stades entiers à l’internationale, notamment en Amérique du Sud. Les foules se déplaçaient pour la voir à la sortie de l’avion. Les États-Unis semblent, d’après Bambi, avoir par contre beaucoup boudé voire empêché les artistes françaises de cabaret de se produire sur leur sol. En tout cas, Coccinelle n’était certainement pas aussi connue que Béyoncé mais a bénéficié d’une notoriété internationale.
- La carrière de Coccinelle s’est construite en parallèle de celle de Bambi : quel était leur rapport ?
C’est en partie en voyant Coccinelle sur scène que Bambi aurait eu un déclic quant à sa propre identité. Après que Bambi soit parvenue à se faire embaucher chez Madame Arthur, Coccinelle a pris Bambi sous son aile, et l’a invitée à vivre chez elle. Elles sont restées très amies pendant de nombreuses années.
- Coccinelle était connue pour vivre le yolo (dsl) à 100% : comment cette absence de limites se traduisait dans son quotidien ?
Bambi raconte assez bien dans le documentaire comment, dans sa jeunesse, Coccinelle aimait se faire remarquer, et mettait en place des stratégies assez drôles pour faire parler d’elle ou attirer l’attention. Elle faisait ce qu’elle voulait autant que possible mais j’ai aussi l’impression que, comme Bambi, elle a finalement eu une vie plus simple et plus « sage » que ce qu’on peut imaginer. Elle aimait élever des lapins, cuisiner et s’occuper de son jardin, comme on peut l’entendre dans une des interviews.
Pour écouter le docu audio sur Coccinelle c’est ici.
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