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42 heures par semaine au lycée, sans compter les devoirs

En partenariat avec la ZEP (Zone d’Expression Prioritaire).

Par
La ZEP
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Ce récit provient des ateliers d’écriture animés par les journalistes de la Zone d’Expression Prioritaire (la ZEP), un média qui accompagne l’expression des jeunes pour qu’ils et elles se racontent en témoignant de leur quotidien et de toute l’actualité qui les concerne.

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Être trente-cinq par classe. La merveilleuse sensation d’être coincée tout au fond de la salle, entre le mur, son voisin, une masse de têtes devant soi et loin, très loin là-bas, le professeur qui fait son cours. On tend l’oreille du mieux qu’on peut pour entendre ce qui est dit et on plisse les yeux pour distinguer le tableau, en se tortillant dans tous les sens pour apercevoir un peu du cours et des devoirs à faire dans les interstices entre les têtes.

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Se rendre compte au bout de deux semaines que ces deux personnes, le roux et la fille aux yeux bleus, sont dans ta classe, alors que tu es presque certaine de ne les avoir jamais vues. Je me rappelle aussi d’un ami qui m’avait raconté que certaines personnes de sa classe avaient été obligées de rester debout parce qu’il n’y avait pas assez de chaises ! Être trente-cinq par classe, c’est donc génial. Délicieusement insupportable.

Mais quand, en plus, tu as l’impression que ta vie est uniquement faite de travail sans aucun plaisir, aucun temps mort, ça commence à faire beaucoup.

J’ai 16 ans, je suis en première et, ça, c’est mon quotidien.

Certaines personnes trouvent que le lycée, c’est génial. Je ne suis pas vraiment de ceux-là. Il y a deux choses qui m’ont choquée lors de ma rentrée au lycée, en seconde : le nombre de personnes par classe et la masse de devoirs.

Faire mes devoirs, tout le temps

Si j’arrive à me libérer une après-midi par semaine, c’est vraiment super. Le reste du temps, je fais mes devoirs, je vais au lycée et je fais ce qui est nécessaire à ma survie, à savoir : manger, boire, me laver et dormir.

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Je déteste travailler tout le temps. J’ai l’impression d’être emprisonnée, coincée, privée de liberté. Dans un certain nombre de métiers, on ne travaille pas le week-end, et une fois qu’on a fini notre journée de travail, on peut se reposer (ou au moins ne pas travailler, je n’ignore pas que les adultes ont d’autres obligations que le boulot). Les élèves, eux, n’y ont pas droit. Comparer le travail des adultes avec l’école, je sais que c’est « exagéré ». Après tout, nous ne sommes pas payés et nous avons plus de vacances.

Il n’empêche que je passe quarante-deux heures au lycée par semaine, et ça, c’est sans compter les devoirs. Quarante-deux heures, ce n’est pas mon nombre d’heures de cours, mais de présence au lycée.

Trois ou quatre évaluations le même jour

Quand mes parents me demandent si j’ai beaucoup de devoirs, je leur réponds le plus souvent : « Non… Mais ce sont des gros devoirs. » Traduction : je vais avoir besoin de beaucoup de temps pour les faire. Des devoirs que je pensais pouvoir faire en une demi-heure maximum me prennent en réalité une heure, parfois plus. Si je veux faire mon travail correctement, je dois y consacrer au moins trois heures le mercredi après-midi, et une journée entière du week-end.

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Les devoirs de français vont demander entre une et trois heures. La professeure, en seconde et en première, nous en donne environ un par semaine. Pour ce qui est d’apprendre les leçons pour les cours où il y a presque à chaque fois une interrogation, ça va de quinze à quarante-cinq minutes. Sachant que j’ai au moins deux matières par semaine où il faut procéder ainsi. Le reste varie. Certaines matières vont donner rarement de devoirs, d’autres pour chaque cours ou presque.

Les moments les plus compliqués sont avant chaque vacances. Toutes les matières font leurs évaluations à cette période. Il arrive qu’on en ait trois ou quatre le même jour. Il faut réviser pour ces matières-là, alors qu’on peut déjà avoir deux ou trois gros travaux à faire chez soi qui vont être évalués, pour la même semaine.

Tout ce côté angoissée

Les professeurs ne se rendent pas forcément compte que nous sommes autant chargés. Quand nous ne travaillons pas ou pas assez, ils vont prendre ça pour un manque de sérieux. Ce qui arrive régulièrement, c’est vrai, mais c’est parfois seulement cette réalité de : « Il vaut mieux que je fasse rapidement le français ou l’histoire-géo ? » Parce qu’on n’a pas le temps de bien faire les deux.

