Depuis #MeToo, le féminisme, on en parle beaucoup. Mais est-ce qu’on sait comment sont nés ces différents mouvements à travers le temps ? Comment les pensées féministes se sont forgées, qui en sont les pionnières, et quels événements ont été fondateurs et émancipateurs ? Avec Herstory, illustré par Anna Wanda Gogusey, la journaliste et autrice Marie Kirschen répond à tous ces points d’interrogation, et fait la lumière sur ces histoires trop longtemps restées dans l’ombre.
POURQUOI ÉTAIT-IL IMPORTANT DE RACONTER L’HISTOIRE DES FÉMINISMES ?
Les mouvements féministes ont complètement bouleversé nos sociétés et pourtant, ils sont peu racontés dans les livres, au cinéma, dans la presse. Quand j’ai commencé à rechercher des infos sur le féminisme quand j’étais ado, j’ai eu beaucoup de mal à en trouver. J’ai mis la main sur des livres universitaires assez pointus, sur une période ou un sujet particulier, mais des sources de vulgarisation facilement accessibles qui racontaient l’histoire des mouvements féministes, je n’en ai pas trouvé. Ça évolue depuis #MeToo et récemment, il y a notamment eu la parution de Rage against the machisme de Mathilde Larrère ou Ne nous libérez pas, on s’en charge de Bibia Pavard, Florence Rochefort et Michèle Zancarini-Fournel, mais on a encore besoin de livres de vulgarisation. C’est une histoire incroyable et exaltante qui mérite d’être mieux connue.
ÉTAIT-CE AUSSI UNE FAÇON DE REDONNER LEUR PLACE AUX FEMMES AU SEIN DE L’HISTOIRE ?
Complètement. En livrant ces ouvrages, j’ai découvert des histoires incroyables, des vies de femmes militantes jusque-là méconnues, des actions et des combats hyper exaltants… À l’école, c’est à peine si on parle du droit de vote des femmes, comme si c’était le général de Gaulle qui l’avait donné aux femmes. On invisibilise complètement tous les mouvements qu’il y a eu derrière.
EST-CE QUE ÇA SIGNIFIE QU’ON MANQUE DE CONNAISSANCES ET DE CULTURE SUR LE SUJET ?
Pour moi, ça ne fait aucun doute. Tout le monde connait le nom de Simone de Beauvoir, on a entendu parler du MLF [Mouvement de libération des femmes, ndlr], mais peu de gens peuvent citer le nom de ses militantes les plus connues. On ne connaît pas Mary Wollstonecraft, Audre Lorde ou encore Hubertine Auclert, qui est l’une des plus fameuses militantes pour le droit de vote des femmes en France. On parle très peu d’elle alors que la conclusion de ses combats c’est quand même le droit de vote, c’est incroyable.
COMMENT EXPLIQUER CES LACUNES DANS L’HISTOIRE ?
À chaque fois qu’il y a eu des mobilisations féministes, elles ont été suivies par des campagnes anti-féministes. La presse les ridiculisait, on les faisait passer pour des personnes qui se victimisaient, des mégères. Ça a contribué, et contribue toujours, à empêcher les féministes d’accéder à une parole publique. Ce ne sont pas ces femmes-là qui écrivent l’histoire avec un grand H : la presse et les manuels d’histoire sont avant tout écrits par des hommes, et ces hommes-là ont fait le choix de ne pas mettre les combats féministes en valeur.
VASTE PROJET, QUE DE SYNTHÉTISER L’HISTOIRE DES FÉMINISMES. COMMENT TU T’ES ATTAQUÉE AU SUJET ?
Il était impossible d’être exhaustif. Si je m’étais écoutée, j’aurais fait un livre de 10 000 pages que j’aurais probablement mis 30 ans à écrire ! Ensuite, j’aurais pu procéder par ordre chronologique mais je ne suis pas historienne, donc je suis partie des mots. On entend beaucoup de mots depuis que les questions féministes sont plus présentes : intersectionnalité, afroféminisme, écoféminisme, adelphité… Ça peut parfois faire peur, parce que ça peut donner l’impression qu’il faut avoir fait cinq ans d’études de genre pour maîtriser ces concepts. L’idée, c’était de partir de ces mots pour découvrir leur histoire, et pourquoi des femmes ont eu besoin de les inventer un jour.
POURQUOI CE TITRE, HERSTORY ?
Dans les années 70, des universitaires ont pointé le fait que l’Histoire telle qu’elle avait été écrite jusque-là était très centrée sur les hommes et invisibilisait complètement les femmes. Elles ont donc tenté de réparer ces manques. Le mot “herstory” vient de la militante états-unienne Robin Morgan. C’est une sorte de boutade : comme l’histoire (history) a un peu trop été “his story”, elle proposait de se pencher sur l’histoire des femmes, c’est-à-dire l’herstory, pour “her story”. Nous avons choisi ce titre pour le livre car nous voulions, à notre échelle, contribuer à donner à voir cette histoire des femmes, et en l’occurrence l’histoire des féministes.
VISIBILISER L’HISTOIRE DES COMBATS FÉMINISTES, C’EST AUSSI UN MOYEN DE RENDRE LA CAUSE PLUS ACCESSIBLE ?
Comme c’est une histoire qui a été peu racontée ou à laquelle on a peu accès si on ne fait pas l’effort d’aller la chercher dans des livres universitaires, il y a souvent des incompréhensions. L’idée c’est que n’importe qui, qu’il s’agisse d’un·e ado qui commence à s’intéresser au féminisme ou d’un·e quinquagénaire qui veut en savoir plus sur le sujet, puisse accéder facilement à ces informations, et comprendre de quoi on parle.