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20 ans après, « The Ring » nous fout encore les jetons

Souvenirs de l’horreur aux cheveux longs.

Par
Jean Bourbeau
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« Sept jours. »

Au début des années 2000, ces deux petits mots lancés au bout du fil avaient le potentiel d’entraîner les frissons de toute une génération. Pour ceux et celles qui ont été épargnés par la hantise de Samara, disons que The Ring est synonyme d’une période où la peur avait éclipsé la fiction.

Ses vingt bougies halloweenesques sont l’occasion tout indiquée de revisiter ce moment fort du cinéma d’horreur contemporain et de questionner, avec le recul, les raisons d’autant d’effroi.

D’abord, un peu d’histoire. En 1991, le romancier japonais Kôji Suzuki publie Ringu, une histoire de vengeance mêlant enquête paranormale et légendes de fantômes traditionnelles. Le titre connaît un succès retentissant et le réalisateur Hideo Nakata le porte au grand écran en 1998, devenant rapidement le film d’horreur le plus populaire du septième art nippon.

Quatre ans plus tard, Hollywood dévoile son remake intitulé The Ring (Le Cercle dans la francophonie). La version du réalisateur Gore Verbinski est une réussite autant critique que populaire, devenant à son tour le remake d’horreur le plus rentable de l’histoire du genre avant d’être délogée par It quinze ans plus tard en 2017.

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Le Ringu américain est le premier opus d’une série d’adaptations de films d’épouvante originaires du pays du soleil levant, important un nouvel archétype de vilain en la ténébreuse petite fille aux longs cheveux mouillés. Aucune sortie du J-Horror (Japanese horror) ne rencontra toutefois la même popularité, encore moins ses deux suites très oubliables.

Si les deux versions (américaine et japonaise) partagent l’intrigue en sablier d’une journaliste condamnée à la suite du visionnement d’une VHS maléfique, elles entretiennent quelques différences évidentes comme le contenu de la vidéo elle-même ou le « Tu l’as vu » de la version nippone remplacé par le fameux « Sept jours ».

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Le motif visuel de l’anneau, central dans la version américaine, est surprenamment absent de l’original. Kôji Suzuki explique que son titre fait davantage référence à la nature cyclique de la malédiction, puisque, pour que le spectateur ou la spectatrice survive à la projection, la cassette visionnée doit être copiée et circuler encore et encore.

Témoignages de la peur

Le statut cultissime du long-métrage américain est débattu, mais force est d’admettre que The Ring est un poids lourd du genre et il incarne selon plusieurs une réelle expérience initiatique.

Laurence, par exemple, a accepté de revisiter ses traumas filmiques. Elle avait 12 ans lorsqu’elle a vu le film pour la première fois. « La peur que ce film a générée m’a poursuivie pendant des années. Je ne me rappelle pas avoir eu autant la frousse à cause d’un film. J’ai eu peur des puits même si je vivais en ville ! J’avais aussi peur des échelles. Des échelles, merde ! Quand je fermais les yeux le soir, j’imaginais la petite fille sortant de l’écran, alors j’ai sorti la télévision que j’avais dans ma chambre », raconte-t-elle, visiblement encore ébranlée.

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Outre la nature énigmatique du monstre, le remake américain avait plus d’un tour dans son sac. La coloration verdâtre de l’ensemble des plans lui donnait un aspect aussi inquiétant que maladif, l’éclairage était pensé pour qu’aucun acteur ou actrice n’ait d’ombre, sans oublier un mix sonore terriblement efficace conjugué à une musique inquiétante signée Hans Zimmer (Dune, Gladiator, etc.).

Sorti à la belle époque des clubs vidéo, The Ring était une vue idéale à regarder chez soi en raison du dispositif même de l’écran cathodique.

« La silhouette de Samara me poursuit encore, à tel point que je refuse de regarder le film à nouveau. »

En effet, la mise en abyme du film dans le film rendait le public investi à son insu. Nous voyions le contenu de la VHS à travers les yeux de Rachel dans son intégralité sans le comprendre. Inconsciemment, nous pensions être du côté sécuritaire de l’écran, distant.e.s et protégé.e.s, mais en devenant spectateur.trice.s de la vidéo, nous devenions alors une victime potentielle et l’on craignait à notre tour que le téléphone sonne et que sept jours plus tard, l’enfant maudit sorte de notre téléviseur.

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« La silhouette de Samara me poursuit encore, à tel point que je refuse de regarder le film à nouveau. J’ai littéralement dormi la lumière allumée pendant deux semaines après l’avoir regardé. Mes parents ne comprenaient rien », ajoute Sarah, 32 ans, qui se souvient d’avoir visionné le film avec ses grandes cousines, sans qu’aucune ne réussisse à se rendre jusqu’au générique de fin.

«Juste voir de la neige à l’écran accélérait mon pouls. Quand quelqu’un saignait du nez à l’école. Pendant quelque temps, tout pouvait revenir au film. C’est fou!»

Fait également notable, The Ring a eu droit à une excellente campagne marketing. Bien avant sa distribution en salle, la fameuse vidéo a été utilisée comme publicité sans mentionner de film pendant près d’un mois. Certains cinémas plaçaient également des copies de la cassette sur les sièges des salles, et d’autres étaient distribuées aux coins des rues ou laissées au sol dans les stationnements, toujours sans étiquette ni information.

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La légende urbaine d’une VHS tueuse avait même fait son chemin dans les écoles du continent.

« Juste voir de la neige à l’écran accélérait mon pouls. Quand quelqu’un saignait du nez à l’école. Pendant quelque temps, tout pouvait revenir au film. C’est fou ! », mentionne quant à lui Julien, 34 ans, assurant que tout va mieux et qu’il a revu le film récemment avec la douce impression d’exorciser une page sombre de son passé.

Pour Marylou, 36 ans, le souvenir le plus vif est la scène « I saw her face » suivie d’un jumpscare renvoyant aux traits déformés de la première victime du film.

« J’avais neuf ans quand je l’ai vu, relate celle qui œuvre dans l’industrie du cinéma. C’était beaucoup trop jeune quand j’y repense. J’ai encore en tête les trois notes mélancoliques de sa bande sonore. À cause du Cercle, j’ai longtemps été incapable de regarder d’autres films d’horreur. »

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« Même aujourd’hui, quand je vois un cercle dessiné à la main, crisse, je l’associe à Samara ou au p’tit gars… Aidan! », conclut-elle, ricaneuse.

Deux décennies plus tard, la cicatrice semble toujours vive. La répétitivité des sacres et des soupirs laisse également transparaître un brin de frustration. L’amertume d’avoir traversé des moments pénibles, comme si le contrat moral du film avait été brisé et que la peur l’avait emporté sur le divertissement.

Chaque génération s’associe à ses classiques, The Exorcist à Jaws jusqu’au Blair Witch Project ou plus récemment Hereditary. Pour les millénariaux, le « Sept jours » de The Ring a réussi à s’inscrire dans le patrimoine des peurs collectives.

Nous étions une jeunesse vulnérable, dans l’œil de sa tempête.

Dring. Dring.