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J’imagine que les professeurs n’ont pas d’autres choix que de faire ainsi pour finir le programme et arriver à bien faire leurs cours, mais ça montre bien qu’il faudrait changer des choses dans notre système éducatif. Entre sacrifier son plaisir et sa vie extrascolaire pour satisfaire les attentes des professeurs (bien qu’il y ait toute la partie de « travailler pour soi pour avoir un bon avenir »), et bâcler son travail pour profiter de la vie, il y a une option plus attirante que l’autre. Personnellement, je suis incapable de réagir comme ça à cause de tout ce côté angoissé. Mais, parfois, j’aimerais bien.

Faire rentrer dans un petit pot 2 000 litres de liquide

Cette année, je réussis un peu plus à avoir du temps libre. Ça me demande de bien m’organiser et j’ai l’impression d’essayer de faire rentrer dans un petit pot deux mille litres de liquide. Forcément, ça déborde.

Étant d’un naturel angoissé, le fait de me dire que, peut-être, je n’aurais pas le temps de finir ce devoir ou d’apprendre correctement cette leçon, parce que j’ai prévu d’aller chez des amis ou à la MJC (maison des jeunes et de la culture) de ma ville pour mes projets artistiques, me fait peser une charge mentale très lourde sur les épaules. Je pourrais dire que j’ai du temps libre, du temps pour faire ce qui me plaît, mais mon cerveau, lui, lance l’opération « stress pour les devoirs », et cela m’empêche de réellement prendre du plaisir tant que je n’ai pas tout fini.

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Avez-vous déjà ressenti cette impression que cela n’en finira jamais ? Que votre vie entière sera comme cela, à courir après les heures, à espérer pouvoir faire quelque chose qui te plaise, et te rendre compte que tes obligations vont prendre le pas sur tout ?

J’aimerais beaucoup pouvoir me consacrer à l’écriture de mon roman, de mes textes, de mes chansons et leur mise en voix, et à mon projet de film sur l’école. Toutes ces choses qui me passionnent et me font m’épanouir. Surtout que j’envisage sérieusement de faire un métier dans ce domaine. Sans trop savoir lequel précisément, un mélange de réalisatrice et journaliste, comédienne et écrivaine.

Laissez-moi le temps d’apprendre et de réviser !

À trente-cinq, le rapport au professeur est aussi bien différent. Je me sens très seule, comme vulnérable face à tous les problèmes. Il y a la pression de faire ses devoirs correctement. Sans trop savoir parfois où se situe ce correctement. L’année dernière, nous avons appris à écrire un essai, qui suit donc des consignes particulières. On a dû l’écrire seuls chez nous. De retour en cours, la professeur a ramassé quelques copies, dont la mienne. Quand elle est revenue pour nous dire ce qui allait ou non, elle a commencé d’emblée pour moi par : « C’est vraiment pas ton fort l’essai. »

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C’était une simple petite remarque. Mais blessante et surtout injuste : c’était la première fois que j’en écrivais un. On aurait dit qu’elle voulait que je sache déjà tout faire bien ! Laissez-moi le temps d’apprendre ! Ce genre de réflexions m’angoissent. Et, selon moi, renvoient tout de suite l’élève (que ce soit moi ou d’autres) à « tu n’y arrives pas et tu ne vas pas y arriver ». Puis, il y a la pression de devoir choisir ce qu’on veut faire pour les quarante prochaines années de notre vie.

Aucun lien avec les professeurs

Je n’arrive pas à aller voir un professeur pour parler de ces problèmes-là avec lui, n’ayant pas de lien avec eux. J’ai donc l’impression que c’est « l’ordre des choses ». Que c’est comme ça : avoir une masse de devoirs énormes et devoir faire avec. Satisfaire les attentes des professeurs. Et accepter de se retrouver dans des situations injustes sans pouvoir rien faire. Avoir l’impression que les professeurs ne pourront pas apporter de réponses à mes questions par rapport aux écoles supérieures… C’est sans doute une erreur, mais quand je ne me sens pas en confiance avec quelqu’un, adulte compétent ou non, je ne vais pas aller le solliciter. Même s’il pourrait m’apporter des choses.

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Le lycée, c’est un moment important de notre vie où on doit choisir dans quelle direction aller professionnellement, et supporter cette pression et cette angoisse de se demander si on va y arriver ou non, ce que nous réserve l’avenir. C’est dommage que nos conditions de travail soient si difficiles, parce que sinon le lycée serait un endroit génial où on se prépare à la vie d’adulte et où on apprend plein de choses intéressantes.

Juliette, 16 ans, lycéenne, Rive-de-Gier