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35 ans et déjà grand-parent

Se faire appeler « papi » ou « mamie » avant d'avoir des cheveux blancs.

Par
Marie-Ève Martel
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Si certains embrassent tout juste leur vie d’adulte à 35 ans, d’autres voient la leur prendre un virage inattendu en devenant grands-parents. Entre les sorties entre amis, le boulot et autres obligations, les voilà qui se remettent à changer des couches et à jongler avec des biberons.

Trois jeunes grands-parents racontent cette réalité marginale, rappelant qu’on n’a pas besoin d’avoir les cheveux blancs ou de l’arthrite pour se faire appeler « papi » ou « mamie ».

46 ans et six fois grand-mère

Au premier regard, on aurait le réflexe de penser que Layla, 11 ans, est la fille de Julie Brodeur, 46 ans. La première est cependant la petite-fille de la seconde, qui sera grand-maman pour la sixième fois au courant de l’hiver. Oui, oui, vous avez bien lu.

« Avec ma coupe de cheveux funky, je passe parfois pour la grande sœur de mes enfants ! », lance celle qui, malgré toutes les précautions prises – pilule, préservatif et pilule du lendemain –, est tombée enceinte à 14 ans.

« Je me suis dit que ce bébé-là voulait absolument venir au monde, se souvient-elle. Alors, je n’ai même pas envisagé un avortement. »

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Julie Brodeur a souvent été confondue pour la grande sœur de ses quatre enfants. – Photo fournie

Au lycée, l’adolescente est forcée de quitter son école pour être scolarisée à la maison, question d’éviter qu’elle n’influence d’autres jeunes. « Les parents de mes amies avaient peur qu’elles décident de faire des bébés, raconte Julie, sourire en coin. Je leur ai répondu : “Si ça arrive, ça ne sera pas de ma faute, parce que je ne serai pas là quand ça va se passer !’’ ».

Une fois adulte, Julie a donné naissance à trois autres enfants en l’espace de deux ans et demi. « Il faut croire qu’on manquait souvent d’électricité à notre appart », blague-t-elle, pour expliquer ces grossesses rapprochées.

Dix ans plus tard, sa fille aînée, alors âgée de 20 ans, devenait mère à son tour.

« Si ça s’était passé dans un mauvais contexte, ou qu’elle n’avait pas pris ses responsabilités, je l’aurais mal pris, reconnaît Julie. Mais je crois que tomber enceinte a sauvé ma fille. Ça lui a permis de s’éviter des problèmes et ça lui a donné beaucoup de force. »

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À 47 ans, Julie Brodeur (au centre) sera grand-mère pour une sixième fois cet hiver. – Photo fournie

La maternité dans la peau

Karine Valiquette est devenue maman pour la première fois à 17 ans. Ses parents n’approuvant pas sa décision, elle a dû élever sa fille sans aide.

Par la suite, sa fille Kiève a eu son premier enfant à 18 ans. La grossesse était imprévue, mais Karine a voulu éviter que sa fille se retrouve dans la même situation qu’elle à son âge.

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Karine Valiquette avait 17 ans lorsqu’elle a donné naissance à sa fille aînée Kiève. – Photo fournie

« Contrairement à moi, l’accouchement et les premiers mois de vie de son bébé n’ont vraiment pas été faciles, confie la principale intéressée qui a aujourd’hui 40 ans. J’ai été très présente, d’autant plus qu’après sa séparation, ma fille est venue vivre avec moi. J’ai eu la chance de voir grandir mon petit-fils. »

Une petite-fille s’est ajoutée à la famille quelques années plus tard, mais la distance a finalement provoqué un relâchement des liens familiaux.

« Aujourd’hui, nous n’habitons plus la même région, donc on se voit forcément moins souvent, relate Karine. Et puis, la maternité ne nous a pas rapprochées : je pense qu’on a trop le même caractère, ça cause des frictions ! »

« Parfois, je n’étais pas toujours d’accord avec les choix qu’elle faisait. Mais je suis du genre à vivre et laisser vivre. »

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À 40 ans, Karine Valiquette est grand-maman deux fois. – Photo fournie

Jeune papa… sur le tard

Pendant de nombreuses années, les amis de Martin Truchon l’ont taquiné à propos des nombreuses ressemblances qu’il partageait avec Daphnée, la fille de sa meilleure amie.

Toutefois, lorsque celle-ci a onze ans, il apprend qu’il en est effectivement le père. Il avait alors 29 ans. « C’était une histoire d’un soir : je pensais sincèrement que Daphnée était la fille du mec que sa mère s’était fait, peu de temps après », explique-t-il.

« Le plus dur, c’est quand elle est passée de m’appeler Martin à papa, témoigne-t-il. J’ai eu un serrement au cœur ! »

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Martin Truchon, 36 ans, et sa fille Daphnée quand elle a eu 18 ans.

Un jour, Daphnée, alors âgée de 18 ans, a envoyé un gif à son père sur Messenger. « Ça disait simplement ‘’I’m pregnant’’ (je suis enceinte), se souvient Martin. J’ai répondu : “What the fuck?!” »

Accepter que sa fille devienne mère alors que lui-même apprivoisait encore son rôle de père n’a pas été de tout repos. « Ça n’a pas été évident, se souvient Martin, devenu grand-père à 37 ans. Surtout que le mec de ma fille avait 34 ans. »

La parentalité décalée

Alors que l’âge moyen de la parentalité ne cesse de reculer, Julie, Karine et Martin ont certainement contribué à faire diminuer cette moyenne, eux qui sont devenus parents à l’aube de leur vie adulte et grands-parents à la mi-trentaine

La sociologue et professeure Andrée-Anne Boucher pose l’hypothèse que le fait d’avoir eu des enfants à un jeune âge peut influencer la seconde génération à faire de même.

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« Dans mes études, j’ai remarqué une dynamique où si vos parents vous avaient eu plus tard, vous aviez plus de chances d’avoir des enfants à un âge plus avancé, et vice versa », explique-t-elle en entrevue.

Entre deux chaises

Julie a eu la chance de garder les mêmes amis toute sa vie, malgré leurs parcours diamétralement opposés.

« J’ai toujours eu des amis compréhensifs. D’autres voyaient mon appartement comme un lieu pour faire la fête, loin des adultes !, témoigne-t-elle en grimaçant. Avec le recul, j’étais devenue capable de me mettre à la place de leurs parents. »

Selon Andrée-Anne Boucher, ce décalage est fréquent chez les personnes se trouvant dans la situation de Julie. « Les réalités ne sont plus les mêmes. Est-ce qu’on se reconnaît dans nos pairs ou dans leurs parents ? On se retrouve pris entre deux chaises », souligne-t-elle.

Une réalité complexe

La réalité de Julie, Martin et Karine est aussi particulière, parce que contrairement à d’autres grands-parents qui profitent de leurs petits-enfants une fois à la retraite, ils sont encore sur le marché du travail et le seront pendant plusieurs années.

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« Ça amène une complexification des enjeux de conciliation travail-famille, observe Andrée-Anne Boucher. On est dans une dynamique où c’est plus difficile, voire carrément impossible de prendre les petits-enfants à la dernière minute si les parents ont besoin d’aide. »

À cela s’ajoute le fait que ces grands-parents ont parfois eux-mêmes des parents vieillissants dont ils doivent prendre soin.

Liberté retrouvée

L’avantage d’avoir eu ses enfants – et ses petits-enfants – à un jeune âge, c’est d’avoir encore de belles années pour profiter de la vie avec ceux-ci.

« En ce moment, à 40 ans, je vis la liberté dont je n’ai pas profité quand j’étais jeune, relève Karine. Si c’était à refaire, je recommencerais de la même manière. »

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Mère à 15 ans, Julie Brodeur a aujourd’hui cinq petits-enfants. – Photo fournie

Julie abonde en ce sens. « Je n’ai pas fait les choses dans l’ordre habituel, note-t-elle. J’ai fait mes études dans la trentaine. J’ai pris le temps d’apprendre un métier que j’aime. »

« Je n’ai jamais voyagé, renchérit-elle. Mais quand je serai à la retraite, je n’aurai plus de jeunes à la maison. Ça sera réglé ! S’il avait fallu que mes enfants soient plus vieux, ils n’auraient peut-être pas pu partir et se trouver un logement dans le contexte d’aujourd’hui. »

Les trois jeunes grands-parents sont cependant mûrs pour une pause de couches. Martin espère que sa petite-fille prendra son temps avant d’envisager la maternité. « Je n’imagine pas si elle devient mère à 18 ans… Moi, à 55 ans, je ne serai pas prêt à être arrière-grand-père! »